Unzuhause [SZ]
Que l’angoisse comme affection fondamentale ouvre effectivement selon cette guise, la preuve la plus immédiate nous en est à nouveau apportée par l’explicitation quotidienne [alltäglich] du Dasein et le bavardage [Gerede]. L’affection, avons-nous dit en effet plus haut, manifeste « où l’on en est ». Dans l’angoisse, « c’est inquiétant », « c’est étrange ». Ici s’exprime d’abord l’indétermination spécifique de ce auprès de quoi le Dasein se trouve dans l’angoisse : le rien et nulle part. Mais ce caractère inquiétant, cette étrang(èr)eté signifie en même temps le ne-pas-être-chez-soi. En livrant la première indication phénoménale de la constitution fondamentale du Dasein et en clarifiant le sens existential de l’être-à par opposition à la signification catégoriale de l’« intériorité », nous avons déterminé le Dasein comme habiter auprès…, être familier avec… [NA: Cf. supra, § 12, p. [53] sq.] Ensuite, ce caractère de l’être-à fut manifesté plus concrètement par la publicité concrète du On, qui apporte le calme de l’auto-sécurité, l’« évidence » du « chez soi » dans la quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre du Dasein [NA: Cf. supra, § 27, p. [126] sq.]. L’angoisse, au contraire, ramène le [189] Dasein de son identification échéante au « monde ». La familiarité quotidienne [alltäglich] se brise. Le Dasein est isolé, mais comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’être-à revêt la « modalité » existentiale du hors-de-chez-soi. Ce n’est pas autre chose que veut dire l’expression d’« étrang(èr)eté ».
Ce devant-quoi fuit l’échéance comme fuite devient désormais visible phénoménalement. Elle fuit non pas devant l’étant intramondain, mais au contraire justement vers lui, comme vers l’étant auprès duquel la préoccupation [Besorgen], perdue dans le On [das Man], peut se tenir dans une familiarité rassurée. La fuite échéante dans le chez-soi de la publicité est fuite devant le hors-de-chez-soi, c’est-à-dire l’étrang(èr)eté qui se trouve dans le Dasein en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté, remis à lui-même en son être. Cette étrang(èr)eté traque incessamment le Dasein et menace, quoiqu’implicitement, sa perte quotidienne [alltäglich] dans le On [das Man]. Cette menace peut facticement s’assortir d’une totale sécurité et autarcie de la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich]. L’angoisse peut monter dans les situations les plus anodines. Il n’est pas non plus besoin de cette obscurité où, communément, l’étrang(èr)eté se produit plus facilement. Car dans l’obscurité, il n’y a en effet, en un sens fort. « rien » à voir — ce qui n’empêche justement que le monde est encore « là », et de façon plus insistante.
Que nous avons interprété ontologico-existentialement l’étrang(èr)eté du Dasein comme la menace qui touche le Dasein à partir de lui-même, cela ne revient pas à affirmer que l’étrang(èr)eté, dans l’angoisse factice, soit toujours déjà comprise en ce sens. Le mode quotidien [alltäglich] sur lequel le Dasein comprend l’étrang(èr)eté est le détournement échéant, qui « aveugle » le hors-de-chez-soi. Cependant, la quotidienneté [Alltäglichkeit] de cette fuite le montre phénoménalement : à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], à cette constitution essentielle du Dasein, qui, en tant qu’existentiale, n’est jamais sous-la-main, mais elle-même toujours en un mode du Dasein factice, c’est-à-dire une affection, appartient l’angoisse comme affection fondamentale. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] rassuré-familier est un mode de l’étrang(èr)eté du Dasein et non pas l’inverse. Le hors-de-chez-soi doit être conçu ontologico-existentialement comme le phénomène plus originaire. [EtreTemps40]