Gestimmtheitsein [SZ]
L’égalité d’âme sans trouble aussi bien que la mauvaise humeur contenue de la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich], le passage de l’une à l’autre et inversement, le glissement dans l’aigreur : ontologiquement, ces phénomènes ne sont pas rien, quand bien même ils sont pris pour ce qu’il y a de plus indifférent et de plus fugitif dans le Dasein, et ainsi passent inaperçus. Que des tonalités puissent s’altérer et virer du tout au tout, cela indique simplement que le Dasein est à chaque fois toujours déjà intoné. L’atonie, c’est-à-dire l’indifférence persistante, plate et terne, que rien n’autorise à confondre avec de l’aigreur, est si peu insignifiante que c’est en elle justement que le Dasein devient à charge pour lui-même. L’être est devenu manifeste comme un poids. Pourquoi, on ne le sait pas. Et si le Dasein ne peut pas savoir ces choses, c’est parce que les possibilités d’ouverture du connaître portent bien trop court par rapport à l’ouvrir originaire propre à ces tonalités mêmes où le Dasein est transporté devant son être comme Là. Derechef, il se peut qu’une tonalité exaltée délivre de la charge manifeste de l’être ; mais justement, même cette possibilité de tonalité ouvre — fût-ce en délivrant de lui — le caractère de fardeau du Dasein. La tonalité manifeste « où l’on en est et où l’on en viendra ». Dans cet « où », l’être-intoné transporte l’être en son « Là ».
Dans l’être-intoné, le Dasein est toujours déjà tonalement ouvert comme cet étant à qui le Dasein a été remis en son être comme être [NT: als dem Sein, das… : « être » est ici encore au datif, mais, pour éviter le charabia de BW, je traduis quant au sens. De toute façon, lieu et objet de ladite remise sont identiques.] qu’il a à être en existant. Mais « ouvert » ne
signifie pas connu comme tel, et c’est justement dans la quotidienneté [Alltäglichkeit] la plus indifférente et la plus anodine que l’être du Dasein peut percer dans la nudité de [cela] « qu’il est et a à être». Ce pur « qu’il est » se montre, mais son « d’où » et son « vers où » restent dans l’obscurité. Que le Dasein ne « cède » pas si quotidienne [alltäglich]ment à de telles tonalités, autrement dit qu’il ne [135] suive [NT: En l’occurrence : ne la prenne pas réflexivement en considération (nachgehen).] pas leur ouverture et ne se laisse pas transporter devant ce qu’elles ouvrent, cela n’est nullement une preuve contre l’état-de-fait phénoménal de l’ouverture tonale de l’être du Là en son « que », mais au contraire en sa faveur. La plupart du temps, le Dasein esquive ontico-existentiellement l’être ouvert dans la tonalité ; mais ce que cela signifie ontologico-existentialement, c’est ceci : dans ce vers quoi une telle tonalité ne se tourne pas, le Dasein est dévoilé dans son être-remis au Là. Dans l’esquive elle-même, le Là est en tant qu’ouvert. [EtreTemps29]