Fink (1966b:7-8) – o jogo como objeto da filosofia

Il peut paraître étrange que l’on prenne le jeu pour thème d’un traité de philosophie. Selon l’idée que l’on se fait couramment de celle-ci, on ne peut guère rapprocher la rigueur et le sérieux de lai pensée abstraite de la tranquille gaieté du jeu qui se plaît à des représentations imagées. Jeu et pensée semblent ressortir à des attitudes opposées de l’existence. La naïveté du jeu qui mêle, sans s’en soucier, réalité et fantaisie et qui n’est pas « contaminé par la pâleur de la pensée » n’est-elle pas fort éloignée de tout examen critique et circonspect des choses, consistant à se demander sceptiquement si elles sont, ce qu’elles sont et comment elles sont. L’étrange, dans notre tentative de méditer sur le jeu, réside bien en ceci : il s’agit d’interroger un phénomène qui paraît se distinguer par le fait qu’en lui-même il est en dehors de toute question. Est-il même possible d’interroger quelque chose qui en soi ne comporte pas de question? Naturellement en tant que formule linguistique, une question est toujours possible à propos de n’importe quoi. On rencontre ici un faux radicalisme qui se donne à bon compte des allures de philosophie, mais en est réduit à considérer des choses et des circonstances qui ne lui sont que des prétextes pour exercer et laisser libre cours à sa manie de douter. Il s’enorgueillit de nier toute croyance naïve, de refuser toute chose qui s’offre comme étant et de pouvoir affirmer ainsi le Je vide dans toute la force de sa négation. Mais ce Je qui se croit grand par cette force de nier a constamment besoin de la substance du monde pour pouvoir se maintenir lui-même en le niant sans cesse; il est lui-même médiatisé par ce qu’il nie. Nous (8) avons là un scepticisme extrémiste, qui à force d’éviter toujours toute discipline dogmatique tombe dans le dogmatisme de la négation et représente ainsi une impuissance intellectuelle, puisqu’il est incapable de s’immerger dans la vie de la chose même. Douter de tout, se replier devant n’importe quoi dans l’attitude du Je qui refuse de croire, n’est pas une position de l’homme à l’égard du monde, qui vaudrait plus que l’abandon aux choses, naïf et vide de pensée, dans la quotidienneté. Certes la philosophie se tient dans la proximité de tous ces phénomènes de l’existence, dans lesquels est ébranlée l’immédiateté de l’accomplissement de notre vie. Elle est proche des expériences inquiétantes de la vie, proche de l’angoisse, de l’horreur, de la culpabilité, du doute et du désespoir, de la méfiance et du soupçon, de l’interrogation qui nous mine et nous tourmente. Tout ce qui nous écarte en quelque mesure de notre propre être et de l’être des choses, donne aussi à la philosophie le caractère de l’expérience vécue. Toutefois elle ne s’immobilise pas dans cette « situation distante ». Il lui importe plutôt, d’une façon décisive, de comprendre et de mettre en concepts l’existence humaine dans l’absence de questions, à partir de l’écart de la question. Notre établissement dans l’être compris du monde, notre immersion dans les choses, notre insertion dans la nature, l’entière, l’originelle naïveté de votre vie, soutenue par une confiance insondable dans l’être, c’est tout cela qu’il s’agit de saisir conceptuellement. C’est pour cette raison que la philosophie se trouve dans le voisinage des grandes passions, des tempêtes du cœur et de l’esprit, de la piété élémentaire qui unit les vivants aux morts, des délices de la sensualité par lesquels nous sentons l’« ici » et le terrestre Elle est voisine de l’éclat du beau par-dessus toutes les choses terrestres, elle est elle-même étonnement devant le miracle qu’est l’étant; et dans son étonnement palpite aussi une admiration du monde. À partir de la distance de la question, nous cherchons à comprendre l’installation de notre existence liée au monde. Ce qui fait la tension de la pensée philosophique, c’est qu’il lui faut être à la fois extrême éloignement et proximité très intime du monde, vérité critique et élan élémentaire de vie, réflexion et expérience originelle. Si on le considère de cette manière, le questionnement philosophique du jeu paraît tout à fait possible et plein de sens.

(FINK, Eugen. Le jeu comme symbole du monde. Tr. Hans Hildenbrand & Alex Lindenberg. Paris: Minuit, 1966, p. 7-8)