La base de pensée de la tradition européenne n’est pas, loin s’en faut, mise en question et encore moins ébranlée, lorsque l’on cherche à «compléter» l’explicitation de l’être orientée d’après la lumière et le langage par des modes «irrationnels» de la compréhension et par une utilisation de modèles issus, non de la vita contemplativa, mais du monde de l’action, de la dimension de l’amour ou bien même de la relation aux morts. (…) Fréquenter de manière opérative les modèles des choses et du monde tirés des sphères du travail, du combat, ou de l’amour et de la mort, ou même du jeu, pourrait conduire aux limites de la compréhension de l’être régnant jusqu’alors, compréhension assimilée, richement structurée conceptuellement. L’homme, pourrait-on demander, ne pense-t-il qu’avec des concepts, ou également (225) avec des symboles, et des images ayant teneur de monde ? La tête pensante de l’homme est le témoin de la main humaine œuvrante, agissante, du bras qui dirige les armes, des membres déliés dans le jeu et de la fonction phallique. Cela ne conduit pas simplement l’homme à réfléchir sur lui-même, au fait qu’il cherche à se connaître comme être de raison et de liberté, comme travailleur, combattant, joueur, amant et mortel — sa compréhension de l’être du monde et des choses devient le mode de compréhension et de pensée propre à la manière dont le travailleur, le combattant, l’amant et l’être consacré par la mort, le joueur vivent le monde. De tels phénomènes fondamentaux ne sont pas simplement des thèmes hautement pertinents pour l’anthropologie, ils sont, de manière plus originaire, des modes d’accomplissement et des voies de la compréhension. Cela est le plus généralement masqué par le rôle dominant du langage, lequel a toujours déjà explicité le monde, abordé l’étant, nommé les choses, mis en sûreté et fixé les choses en noms. Chacun se trouve déjà d’avance dans le langage — celui-ci pense préalablement depuis longtemps, avant qu’un individu commence à penser par lui-même et de façon autonome. Les actions langagières quotidiennes tout autant que la mythologie, la poésie, la philosophie et la science, commencent et finissent dans l’horizon de la compréhension de l’être vivante comme langage. Toute compréhension de l’être mise à jour, reflue à nouveau dans le langage général. La pensée appartient au langage, ne peut se déployer que dans son espace de sens. Cela ne signifie cependant pas qu’elle ne puisse que redire ce que le langage à déjà pré-dit, ni, par conséquent, que l’esprit critique de l’individu soit soumis à l’esprit commun objectif de la tradition. Une pensée est également possible dans le langage contre le langage, là où la rigueur du concept conduit rudement aux frontières du dicible. Face au caractère éculé du langage courant quotidien, écouter les sonorités plus secrètes, les indications verbales d’une plus grande profondeur de monde, d’une plus grande puissance d’être, peut avoir un sens profond. Pourtant si le verbe proche de l’origine est semblable parfois à la pythie qui prophétise en rêvant au milieu des fumées volcaniques, elle peut nous induire encore plus en erreur que le maître des oracles de Delphes. L’inéluctable attachement au langage, voire l’emprisonnement de la pensée humaine en (226) celui-ci a refoulé la vision qui nous montre à quel point notre compréhension, et aussi la pensée philosophante, est conduite à travers des voies de compréhension qui correspondent aux phénomènes fondamentaux co-existentiels. L’être n’est pas simplement un être contemplé et exprimé, il est aussi être expérimenté dans le combat, le travail, le jeu, la relation à la mort et l’amour. En tous les cas tout revient à empêcher un usage débridé de la fantaisie spéculative et à penser de façon critique les projets de monde.
Fink (1994b:224-225) – linguagem (Sprache)
- Depraz (1994:17-20) – Eugen Fink
- Fink (1966a:158-161) – alegoria da caverna
- Fink (1966b:20-22) – Édipo
- Fink (1966b:227-228) – essência do jogo
- Fink (1966b:228-230) – O homem sempre escolhe a si próprio
- Fink (1966b:230-231) – relação entre o homem e o mundo
- Fink (1966b:231-232) – a atividade lúdica
- Fink (1966b:232-234) – uma metáfora cósmica para compreensão do mundo?
- Fink (1966b:235) – O mundo é sem razão
- Fink (1966b:236) – o homem joga porque é “mundano”