jeté

geworfen

Mais ce n’est pas tout. Car sur la base des premiers essais grecs en vue de l’interprétation de l’être un dogme s’est élaboré, qui non seulement déclare superflue la question du sens de l’être, mais encore légitime expressément l’omission de la question. On dit : l’« être » est le concept le plus universel et le plus vide. En tant que tel, il répugne à toute tentative de définition. Du reste, ce concept le plus universel, donc indéfinissable, n’a même pas besoin de définition. Chacun l’utilise constamment en comprenant très bien ce qu’il entend par là. Du coup, ce qui, en son retrait, avait jeté et tenu dans l’inquiétude le philosopher antique est devenue une « évidence » [NT: Au sens de « ce qui va de soi ».] si aveuglante que quiconque persiste à s’en enquérir se voit reprocher une faute de méthode. EtreTemps1

Pourquoi le comprendre, selon toutes les dimensions essentielles de ce qui peut être ouvert en lui, perce-t-il toujours jusqu’aux possibilités ? Parce que le comprendre a en lui-même la structure existentiale que nous appelons le projet. Il projette l’être du Dasein vers son en-vue-de-quoi tout aussi originairement que vers la significativité [Bedeutsamkeit] en tant que mondanéité [Weltlichkeit] de ce qui lui est à chaque fois monde. Le caractère de projet du comprendre constitue l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] du point de vue de l’ouverture de son Là comme Là d’un pouvoir-être. Le projet est la constitution existentiale d’être de l’espace de jeu du pouvoir-être factice. Et en tant que jeté, le Dasein est jeté dans le mode d’être du projeter. Le projeter n’a rien à voir avec l’observation d’un plan conçu conformément auquel le Dasein aménagerait son être : au contraire, en tant que Dasein, il s’est à chaque fois déjà projeté et, aussi longtemps qu’il est, il est projetant. Le Dasein se comprend toujours déjà et toujours encore, aussi longtemps qu’il est, à partir de possibilités. EtreTemps31

[148] Affection et comprendre caractérisent, en tant qu’existentiaux, l’ouverture originaire de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Selon la guise de l’être-intoné, le Dasein « voit » des possibilités à partir desquelles il est. C’est dans l’ouvrir projetant de telles possibilités qu’il est à chaque fois déjà intoné. Le projet du pouvoir-être le plus propre est remis au fait de l’être-jeté dans le Là. Une telle explication de la constitution existentiale de l’être du Là au sens du projet jeté ne contribue-t-elle pas à rendre l’être du Dasein énigmatique ? Assurément. Mais nous sommes tenus de laisser ressortir en sa plénitude le caractère énigmatique de cet être, ne serait-ce que pour pouvoir échouer comme il faut à le « résoudre », et réussir à poser à neuf la question de l’être de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté-projetant. EtreTemps31

L’être-ex-primé du parler est la parole. Cette totalité de mots où le parler a un être « mondain » propre devient alors, en tant qu’étant intramondain, trouvable comme un à-portée-de-la-main. La langue peut être morcelée en choses-mots sous-la-main. Le parler est existentialement langue, parce que l’étant dont elle articule significativement l’ouverture a le mode d’être de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté, assigné au « monde ». EtreTemps34

En revenant jusqu’aux structures existentiales de l’ouverture de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], notre interprétation a d’une certaine manière perdu des yeux la quotidienneté [Alltäglichkeit] du Dasein. Cet horizon phénoménal qu’elle s’était donnée pour thème, l’analyse doit maintenant le [167] reconquérir. La question est donc maintenant celle-ci : quels sont les caractères existentiaux de l’ouverture de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] pour autant que celui-ci se tient, en tant que quotidien [alltäglich], dans le mode d’être du On ? Est-ce qu’une affection spécifique, un comprendre, un parler, un expliciter particuliers appartiennent à celui-ci ? La solution de ces questions devient d’autant plus urgente si nous rappelons que le Dasein, de prime abord et le plus souvent, s’identifie au On et en subit la domination. Le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté n’est-il pas justement d’abord jeté dans la publicité du On ? Et qu’est-ce que cette publicité signifie d’autre que l’ouverture spécifique du On ? EtreTemps34

Il faut ici remarquer que l’équivoque ne naît pas d’abord d’une intention expresse de dissimulation et de déformation, qu’elle n’est pas seulement provoquée par le Dasein singulier. Elle réside déjà dans l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] en tant qu’il est jeté en un monde. Mais aux yeux du public elle est justement retirée, et l’on ne manquera jamais de dénier que cette interprétation du mode d’être de l’être-explicité du On soit pertinente. Pour l’explication de ces phénomènes, ce serait un malentendu que de chercher sa confirmation dans l’approbation du On. EtreTemps37

Ce pour-quoi [en-vue-de-quoi] l’angoisse s’angoisse se dévoile comme ce devant-quoi elle s’angoisse : l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’identité du devant-quoi de l’angoisse et de son pour-quoi s’étend même jusqu’au s’angoisser lui-même. Car celui-ci est en tant qu’affection un mode fondamental de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’identité existentiale de l’ouvrir avec l’ouvert, identité telle qu’en cet ouvert le monde est ouvert comme monde, l’être-à comme pouvoir-être isolé, pur, jeté, atteste qu’avec le phénomène de l’angoisse c’est une affection insigne qui est devenue le thème de l’interprétation. L’angoisse isole et ouvre ainsi le Dasein comme « solus ipse ». Ce « solipsisme » existential, pourtant, transporte si peu une chose-sujet isolée dans le vide indifférent d’une survenance sans-monde qu’il place au contraire le Dasein, en un sens extrême, devant son monde comme monde, et, du même coup, lui-même devant soi-même comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps40

Ce devant-quoi fuit l’échéance comme fuite devient désormais visible phénoménalement. Elle fuit non pas devant l’étant intramondain, mais au contraire justement vers lui, comme vers l’étant auprès duquel la préoccupation [Besorgen], perdue dans le On [das Man], peut se tenir dans une familiarité rassurée. La fuite échéante dans le chez-soi de la publicité est fuite devant le hors-de-chez-soi, c’est-à-dire l’étrang(èr)eté qui se trouve dans le Dasein en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté, remis à lui-même en son être. Cette étrang(èr)eté traque incessamment le Dasein et menace, quoiqu’implicitement, sa perte quotidienne [alltäglich] dans le On [das Man]. Cette menace peut facticement s’assortir d’une totale sécurité et autarcie de la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich]. L’angoisse peut monter dans les situations les plus anodines. Il n’est pas non plus besoin de cette obscurité où, communément, l’étrang(èr)eté se produit plus facilement. Car dans l’obscurité, il n’y a en effet, en un sens fort. « rien » à voir – ce qui n’empêche justement que le monde est encore « là », et de façon plus insistante. EtreTemps40

Pour saisir ontologiquement la totalité du tout structurel du Dasein, nous devons d’abord poser la question suivante : le phénomène de l’angoisse, avec ce qui s’ouvre en lui, est-il capable de nous donner phénoménalement le tout du Dasein de manière suffisamment cooriginaire pour que le regard qui en cherche la totalité puisse se remplir dans cette donnée ? La réalité globale de ce que cette donnée inclut peut être enregistrée dans l’énumération formelle suivante : le s’angoisser est, en tant qu’affection, une guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] ; le devant-quoi de l’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté; le en-vue-de-quoi de l’angoisse est le pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Par suite, le phénomène plein de l’angoisse manifeste le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] existant facticement. Les caractères ontologiques fondamentaux de cet étant sont l’existentialité, la facticité et l’être-échu. Ces déterminations existentiales n’appartiennent pas comme des morceaux à une totalité à laquelle l’un d’entre eux pourrait parfois faire défaut, mais en elles règne une connexion originaire qui constitue la totalité cherchée du tout structurel. Dans l’unité des déterminations d’être citées du Dasein, l’être de celui-ci devient comme tel ontologiquement saisissable. Comment cette unité elle-même doit-elle être caractérisée ? EtreTemps41

Mais cette structure concerne le tout de la constitution du Dasein. L’être-en-avant-de-soi ne signifie pas quelque chose comme une tendance isolée d’un « sujet » sans monde, elle caractérise l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Mais à celui-ci il appartient d’être remis à lui-même, d’être à chaque fois déjà jeté dans un monde. L’abandon du Dasein à lui-même se manifeste de manière originairement concrète dans l’angoisse. Saisi plus pleinement, l’être-en-avant-de-soi signifie donc : être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans-un-monde. Dès l’instant que cette structure essentiellement unitaire est phénoménalement aperçue, se clarifie également ce que notre analyse antérieure de la mondanéité [Weltlichkeit] avait dégagé, à savoir que le tout de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit] en laquelle se constitue la mondanéité [Weltlichkeit] est « fixé » en un en-vue-de. Cette solidarité du tout de renvois, des rapports multiples du pour… avec ce dont il y va pour le Dasein, son en-vue-de-quoi, n’a pas le sens d’une fusion d’un « monde » sous-la-main d’objets avec un sujet. Elle est bien plutôt l’expression phénoménale de la constitution originairement totale du Dasein, dont la totalité est désormais explicitement dégagée comme être-en-avant-de-soi-dans-l’être-déjà-dans… En d’autres termes : l’exister est toujours factice. L’existentialité est essentiellement déterminée par la facticité. EtreTemps41

Mais l’exister factice du Dasein, à son tour, n’est pas seulement et indifféremment un pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté, mais il s’est toujours aussi déjà identifié au monde de sa préoccupation [Besorgen]. En cet être-auprès échéant s’annonce, expressément ou non, compris comme tel ou non, la fuite devant l’étrang(èr)eté qui la plupart du temps demeure recouverte avec l’angoisse latente parce que la publicité du On réprime toute non-familiarité. Dans l’être-déjà-en-avant-de-soi-dans-un-monde est essentiellement impliqué l’être échéant auprès de l’à-portée-de-la-main intramondain dans la préoccupation [Besorgen]. EtreTemps41

La perfectio de l’homme, autrement dit le fait qu’il devienne ce qu’il peut être en son être-libre pour ses possibilités les plus propres (dans le projet), est un « achèvement » du « souci ». Mais celui-ci détermine cooriginairement le mode fondamental de cet étant, conformément auquel il est livré au monde de la préoccupation [Besorgen] (être-jeté). L’« équivoque » de cura vise une seule constitution fondamentale selon la structure essentiellement duelle du projet jeté. EtreTemps42

La condition ontologico-existentiale requise pour que l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] soit déterminé par la « vérité » et la « non-vérité » réside dans la constitution d’être du Dasein que nous avons caractérisée comme projet jeté. Elle est un constituant de la structure du souci. EtreTemps44

Sa possibilité la plus propre, absolue et indépassable, le Dasein ne se la procure cependant pas après coup et occasionnellement au cours de son être. Au contraire, si le Dasein existe, il est aussi et déjà jeté dans cette possibilité. Qu’il soit remis à sa mort, que celle-ci appartienne donc à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], c’est là quelque chose dont le Dasein, de prime abord et le plus souvent, n’a nul savoir exprès, ni même théorique. L’être-jeté dans la mort se dévoile à lui plus originellement et instamment dans l’affection de l’angoisse [NA: Cf. supra, §40 [EtreTemps40], p. [184] sq.]. L’angoisse de la mort est angoisse « devant » le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. Le devant-quoi de cette angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] lui-même. Le pour-quoi [en-vue-de-quoi] de cette angoisse est le pouvoir-être du Dasein en tant que tel. Il est exclu de confondre l’angoisse de la mort avec une peur de décéder. Elle n’est nullement une tonalité « faible » quelconque et contingente de l’individu, mais, en tant qu’affection fondamentale du Dasein, l’ouverture révélant que le Dasein existe comme être jeté pour sa fin. Ainsi se précise le concept existential du mourir comme être jeté pour le pouvoir-être le plus propre, absolu et indépassable. La délimitation d’un tel mourir par rapport à une pure disparition, et aussi par rapport à un simple périr, et encore par rapport à un « vécu » du décéder, a gagné en acuité. EtreTemps50

L’être pour la fin ne naît pas seulement d’une – et en tant que – disposition temporaire, mais il appartient essentiellement à l’être-jeté du Dasein, lequel se dévoile tel ou tel dans l’affection (la tonalité). Le « savoir » – ou l’« ignorance » – factice qui règne à chaque fois dans le Dasein au sujet de son être le plus propre pour la fin est seulement l’expression de la possibilité existentielle de se tenir selon diverses modalités dans cet être. Que beaucoup d’hommes, de facto, n’aient de prime abord et le plus souvent pas de savoir de la mort ne saurait valoir comme preuve en faveur de l’idée que l’être pour la mort n’appartiendrait pas « universellement » au Dasein, mais uniquement à l’appui du fait que le Dasein, de prime abord et le plus souvent, se recouvre, en fuyant devant lui, l’être le plus propre pour la mort. Le Dasein meurt facticement aussi longtemps qu’il existe, mais de prime [252] abord et le plus souvent selon la guise de l’échéance. Car l’exister factice n’est pas seulement en général et indifféremment un pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté, mais il s’est aussi toujours déjà identifié au « monde » de sa préoccupation [Besorgen]. Dans cet être-auprès… échéant s’annonce la fuite hors de l’étrang(èr)eté, c’est-à-dire maintenant devant l’être le plus propre pour la mort. Existence, facticité, échéance caractérisent l’être pour la fin et sont par conséquent constitutives du concept existential de la mort. Le mourir se fonde, quant à sa possibilité ontologique, dans le souci. EtreTemps50

La question se pose néanmoins de savoir si ce problème a été jusqu’ici suffisamment élaboré. L’être pour la mort se fonde dans le souci. En tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté, le Dasein est à chaque fois déjà remis à sa mort. Étant pour sa mort, il meurt facticement et même constamment aussi longtemps qu’il n’est pas venu à son décès [Ableben] [Ableben]. Le Dasein meurt facticement, cela veut dire en même temps qu’il s’est toujours déjà, en son être pour la mort, décidé de telle ou telle manière. Le recul quotidienne [alltäglich]ment échéant devant elle est un être inauthentique pour la mort. L’inauthenticité a une possible authenticité à son fondement [NA: De l’inauthenticité du Dasein, il a été traité supra, §9 [EtreTemps9], p. [42] sq., §27 [EtreTemps27], p. [130] et surtout, §38 [EtreTemps38], p. [175] sq.]. L’inauthenticité caractérise un mode d’être où le Dasein peut se placer et s’est aussi le plus souvent toujours déjà placé, mais où il ne doit pas nécessairement et constamment se placer. Parce que le Dasein existe, il se détermine à chaque fois en tant qu’étant comme il est à partir d’une possibilité qu’il est et comprend lui-même. EtreTemps52

Par l’ouverture, l’étant que nous appelons Dasein est dans la possibilité d’être son Là. Avec son monde, il est pour lui-même là, et cela de prime abord et le plus souvent en s’étant ouvert son pouvoir-être à partir du « monde » dont il est préoccupé. Le pouvoir-être en lequel le Dasein existe s’est abandonné à des possibilités à chaque fois déjà déterminées. Et cela parce qu’il est un étant jeté, cet être-jeté étant plus ou moins clairement et instamment ouvert pour l’être-intoné. À l’affection (tonalité) appartient cooriginairement le comprendre. Par là, le Dasein « sait » ce qu’il en est de lui-même pour autant qu’il s’est projeté vers des possibilités de lui-même à moins que, s’identifiant au On, il ne se les soit laissé prédonner par l’explicitation publique de celui-ci. Mais ce qui rend existentialement cette prédonation [271] possible, c’est que le Dasein, en tant qu’être-avec [Mitsein] compréhensif, peut entendre autrui. En se perdant dans la publicité du On et son bavardage [Gerede], il més-entend, n’entendant que le On [das Man]-même, son Soi-même propre. Si le Dasein doit pouvoir être ramené – et certes par lui-même – hors de cette perte de la més-entente de soi, alors il faut qu’il puisse d’abord se trouver, lui-même qui s’est més-entendu et més-entendu dans l’écoute du On. Cette écoute doit être brisée, autrement dit il faut que lui soit donnée par le Dasein même la possibilité d’un entendre qui l’interrompe. La possibilité d’une telle rupture se trouve dans l’être-ad-voqué im-médiat. L’appel brise l’écoute prêtée au On par un Dasein qui se més-entend, lorsque, conformément à son caractère d’appel, il éveille un entendre qui est en tous points caractérisé de manière opposée à l’entendre perdu. Si celui-ci est pris par le « vacarme » de la multiple équivoque d’un bavardage [Gerede] chaque jour « nouveau », il faut que l’appel appelle sans vacarme, sans équivoque, sans point d’appui pour la curiosité. Ce qui donne à comprendre en appelant ainsi, c’est la conscience [Gewissen]. EtreTemps55

Nous demandons donc : notre analyse antérieure de la constitution d’être du Dasein nous montre-t-elle un chemin sur lequel rendre ontologiquement intelligible le mode d’être de l’appelant et, avec lui, celui de l’appeler ? Que l’appel ne soit pas expressément accompli par moi, mais au contraire que « ça » appelle, cela n’autorise pas encore à chercher l’appelant dans un étant qui ne serait pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig]. Or le Dasein existe bel et bien toujours facticement. Il n’est pas un se-projeter flottant en l’air, mais, déterminé par l’être-jeté comme le fait de l’étant qu’il est, il a à chaque fois été – et il demeure constamment – remis à l’existence. Cependant, la facticité du Dasein se distingue essentiellement de la factualité d’un sous-la-main. Le Dasein existant ne vient pas à la rencontre de lui-même comme d’un sous-la-main intramondain. D’autre part, l’être-jeté ne s’attache pas non plus au Dasein comme un caractère inaccessible et sans conséquence [Abfolge] pour son existence. En tant que jeté, le Dasein est jeté dans l’existence. Il existe comme un étant qui a à être comment il est et peut être. EtreTemps57

Qu’il soit facticement, cela peut bien être retiré en son pourquoi, mais le « Que » luimême n’est pas moins ouvert au Dasein. L’être-jeté de l’étant appartient à l’ouverture du « Là » et se dévoile constamment dans ce qui est à chaque fois son affection. Celle-ci transporte le Dasein plus ou moins expressément et authentiquement devant son « qu’il est et, en tant que l’étant qu’il est, il a à être en pouvant-être ». Toutefois, le plus souvent, la tonalité referme l’être-jeté. Le Dasein fuit devant celui-ci dans la facilité de la prétendue liberté du On-même. Cette fuite a été caractérisée comme fuite devant l’étrang(èr)eté qui détermine fondamentalement l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] en son isolement. L’étrang(èr)eté se dévoile proprement dans l’affection fondamentale de l’angoisse, et, en tant que l’ouverture la plus élémentaire du Dasein jeté, elle place son être-au-monde [In-der-Welt-sein] devant le rien du monde, rien devant lequel il s’angoisse dans l’angoisse pour le pouvoir-être le plus propre. Qu’en serait-il donc, si le Dasein tel qu’il se trouve (est affecté) au fond de son étrang(èr)eté était l’appelant de l’appel de la conscience [Gewissen] ? EtreTemps57

L’appelant n’est « mondainement » déterminable par rien en son qui. Il est le Dasein en son étrang(èr)eté, il est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] originellement jeté en tant qu’hors-de-chez-lui, il est [277] le « que » nu dans le rien du monde. L’appelant est non-familier au On-même quotidien [alltäglich] – quelque chose comme une voix étrangère. Et qu’est-ce qui pourrait être plus étranger au On, perdu qu’il est dans la diversité du « monde » de sa préoccupation [Besorgen], que le Soi-même isolé sur soi dans l’étrang(èr)eté, jeté dans le rien ? « Ça » appelle, et pourtant cela ne donne rien à entendre à l’oreille préoccupée et curieuse qui puisse après coup être répété et publiquement commenté. Et en effet, que pourrait bien relater le Dasein à partir de l’étrang(èr)eté de son être jeté ? Que lui reste-t-il d’autre que le pouvoir-être de lui-même, dévoilé dans l’angoisse ? Comment pourrait-il appeler autrement qu’en une con-vocation [Aufruf] à ce pouvoir-être dont il y va uniquement pour lui ? EtreTemps57

À cette question, nous avons déjà apporté réponse, par la thèse : l’appel ne « dit » rien qui serait à discuter, il ne donne aucune connaissance sur des événements. L’appel pro-voque le Dasein vers son pouvoir-être, et cela en tant qu’appel venu de l’étrang(èr)eté. L’appelant, certes, est indéterminé, – mais le lieu d’où il appelle ne demeure pas indifférent pour l’appeler. Ce « d’où » – l’étrang(èr)eté de l’isolement jeté – est co-appelé dans l’appeler, autrement dit co-ouvert. Le « d’où » de l’appeler, dans la pro-vocation à…, est le « vers où » du rappeler. L’appel ne donne nul pouvoir-être idéal, universel à comprendre ; ce pouvoir-être, il l’ouvre comme pouvoir-être à chaque fois isolé de chaque Dasein. Le caractère d’ouverture de l’appel n’est pleinement déterminé qu’à partir du moment où nous le comprenons comme rappel pro-vocant. C’est seulement à partir d’une orientation sur l’appel ainsi saisi qu’il est possible de demander ce qu’il donne à comprendre. EtreTemps58

L’être du Dasein est le souci. Il comprend en soi la facticité (être-jeté), l’existence (projet) et l’échéance. Étant, le Dasein est jeté – il n’est pas porté à son Là par lui-même. Étant, il est déterminé comme un pouvoir-être qui s’appartient à lui-même, et qui pourtant ne s’est pas remis en propre comme lui-même. Existant, le Dasein ne passe jamais derrière son être-jeté, de telle manière qu’il puisse ne libérer à chaque fois proprement qu’à partir de son être-Soi-même et conduire au Là ce « qu’il est et a à être ». Toutefois, l’être-jeté ne se trouve pas derrière lui comme un événement factuellement arrivé et à nouveau ranimé par le Dasein – se produisant, donc, en même temps que lui -, mais le DASEIN est constamment, aussi longtemps qu’il est, en tant que souci son « que ». C’est en tant que cet étant, par la remise à qui seulement il peut exister comme l’étant qu’il est, qu’il est, en existant, le fondement de son pouvoir-être. Bien qu’il n’ait pas posé lui-même le fondement, il repose dans sa gravité, que la tonalité comme charge lui rend manifeste. EtreTemps58

Et comment est-il ce fondement jeté ? Uniquement de telle manière qu’il se projette vers des possibilités où il est jeté. Le Soi-même qui, comme tel, a à poser le fondement de lui-même, ne peut jamais se rendre maître de celui-ci, et pourtant, en existant, il a à assumer l’être-fondement. Être son propre fondement jeté, tel est le pouvoir-être dont il y va pour le souci. EtreTemps58

Étant-fondement, c’est-à-dire existant comme jeté, le Dasein reste constamment en deçà de ses possibilités. Il n’est jamais existant avant son fondement, mais toujours seulement à partir de lui et comme tel. Être-fondement signifie par conséquent fondamentalement, n’être jamais en possession de son être le plus propre. Ce ne-pas appartient au sens existential de l’être-jeté. Étant-fondement, il est lui-même une nullité [Nichtigkeit] de lui-même. La nullité [Nichtigkeit] ne signifie nullement le ne-pas-être-sous-la-main, la non-subsistance, mais elle désigne un ne-pas qui constitue cet être du Dasein, son être-jeté. Le caractère de ne-pas de ce ne-pas se détermine existentialement : étant Soi-même, le Dasein est l’étant jeté en tant que Soi-même. Dé-laissé non pas par soi-même, mais à soi-même à partir du fondement, pour être comme tel. Si le [285] Dasein est lui-même le fondement de son être, ce n’est pas pour autant que celui-ci provient seulement d’un projet propre – mais c’est en tant qu’être-Soi-même qu’il est l’être du fondement. Celui-ci est toujours seulement fondement d’un étant dont l’être a à assumer l’être-fondement. EtreTemps58

Le Dasein est en existant son fondement, c’est-à-dire de telle manière qu’il se comprend à partir de possibilités, et, se comprenant ainsi, est l’étant jeté. Or cela implique que, pouvant-être, il se tient à chaque fois dans l’une ou l’autre possibilité, que constamment il n’est pas une autre, et qu’il a renoncé à elle dans le projet existentiel. Le projet n’est pas seulement déterminé, en tant qu’à chaque fois jeté, par la nullité [Nichtigkeit] de l’être-fondement, mais, en tant que projet, il est lui-même essentiellement nul. Cette détermination, derechef, ne désigne nullement la propriété ontique du « sans succès » ou « sans valeur », mais un constitutif existential de la structure d’être du projeter. La nullité [Nichtigkeit] visée appartient à l’être-libre du Dasein pour ses possibilités existentielles. Seulement, la liberté n’est que dans le choix de l’une, autrement dit dans l’assomption du n’avoir-pas-choisi et du ne-pas-non-plus-pouvoir-avoir-choisi l’autre. EtreTemps58

Dans la structure de l’être-jeté aussi bien que dans celle du projet est essentiellement contenue une nullité [Nichtigkeit], et c’est elle qui est le fondement de la possibilité de la nullité [Nichtigkeit] du Dasein inauthentique dans l’échéance où il se trouve à chaque fois et toujours facticement. En son essence, le souci lui-même est transi de part en part de nullité [Nichtigkeit]. Le souci – l’être du Dasein – signifie ainsi, en tant que projet jeté : l’être-fondement (nul) d’une nullité [Nichtigkeit]. Autrement dit : le Dasein est comme tel en-dette, si tant est que demeure la détermination existentiale formelle de la dette comme être-fondement d’une nullité [Nichtigkeit]. EtreTemps58

Mais quelle expérience plaide-t-elle en faveur de cet être-en-dette originaire du Dasein ? N’oublions pas cependant la contre-question de cette question : la dette n’« est »-elle « là » que si une conscience [Gewissen] de dette s’est éveillée, ou bien le fait même que la dette « sommeille » n’annonce-t-il pas justement l’être-en-dette originaire ? Que celui-ci, de prime abord et le plus souvent, demeure non-ouvert, qu’il soit tenu refermé par l’être échéant du Dasein, cela ne fait que dévoiler la nullité [Nichtigkeit] citée. Plus originaire que tout savoir le concernant est l’être-en-dette. Et c’est seulement parce que le Dasein, au fond de son être, est en-dette, et, en tant qu’échéant et jeté, se le referme à lui-même, que la conscience [Gewissen] est possible, si tant est que l’appel donne fondamentalement cet être-en-dette à comprendre. EtreTemps58

L’appel est appel du souci. L’être-en-dette constitue l’être que nous appelons souci. Dans l’étrang(èr)eté, le Dasein se rassemble originairement avec lui-même. Elle transporte cet [287] étant devant sa nullité [Nichtigkeit] non-dissimulée, laquelle appartient à la possibilité de son pouvoir-être le plus propre. Dans la mesure où il y va pour le Dasein – comme souci – de son être, il se convoque lui-même – en tant que On factice-écheant – à son pouvoir-être depuis l’étrang(èr)eté. L’appel est rappel qui pro-voque ; qui pro-voque : à la possibilité d’assumer soi-même en existant l’étant jeté qu’il est ; il est rappel : à l’être-jeté, afin de comprendre celui-ci comme le fondement nul qu’il a à assumer dans l’existence. Le rappel pro-vocant de la conscience [Gewissen] donne au Dasein à comprendre qu’il doit – à titre de fondement nul de son projet nul se tenant dans la possibilité de son être – se ramener de la perte dans le On [das Man] vers lui-même, autrement dit qu’il est en-dette. EtreTemps58

Cependant, ce « fait » de la postériorité de la voix de conscience [Gewissen] exclut-il que l’appel soit pourtant, en son fond, un pro-voquer ? Que la voix soit saisie comme mouvement subséquent de la conscience [Gewissen], cela ne prouve pas encore une compréhension originaire du phénomène de la conscience [Gewissen]. Et si l’endettement factice était seulement l’occasion de l’appeler factice de la conscience [Gewissen] ? Si l’interprétation citée de la « mauvaise » conscience [Gewissen] s’arrêtait à la moitié du chemin ? Qu’il en soit bien ainsi, cela appert de la préacquisition ontologique où le phénomène se trouve porté par l’interprétation en question. La voix est quelque chose qui surgit, qui a sa place dans la séquence [Abfolge] des vécus sous-la-main et qui fait [291] suite au vécu de l’acte. Seulement, ni l’appel, ni l’acte accompli, ni la dette contractée ne sont des événements, munis du caractère d’un sous-la-main qui se déroule. L’appel a le mode d’être du souci. En lui, le Dasein « est » en-avant-de-soi, et cela de telle manière qu’il s’oriente en même temps en retour vers son être-jeté. Seule la position spontanée du Dasein comme enchaînement d’une succession de vécus peut permettre de prendre la voix pour quelque chose de subséquent, de postérieur, donc de nécessairement rétrospectif. Certes la voix rappelle, mais si elle rappelle, c’est, par delà l’acte accompli, à l’être-en-dette jeté, qui est « plus ancien » que tout endettement. Mais en même temps, le rappel pro-voque à l’être-en-dette en tant qu’il est à saisir dans l’existence propre, de telle sorte que l’être-en-dette existentiel authentique « succède » précisément à l’appel, et non pas l’inverse. La mauvaise conscience [Gewissen], au fond, se réduit si peu à une réprimande rétrospective qu’elle rappelle au contraire pro-spectivement à l’être-jeté. L’ordre de succession d’un déroulement de vécus est incapable de livrer la structure phénoménale de l’exister. EtreTemps59

La résolution, selon son essence ontologique, est à chaque fois celle d’un Dasein factice. L’essence de cet étant est son existence. La résolution n’« existe » que comme décision qui comprend et se projette. Mais vers quoi le Dasein, dans la résolution, s’ouvre-t-il ? À quoi doit-il se décider ? La réponse ne peut ici ne nous être donnée que par la décision même. Ce serait totalement mécomprendre le phénomène de la résolution que de s’imaginer qu’elle est simplement la re-prise de possibilités proposées et recommandées. La décision, et elle seule, est justement le projeter et le déterminer ouvrant de ce qui est à chaque fois possibilité factice. À la résolution appartient nécessairement l’indétermination qui caractérise tout pouvoir-être facticement jeté du Dasein. Sûre d’elle-même, la résolution ne l’est que comme décision. Néanmoins, l’indétermination existentielle, déterminée à chaque fois dans la seule décision, de la résolution possède sa déterminité [Bestimmtheit] existentiale. EtreTemps60

Le pour-quoi de la résolution est ontologiquement pré-dessiné dans l’existentialité du Dasein en général comme pouvoir-être selon la guise de la sollicitude [Fürsorge] préoccupée. Mais en tant que souci, le Dasein est déterminé par la facticité et par l’échéance. Ouvert en son « Là », il se tient cooriginairement dans la vérité et la non-vérité [NA: Cf. supra, §44 [EtreTemps44], p. [222].]. Or autant vaut justement « à [299] proprement parler » de la résolution comme vérité authentique. Elle s’approprie authentiquement la non-vérité. Le Dasein est à chaque fois déjà, et par suite il est peut-être de nouveau dans l’ir-résolution. Ce dernier titre exprime seulement le phénomène qui a été auparavant interprété comme être-livré à l’explicitation régnante du On. Le Dasein en tant que On-même est « porté » par l’équivoque d’entendement de la publicité, où personne ne se résout, et qui pourtant a toujours déjà tranché. La résolution veut dire : se-laisser-con-voquer hors de la perte dans le On [das Man]. L’ir-résolution du On, néanmoins, demeure souveraine – à ceci près qu’elle ne peut plus entamer l’existence résolue. L’ir-résolution, en tant que contre-concept de la résolution comprise existentialement, ne désigne pas une propriété ontico-psychique, une charge d’inhibitions par exemple. Même la décision demeure assignée au On et à son monde. Comprendre cela appartient également à ce qu’elle ouvre, dans la mesure où la résolution est ce qui donne pour la première fois au Dasein sa translucidité authentique. Dans la résolution, il y va pour le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, lequel, en tant que jeté, ne peut se projeter que vers des possibilités factices déterminées. La décision ne se soustrait pas à l’« effectivité », mais découvre pour la première fois le possible factice, et cela en s’en emparant de la manière dont elle le peut en tant que pouvoir-être le plus propre dans le On [das Man]. La déterminité [Bestimmtheit] existentiale du Dasein résolu à chaque fois possible embrasse les moments constitutifs de ce phénomène existential – omis jusqu’ici – que nous appelons la situation. EtreTemps60

Résolu, le Dasein assume authentiquement dans son existence le fait qu’il est le rien nul de sa nullité [Nichtigkeit]. Nous avons conçu existentialement la mort comme la possibilité – plus haut caractérisée – de l’impossibilité de l’existence, c’est-à-dire comme pure et simple nullité [Nichtigkeit] du Dasein. La mort n’est pas surajoutée au Dasein lors de sa « fin », mais, en tant que souci, le Dasein est le fondement jeté (c’est-à-dire nul) de sa mort. La nullité [Nichtigkeit] qui transit originairement l’être du Dasein se dévoile à lui-même dans l’être pour la mort authentique. C’est le devancement qui rend pour la première fois l’être-en-dette manifeste à partir du fondement de l’être total du Dasein. Le souci abrite cooriginairement en soi la mort et la dette. La résolution devançante comprend pour la première fois le pouvoir-être-en-dette authentiquement et totalement, c’est-à-dire originairement [NA: L’être-en-dette appartenant originairement à la constitution d’être du Dasein doit être soigneusement distingué du status corruptionis au sens théologique. Certes, la théologie peut trouver dans l’être-en-dette existentialement déterminé une condition ontologique de sa possibilité factice. Cependant, la dette contenue dans l’idée de ce status est un endettement factice absolument spécifique. Il a son attestation propre, qui demeure fondamentalement fermée à toute expérience philosophique. L’analyse existentiale de l’être-en-dette ne prouve rien, ni pour, ni contre la possibilité du péché. En toute rigueur, on ne peut même pas dire que l’ontologie du Dasein laisse par elle-même cette possibilité en général ouverte, dans la mesure où, en tant que questionner philosophique, elle ne « sait » fondamentalement rien du péché.]. EtreTemps62

Mais le Dasein est cooriginairement dans la non-vérité. La résolution devançante lui nomme en même temps la certitude originaire de sa fermeture. Résolu en devançant, le Dasein se tient ouvert pour la perte constante, possible sur la base de son propre être, dans l’ir-résolution du On. L’ir-résolution est co-certaine en tant que possibilité constante du Dasein. La résolution translucide à elle-même comprend que l’indéterminité [Bestimmtheit] du pouvoir-être ne se détermine jamais que dans la décision pour ce qui est situation. Elle sait l’indéterminité [Bestimmtheit] qui régit un étant qui existe. Mais ce savoir, s’il veut correspondre à la résolution authentique doit lui-même jaillir d’un décider authentique. Or l’indétermination du pouvoir-être propre – bien que devenu à chaque fois certain dans la décision – ne se manifeste totalement que dans l’être pour la mort. Le devancement transporte le Dasein devant une possibilité qui est constamment certaine et qui pourtant demeure à tout instant indéterminée quant au moment où la possibilité devient impossibilité. Elle manifeste que cet étant est jeté dans l’indétermination de sa « situation-limite », en se résolvant à laquelle le Dasein conquiert son pouvoir-être-tout authentique. L’indétermination de la mort s’ouvre originairement dans l’angoisse. Mais cette angoisse originaire aspire à s’intimer la résolution. Elle débarrasse tout recouvrement de l’abandon du Dasein à lui-même. Le rien devant lequel l’angoisse transporte dévoile la nullité [Nichtigkeit] qui détermine le Dasein en son fondement, lequel est lui-même en tant qu’être-jeté dans la mort. EtreTemps62

Le Dasein est authentiquement lui-même dans l’isolement originaire de cette résolution ré-ticente qui s’intime à elle-même l’angoisse. En tant qu’il fait-silence, l’être-Soi-même [323] authentique ne dit justement pas « Je-Je », mais il « est » dans la ré-ticence cet étant jeté comme lequel il peut être authentiquement. Le Soi-même que dévoile la réticence de l’existence résolue est le sol phénoménal originaire pour la question de l’être du « Je ». Seule l’orientation phénoménale sur le sens d’être du pouvoir-être-Soi-même authentique met la méditation en mesure d’élucider quel droit ontologique peuvent revendiquer la substantialité, la simplicité et la personnalité en tant que caractères de l’ipséité. La question ontologique de l’être du Soi-même doit être arrachée à la pré-acquisition – constamment favorisée par le dire-Je prédominant – d’une chose-Soi en permanence sous-la-main. EtreTemps64

La résolution devançante comprend le Dasein en son être-en-dette essentiel. Ce comprendre signifie : assumer l’être-en-dette en existant, être en tant que fondement jeté de la nullité [Nichtigkeit]. Mais l’assomption de l’être-jeté signifie : être authentiquement le Dasein tel qu’il était à chaque fois déjà. L’assomption de l’être-jeté, cependant, n’est possible que dans la mesure où le Dasein avenant peut être son « comme il était déjà à chaque fois » le plus propre, [326] c’est-à-dire son « été ». C’est seulement pour autant que le Dasein est en général comme je-suis-été qu’il peut advenir de manière avenante à soi-même, en re-venant. Authentiquement avenant, le Dasein est authentiquement été. Le devancement vers la possibilité extrême et la plus propre est le re-venir compréhensif vers l’« été » le plus propre. Le Dasein ne peut être été authentiquement qu’autant qu’il est avenant. L’être-été, d’une certaine manière, jaillit de l’avenir. EtreTemps65

Le en-avant-de-soi se fonde dans l’avenir. L’être-déjà-dans annonce en lui-même l’être-été. L’être-auprès… est rendu possible dans le présentifier. Néanmoins il nous est ici interdit, d’après ce qui vient d’être dit, de saisir le « avant » du « en-avant » et le « déjà » à partir de la compréhension vulgaire du temps. Le « en-avant » ne désigne pas un « devant » au sens du « maintenant-pas-encore… mais plus tard »; tout aussi peu le « déjà » signifie-t-il un « plus-maintenant… mais plus tôt ». Si les expressions « en-avant » et « déjà » avaient cette signification temporelle – que du reste elles peuvent aussi avoir -, parler de temporalité du souci reviendrait à dire qu’il est quelque chose qui est tout à la fois « plus tôt » et « plus tard », « pas encore » et « plus ». Le souci serait alors conçu comme un étant qui survient et se déroule « dans le temps ». L’être d’un étant avant le caractère du Dasein deviendrait un sous-la-main. Or si c’est là chose impossible, il faut que la signification temporelle des expressions citées soit autre. Le « avant » du « en-avant » indique l’avenir tel qu’il rend en général pour la première fois possible que le Dasein soit de telle manière qu’il y aille pour lui de son pouvoir-être. Le se-projeter, fondé dans l’avenir, vers le « en-vue-de soi-même » est un caractère d’essence de l’existentialité. Le sens primaire de celle-ci est l’avenir. [328] De même, le « déjà » désigne le sens d’être temporel existential de l’étant qui, pour autant qu’il est, est à chaque fois déjà jeté. C’est seulement parce que le souci se fonde dans l’être-été que le Dasein peut exister comme l’étant jeté qu’il est. « Aussi longtemps que » le Dasein existe facticement, il n’est jamais passé, mais il est bel et bien toujours déjà été au sens du «je suis-été ». Et il ne peut être été qu’aussi longtemps qu’il est. Nous qualifions au contraire de passé un étant qui n’est plus sous-la-main. Par suite, le Dasein, tandis qu’il existe, ne peut jamais se constater comme un fait sous-la-main qui naît et passe « avec le temps » et qui est déjà partiellement passé. Le Dasein ne « se trouve » jamais que comme fait jeté. Dans l’affection, le Dasein est assailli par lui-même comme l’étant que, étant encore, il était déjà, c’est-à-dire qui est constamment été. Le sens existential primaire de la facticité réside dans l’être-été. Par les expressions « en-avant » et « déjà », notre formulation de la structure du souci indique le sens temporel de l’existentialité et de la facticité. EtreTemps65

Le comprendre inauthentique se temporalise comme ce s’attendre présentifiant à l’unité [339] ekstatique duquel doit nécessairement appartenir un être-été correspondant. L’ad-venir à soi authentique de la résolution devançante est en même temps un re-venir au Soi-même le plus propre, jeté dans son isolement. C’est cette ekstase qui rend possible que le Dasein, en se résolvant, assume l’étant qu’il est déjà. Dans le devancement, le Dasein se ramène et se reconduit devant le pouvoir-être le plus propre. Nous appelons l’être-été authentique la répétition. Mais le se-projeter inauthentique vers les possibilités puisées dans l’objet de préoccupation [Besorgen] tandis que celui-ci est présentifié n’est possible qu’autant que le Dasein s’est oublié en son pouvoir-être jeté le plus propre. Un tel oubli n’est pas rien, ni seulement le défaut du souvenir, mais un mode ekstatique propre, « positif » de l’être-été. L’ekstase (échappée) de l’oubli a le caractère d’un désengagement fermé à soi-même devant l’«été » le plus propre, de telle sorte que ce désengagement devant… referme ekstatiquement le devant-quoi et, avec lui, soi-même. L’oubli comme être-été inauthentique se rapporte ainsi à l’être jeté et propre ; il est le sens temporel du mode d’être conformément auquel je suis été de prime abord et le plus souvent. Et c’est seulement sur la base de cet oubli que le présentifier qui se préoccupe et s’attend peut conserver – à savoir conserver l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig], mais fait encontre dans le monde ambiant. À ce conserver correspond une non-conservation, qui représente un « oubli » au sens dérivé. EtreTemps68

Le comprendre ne flotte jamais en l’air, mais est toujours affecté. Le Là est à chaque fois cooriginairement ouvert (ou refermé) par de la tonalité. L’être-intoné transporte le Dasein [340] devant son être-jeté, et cela de telle manière que celui-ci n’est pas connu comme tel, mais ouvert bien plus originairement sous la forme du « où l’on en est ». L’être-jeté veut dire existentialement : se trouver ainsi ou ainsi. Par suite, l’affection se fonde dans l’être-jeté. La tonalité représente la guise en laquelle je suis à chaque fois primairement l’étant jeté. Comment la constitution temporelle de l’être-intoné peut-elle se manifester ? Comment, à partir de l’unité ekstatique de la temporalité, la connexion existentiale entre affection et comprendre peut-elle se laisser apercevoir ? EtreTemps68

La tonalité ouvre selon la guise d’une conversion et d’un détournement du Dasein propre. Transporter devant le « que » de l’être-jeté propre – en le dévoilant authentiquement ou en le recouvrant inauthentiquement -, cela n’est possible existentialement que si l’être du Dasein, de par son sens propre, est constamment été. Ce n’est pas le transport devant l’étant jeté que l’on est en tant que On-même qui crée l’être-été, mais l’ekstase de celui-ci qui rend possible de se trouver selon la guise du se-trouver. Le comprendre se fonde primairement dans l’avenir, l’affection, au contraire, se temporalise primairement dans l’être-été. La tonalité se temporalise, autrement dit son ekstase spécifique appartient à un avenir et à un présent, mais de telle manière que c’est l’être-été qui modifie les ekstases cooriginaires. EtreTemps68

L’in-signifiance du monde ouverte dans l’angoisse dévoile la nullité [Nichtigkeit] de l’étant de la préoccupation [Besorgen], c’est-à-dire l’impossibilité de se projeter vers un pouvoir-être de l’existence qui serait primairement fondé en lui. Mais le dévoilement de cette impossibilité laisse en même temps luire la possibilité d’un pouvoir-être authentique. Or quel sens temporel ce dévoilement a-t-il ? L’angoisse s’angoisse pour le Dasein nu, en tant que jeté dans l’étrang(èr)eté. Elle reporte au pur « que » de l’être-jeté isolé le plus propre. Ce re-port ne présente pas le caractère d’un oubli qui esquive, mais pas non plus celui d’un souvenir. D’autre part, l’angoisse inclut tout aussi peu déjà une assomption répétitrice de l’existence dans la décision. En revanche, l’angoisse re-porte à l’être-jeté comme être-jeté répétable possible. Et de ce fait, elle dévoile conjointement la possibilité d’un pouvoir-être authentique qui, dans la répétition, doit revenir en tant qu’ad-venant vers le Là jeté. Transporter devant la répétabilité, telle est la modalité ekstatique spécifique de l’être-été qui constitue l’affection de l’angoisse. EtreTemps68

Cependant, l’une et l’autre tonalités, la peur et l’angoisse, ne « surviennent » jamais isolément dans un « courant de vécus », mais elles in-tonent, et ainsi déterminent, à chaque fois un comprendre – ou se déterminent à partir de lui. La peur a son occasion dans l’étant offert dans le monde ambiant à la préoccupation [Besorgen]. L’angoisse, au contraire, jaillit du Dasein même. La peur assaille à partir de l’intramondain. L’angoisse s’élève à partir de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme être pour la mort jeté. Comprise temporellement, cette « montée » de l’angoisse signifie ceci : l’avenir et le présent de l’angoisse se temporalisent à partir d’un être-été originaire au sens du re-porter vers la répétabilité. Mais à proprement parler, l’angoisse ne peut monter que dans un Dasein résolu. Celui qui est résolu ne connaît aucune peur, mais il comprend justement la possibilité de l’angoisse comme de cette tonalité qui ne l’inhibe ni ne l’égare. Elle libère de possibilités « nulles » et laisse devenir libre pour des possibilités authentiques. EtreTemps68

Mais cette thèse de la temporalité des tonalités, demandera-t-on, ne vaut-elle pas peut-être seulement des phénomènes que nous avons choisi d’analyser ? Comment, dans l’a-tonie blafarde qui règne dans la « grisaille quotidienne [alltäglich] », pourrait-on découvrir un sens temporel ? Et qu’en est-il de la temporalité de tonalités et d’affects comme l’espoir, la joie, l’enthousiasme, la sérénité radieuse ? Que non seulement la peur et l’angoisse, mais encore d’autres tonalités se fondent existentialement dans un être-été, c’est ce qui apparaît si l’on évoque simplement des phénomènes comme le dégoût, la tristesse, la mélancolie, le désespoir. Leur interprétation, du reste, doit être située sur la base élargie d’une analytique existentiale élaborée du Dasein. Cependant, même un phénomène comme l’espoir, qui semble être entièrement fondé dans l’avenir, doit être analysé de manière analogue à la peur. On a pu caractériser l’espoir, à la différence de la peur, qui se rapporte à un malum futurum, comme l’attente d’un bonum futurum. Cependant, ce qui est décisif pour la structure du phénomène, ce n’est pas tant le caractère « avenant » de ce à quoi l’espoir se rapporte que bien plutôt le sens existential de l’espérer lui-même. Ici aussi, son caractère de tonalité réside en ce qu’il est espérer-pour-soi. Celui qui espère s’emporte pour ainsi dire lui-même dans l’espoir, il se confronte à ce qu’il espère. Or cela suppose qu’il se soit gagné. Que l’espoir, par opposition à l’anxiété oppressante, soulage, cela indique simplement que cette affection demeure elle aussi rapportée à la charge sur le mode de l’être-été. Une tonalité exaltée, ou mieux exaltante, n’est possible ontologiquement qu’en un rapport temporalo-ekstatique du Dasein au fondement jeté de lui-même. EtreTemps68

Plus le présent est inauthentique, c’est-à-dire plus le présentifier vient vers lui-« même », et plus il fuit, en le refermant, devant un pouvoir-être déterminé – mais moins l’avenir peut alors revenir vers l’étant jeté. Dans le « ré-sulter » du présent, il y a en même temps un oubli croissant. Que la curiosité se tienne toujours déjà auprès de ce qui est prochain et ait oublié l’avant, ce n’est pas là un résultat qui se dégagerait seulement de la curiosité, mais bien la condition ontologique de celle-ci même. EtreTemps68

Le mode de temporalisation du « ré-sulter » du présent se fonde dans l’essence de la temporalité, qui est finie. Jeté dans l’être pour la mort, le Dasein fuit de prime abord et le plus souvent devant cet être-jeté dévoilé de manière plus ou moins expresse. Le présent ré-sulte de son avenir et de son être-été authentiques, pour ne faire advenir le Dasein à l’existence authentique qu’au prix d’un détour par soi. L’origine du « ré-sulter » du présent, c’est-à-dire de l’échéance dans la perte, est la temporalité originaire, authentique elle-même, qui rend possible l’être jeté pour la mort. EtreTemps68

De prime abord, le jet de l’être-jeté dans le monde n’est pas ressaisi par le Dasein ; la « mobilité » qui lui est propre ne vient pas à la « stabilité » du simple fait que le Dasein « est » désormais « là ». Le Dasein est lui-même entraîné dans l’être-jeté, autrement dit, en tant que jeté dans le monde, il se perd dans le « monde » conformément à son assignation factice à ce dont il a à se préoccuper. Le présent, qui constitue le sens existential de l’être-entraîné, ne conquiert jamais par lui-même un autre horizon ekstatique, à moins qu’il ne soit [349] ramené de sa perte par la décision, afin d’ouvrir, en tant qu’instant tenu, chaque situation, et, conjointement, la « situation limite » originaire de l’être pour la mort. EtreTemps68

Le Dasein existe en-vue-d’un pouvoir-être de lui-même. Existant, il est jeté, et, en tant que jeté, il est remis à de l’étant dont il a besoin pour pouvoir être comme il est, à savoir en-vue-de lui-même. Pour autant que le Dasein existe facticement, il se comprend dans la connexion du en-vue-de lui-même avec ce qui lui est à chaque fois un pour… Ce dans quoi le Dasein existant se comprend est « là » avec son existence factice. Le « où » de la compréhension primaire d’être a le mode d’être du Dasein. Celui-ci, existant, est son monde. EtreTemps69

Nous avons déterminé l’être du Dasein comme souci. Le sens ontologique du souci est la temporalité. Que et comment celle-ci constitue l’ouverture du Là, cela a été montré. Dans [365] l’ouverture du Là, le monde est co-ouvert. L’unité de la significativité [Bedeutsamkeit], c’est-à-dire la constitution ontologique du monde, doit donc également se fonder dans la temporalité. La condition temporalo-existentiale de possibilité du monde consiste en ce que la temporalité comme unité ekstatique a quelque chose comme un horizon. Les ekstases ne sont pas simplement des échappées vers… Bien plutôt un « vers-où » de l’échappée appartient-il à l’ekstase. Ce vers-où de l’ekstase, nous l’appelons le schème horizontal. L’horizon ekstatique est différent dans chacune des trois ekstases. Le schème où le Dasein, authentiquement ou inauthentiquement, advient à soi de manière avenante est le en-vue-de lui-même. Le schème où le Dasein est ouvert à lui-même en tant que jeté au sein de l’affection, nous le saisissons comme le devant-quoi de l’être-jeté ou le à-quoi de l’abandon. Il caractérise la structure horizontale de l’être-été. Existant en-vue-de lui-même dans l’abandon à lui-même en tant que jeté, le Dasein, en tant qu’être auprès,.., est en même temps présentifiant. Le schème horizontal du présent est déterminé par le pour… EtreTemps69

Le Dasein existe comme un étant pour lequel, en son être, il y va de cet être même. Essentiellement « en-avant-de soi » il s’est projeté, avant toute simple considération après coup de soi-même, vers son pouvoir-être. Dans le projet, il est dévoilé comme jeté. Remis par le jet au « monde », il échoit contre lui dans la préoccupation [Besorgen]. En tant que souci, c’est-à-dire existant dans l’unité du projet échéant-jeté, cet étant est ouvert comme Là. Étant-avec autrui, il se tient dans un être-explicité médiocre qui est articulé dans le parler et ex-primé dans la parole. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] s’est toujours déjà ex-primé, et, en tant qu’être auprès de l’étant qui lui fait encontre à l’intérieur du monde, il s’ex-prime constamment dans l’advocation et la discussion de l’étant même dont il se préoccupe. La préoccupation [Besorgen] circon-spectivement compréhensive se fonde dans la temporalité, et cela sur le mode du présentifier qui s’attend et conserve. En tant que, dans sa préoccupation [Besorgen], il calcule, planifie, pourvoit et prévient, il dit toujours déjà, que ce soit à haute voix ou non : « alors », cela doit arriver ; « d’abord », ceci doit être réglé ; « maintenant », il faut rattraper ce qui « alors » avait échoué et échappé. EtreTemps79

Si le Dasein facticement jeté peut « prendre » son temps ou le perdre, c’est uniquement parce qu’un « temps » est dévolu à lui en tant que temporalité ekstatiquement é-tendue, avec l’ouverture du Là fondée en celle-ci. EtreTemps79

Parce que le Dasein, par essence, existe en tant que jeté de manière échéante, il explicite son temps, en s’en préoccupant, selon la guise d’un calcul du temps. En celui-ci se temporalise la [412] « véritable » publication du temps, de telle sorte qu’il faut dire que l’être-jeté du Dasein est le fondement permettant qu’« il y ait » publiquement du temps. Afin d’assurer à la monstration de l’origine du temps public à partir de la temporalité factice toute son intelligibilité possible, nous étions tenus de caractériser d’abord en général le temps explicité dans la temporalité de la préoccupation [Besorgen], ne serait-ce que pour mettre en évidence que l’essence de la préoccupation [Besorgen] du temps ne réside pas dans l’application de déterminations numériques lors de la datation. EtreTemps80

L’être du Dasein est le souci. Cet étant existe en tant qu’étant jeté qui échoit. Abandonné au « monde » découvert avec son Là factice, assigné à lui dans la préoccupation [Besorgen], le Dasein s’attend à son pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] de telle manière qu’« il compte » avec et sur ce avec quoi, en-vue-de ce pouvoir-être, il retourne de façon finalement privilégiée. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] quotidien [alltäglich] circon-spect a besoin de la possibilité de vue, c’est-à-dire de la clarté, pour pouvoir entrer dans un usage préoccupé de l’à-portée-de-la-main à l’intérieur du sous-la-main. Avec l’ouverture factice de son monde, la nature est découverte pour le Dasein. Dans son être-jeté, il est livré au change du jour et de la nuit. Celui-là offre par sa clarté la vue possible, celle-ci l’ôte. EtreTemps80

Préoccupé de manière circon-specte, et s’attendant ainsi à la possibilité de voir, le Dasein, se comprenant à partir de son ouvrage du jour, se donne son temps par le « lorsqu’il fait jour ». Le « lors » de la préoccupation [Besorgen] est daté à partir de ce qui se tient avec l’avènement de la clarté dans la connexion de tournure [Bewandtnis] la plus proche qui soit au sein du monde ambiant : le lever du soleil. Lorsqu’il se lève, il est temps de… Le Dasein date donc le temps qu’il doit (se) prendre à partir de ce qui, dans l’horizon de l’abandon au monde, fait encontre à l’intérieur de celui-ci comme quelque chose avec lequel il retourne de manière privilégiée pour le pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] circon-spect. La préoccupation [Besorgen] fait usage de l’« être-à-portée-de-la-main » du soleil dispensant lumière et chaleur. Le soleil date le temps explicité dans la [413] préoccupation [Besorgen]. De cette datation naît la mesure la plus « naturelle » du temps, le jour. Et comme la temporalité du Dasein qui doit (se) prendre son temps est finie, ses jours sont également déjà comptés. Le « tant qu’il fait jour » donne au s’attendre préoccupé la possibilité de déterminer avec pré-voyance le « alors » de ce dont il se préoccupe, autrement dit de diviser le jour. Et la division s’accomplit derechef par rapport à ce qui date le temps : le mouvement du soleil. Tout comme le lever, le coucher et le midi sont des « places » privilégiées que l’astre occupe. De son passage régulièrement récurrent, le Dasein qui est jeté dans le monde et qui, temporalisant, se donne du temps tient compte. Le provenir du Dasein est, sur la base de l’explicitation datante du temps prédessinée à partir de son être-jeté dans le Là, un provenir journalier. EtreTemps80

Cette datation qui s’accomplit à partir de l’astre dispensateur de lumière et de chaleur et de ses « places » privilégiées dans le ciel, est une indication temporelle qui, dans l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] « sous le même ciel », peut s’accomplir pour « tout un chacun » en tout temps et de la même façon – et même, en un sens, de manière d’emblée unanime. Car ce qui date est disponible dans le monde ambiant, sans pourtant être restreint au monde d’outils à chaque fois offert à la préoccupation [Besorgen] : en effet, au sein de ce monde, c’est bien plutôt toujours déjà la nature du monde ambiant et le monde ambiant public qui est co-découvert [NA: Cf. supra, §15 [EtreTemps15], p. [66] sq.]. Sur cette datation publique où tout un chacun s’indique son temps, tout un chacun peut en même temps « compter », car elle utilise une mesure publiquement disponible. Cette datation compte avec le temps au sens d’une mesure du temps, laquelle a donc besoin d’un outil [Zeug] mesurant : d’une horloge. Par conséquent : avec la temporalité du Dasein jeté, abandonné au monde, qui se donne le temps est aussi déjà découvert quelque chose comme une « horloge », c’est-à-dire un étant à-portée-de-la-main qui est devenu accessible en son retour régulier dans le présentifier qui s’attend. L’être jeté auprès de l’à-portée-de-la-main se fonde dans la temporalité. Elle est le fondement de l’horloge. En tant que condition de possibilité de la nécessité factice de l’horloge, la temporalité conditionne en même temps sa découvrabilité ; car seul le présentifier s’attendant-conservant du parcours du soleil tel qu’il fait encontre avec l’être-découvert de l’étant intramondain permet et exige en même temps, en tant qu’il s’explicite, la datation à partir de l’à-portée-de-la-main publiquement présent dans le monde ambiant. EtreTemps80