être-été

Gewesenheit [SZ]

Le comprendre inauthentique se temporalise comme ce s’attendre présentifiant à l’unité [339] ekstatique duquel doit nécessairement appartenir un être-été correspondant. L’ad-venir à soi authentique de la résolution devançante est en même temps un re-venir au Soi-même le plus propre, jeté dans son isolement. C’est cette ekstase qui rend possible que le Dasein, en se résolvant, assume l’étant qu’il est déjà. Dans le devancement, le Dasein se ramène et se reconduit devant le pouvoir-être le plus propre. Nous appelons l’être-été authentique la répétition. Mais le se-projeter inauthentique vers les possibilités puisées dans l’objet de préoccupation [Besorgen] tandis que celui-ci est présentifié n’est possible qu’autant que le Dasein s’est oublié en son pouvoir-être jeté le plus propre. Un tel oubli n’est pas rien, ni seulement le défaut du souvenir, mais un mode ekstatique propre, « positif » de l’être-été. L’ekstase (échappée) de l’oubli a le caractère d’un désengagement fermé à soi-même devant l’«été » le plus propre, de telle sorte que ce désengagement devant… referme ekstatiquement le devant-quoi et, avec lui, soi-même. L’oubli comme être-été inauthentique se rapporte ainsi à l’être jeté et propre ; il est le sens temporel du mode d’être conformément auquel je suis été de prime abord et le plus souvent. Et c’est seulement sur la base de cet oubli que le présentifier qui se préoccupe et s’attend peut conserver – à savoir conserver l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig], mais fait encontre dans le monde ambiant. À ce conserver correspond une non-conservation, qui représente un « oubli » au sens dérivé. EtreTemps68

Cependant, l’une et l’autre tonalités, la peur et l’angoisse, ne « surviennent » jamais isolément dans un « courant de vécus », mais elles in-tonent, et ainsi déterminent, à chaque fois un comprendre – ou se déterminent à partir de lui. La peur a son occasion dans l’étant offert dans le monde ambiant à la préoccupation [Besorgen]. L’angoisse, au contraire, jaillit du Dasein même. La peur assaille à partir de l’intramondain. L’angoisse s’élève à partir de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme être pour la mort jeté. Comprise temporellement, cette « montée » de l’angoisse signifie ceci : l’avenir et le présent de l’angoisse se temporalisent à partir d’un être-été originaire au sens du re-porter vers la répétabilité. Mais à proprement parler, l’angoisse ne peut monter que dans un Dasein résolu. Celui qui est résolu ne connaît aucune peur, mais il comprend justement la possibilité de l’angoisse comme de cette tonalité qui ne l’inhibe ni ne l’égare. Elle libère de possibilités « nulles » et laisse devenir libre pour des possibilités authentiques. EtreTemps68

Bien que ces deux modes de l’affection, peur et angoisse, se fondent primairement dans un être-été, leur origine respective, considérée par rapport à leur temporalisation à chaque fois propre au sein de la totalité du souci, est différente. L’angoisse naît de l’avenir de la [345] résolution, la peur naît du présent perdu, dont la peur prend timidement peur pour y succomber d’autant plus décidément. EtreTemps68

Mais cette thèse de la temporalité des tonalités, demandera-t-on, ne vaut-elle pas peut-être seulement des phénomènes que nous avons choisi d’analyser ? Comment, dans l’a-tonie blafarde qui règne dans la « grisaille quotidienne [alltäglich] », pourrait-on découvrir un sens temporel ? Et qu’en est-il de la temporalité de tonalités et d’affects comme l’espoir, la joie, l’enthousiasme, la sérénité radieuse ? Que non seulement la peur et l’angoisse, mais encore d’autres tonalités se fondent existentialement dans un être-été, c’est ce qui apparaît si l’on évoque simplement des phénomènes comme le dégoût, la tristesse, la mélancolie, le désespoir. Leur interprétation, du reste, doit être située sur la base élargie d’une analytique existentiale élaborée du Dasein. Cependant, même un phénomène comme l’espoir, qui semble être entièrement fondé dans l’avenir, doit être analysé de manière analogue à la peur. On a pu caractériser l’espoir, à la différence de la peur, qui se rapporte à un malum futurum, comme l’attente d’un bonum futurum. Cependant, ce qui est décisif pour la structure du phénomène, ce n’est pas tant le caractère « avenant » de ce à quoi l’espoir se rapporte que bien plutôt le sens existential de l’espérer lui-même. Ici aussi, son caractère de tonalité réside en ce qu’il est espérer-pour-soi. Celui qui espère s’emporte pour ainsi dire lui-même dans l’espoir, il se confronte à ce qu’il espère. Or cela suppose qu’il se soit gagné. Que l’espoir, par opposition à l’anxiété oppressante, soulage, cela indique simplement que cette affection demeure elle aussi rapportée à la charge sur le mode de l’être-été. Une tonalité exaltée, ou mieux exaltante, n’est possible ontologiquement qu’en un rapport temporalo-ekstatique du Dasein au fondement jeté de lui-même. EtreTemps68

L’a-tonie blafarde de l’indifférence, enfin, qui n’est attachée à rien, ne se presse vers rien et s’en remet à ce que chaque jour apporte, non sans alors emporter cependant d’une certaine manière toutes choses, illustre de la manière la plus frappante la puissance de l’oubli dans les tonalités quotidiennes [alltäglich] de la préoccupation [Besorgen] prochaine. Le « se laisser vivre » qui « laisse » également tout « être » comme il est, se fonde dans une remise oublieuse de soi à l’être-jeté. Il a le sens ekstatique d’un être-été inauthentique. L’indifférence, qui est tout à fait compatible avec un débordement d’activité, doit être nettement séparée de l’équanimité. Car cette tonalité provient de la résolution, qui est instantanée envers les situations possibles du pouvoir-être-tout ouvert dans le devancement vers la mort. [346] Seul peut être affecté un étant qui, selon son sens d’être, se-trouve, autrement dit qui, existant, a (est) déjà à chaque fois été et existe selon un mode constant de l’être-été. EtreTemps68

La curiosité est une tendance d’être privilégiée du Dasein, conformément à laquelle il se préoccupe d’un pouvoir-voir [NA: Cf. supra, §36 [EtreTemps36], p. [170] sq.]. « Voir » n’est pas ici restreint, pas plus que le concept de vue, au percevoir par les « yeux du corps ». L’accueillir, pris au sens large, laisse l’à-portée-de-la-main et le sous-la-main faire encontre [begegnen] en lui-même « en chair et en os » du point de vue de son a-spect. Ce laisser-faire-encontre se fonde dans un présent. Celui-ci donne en général l’horizon ekstatique à l’intérieur duquel de l’étant peut être présent en chair et en os. Si la curiosité, cependant, présentifie le sous-la-main, ce n’est pas pour le comprendre en séjournant auprès de lui, mais c’est en cherchant à voir seulement pour voir et pour avoir vu. Sous la figure de cette présentification prise à ses propres rets, la curiosité se tient dans une unité ekstatique avec un avenir et un être-été correspondants. L’avidité de nouveauté est sans doute une percée vers un non-encore-vu, mais de telle manière que le présentifier cherche à se [347] soustraire au s’attendre à… Si la curiosité est avenante, c’est de façon absolument inauthentique, et, si elle est telle, ce n’est pas non plus en s’attendant à une possibilité, mais en ne désirant déjà plus celle-ci, en son avidité, que comme quelque chose d’effectif. La curiosité est constituée par un présentifier sans retenue, qui, purement présentifiant, cherche ainsi constamment à se dérober au s’attendre à… où il est tout de même « tenu » sans retenue. Le présent « ré-sulte » du s’attendre à… correspondant au sens accentué d’un échapper à… Mais ce présentifier « ré-sultant » de la curiosité est si peu adonné à la « chose » qu’à peine une vue obtenue sur elle, il s’en détourne au profit de l’autre chose la plus proche. Ce présentifier qui « résulte » ainsi constamment du s’attendre à… une possibilité déterminée saisie rend ontologiquement possible le non-séjour qui caractérise la curiosité. Le présentifier ne « ré-sulte » pas du s’attendre à… en ce sens qu’il s’en détacherait pour ainsi dire ontiquement et le laisserait à lui-même. Le « ré-sulter » est une modification ekstatique du s’attendre à…, mais de telle manière que celui-ci sautille derrière le présentifier. Le s’attendre à… se sacrifie pour ainsi dire lui-même, et il ne laisse plus non plus des possibilités inauthentiques de préoccupation [Besorgen] ad-venir vers soi à partir de l’étant dont il se préoccupe, à moins qu’il ne s’agisse de possibilités offertes à un présentifier sans retenue. La modification ekstatique du s’attendre à… par le présentifier ré-sultant en un présentifier sautillant est la condition temporalo-existentiale de possibilité de la distraction. EtreTemps68

Le mode de temporalisation du « ré-sulter » du présent se fonde dans l’essence de la temporalité, qui est finie. Jeté dans l’être pour la mort, le Dasein fuit de prime abord et le plus souvent devant cet être-jeté dévoilé de manière plus ou moins expresse. Le présent ré-sulte de son avenir et de son être-été authentiques, pour ne faire advenir le Dasein à l’existence authentique qu’au prix d’un détour par soi. L’origine du « ré-sulter » du présent, c’est-à-dire de l’échéance dans la perte, est la temporalité originaire, authentique elle-même, qui rend possible l’être jeté pour la mort. EtreTemps68

Mais pour autant que l’être du Dasein est historial, c’est-à-dire qu’il est ouvert, sur le fondement de la temporalité ekstatico-horizontale, en son être-été, la thématisation du « passé » accomplissable dans l’existence a la voie libre. Et parce que le Dasein – et le Dasein seul – est originairement historial, il faut que ce que la thématisation historique propose comme objet possible à la recherche possède le mode d’être du Dasein ayant-été-Là. Avec le Dasein factice comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] est à chaque fois aussi l’histoire du monde. Que le Dasein ne soit plus Là, et le monde, lui aussi, est ayant-été-Là, et à cela ne contrevient [394] point le fait que l’à-portée-de-la-main auparavant intramondain ne passe pas encore, et, en tant que non-passé du monde qui a été Là, est « historiquement » trouvable pour un présent. EtreTemps76