être-au-monde

In-der-Welt-sein [SZ] ser-no-mundo [SZ] being-in-the-world [BT] ser en el mundo [SerTiempo]

Mais la pire méprise serait de vouloir expliquer cette proposition sur l’essence ek-sistante de l’homme comme si elle était: la transposition sécularisée et appliquée à l’homme d’une pensée de la théologie chrétienne sur Dieu (Deus est suum esse); car l’ek-sistence n’est pas plus la réalisation d’une essence, qu’elle ne produit ni ne pose elle-même la catégorie de l’essence. Comprendre le ” projet ” dont il est question dans Sein und Zeit, comme l’acte de poser dans une représentation, c’est le considérer comme une réalisation de la subjectivité, et ne point le penser comme seule peut être pensée ” l’intelligence de l’Être ” dans la sphère de l’” analytique existentiale ” de l’” être-au-monde “, c’est-à-dire comme la relation extatique à l’éclaircie de l’Être. Un achèvement et un accomplissement suffisant de cette pensée autre qui abandonne la subjectivité sont assurément rendus difficiles du fait que lors de la parution de Sein und Zeit, la troisième section de la première partie: Zeit und Sein ne fut pas publiée (voir Sein und Zeit, p. 39). C’est en ce point que tout se renverse. Cette section ne fut pas publiée, parce que la pensée ne parvint pas à exprimer de manière suffisante ce renversement et n’en vint pas à bout avec l’aide de la langue de la métaphysique. La conférence intitulée: Vom Wesen der Wahrheit, qui fut pensée et prononcée en 1930, mais imprimée seulement en 1943, fait quelque peu entrevoir la pensée du renversement de Sein und Zeit en Zeit und Sein. Ce renversement n’est pas une modification du point de vue de Sein und Zeit, mais en lui seulement la pensée qui se cherchait atteint à la région dimensionnelle à partir de laquelle Sein und Zeit est expérimenté et expérimenté à partir de l’expérience fondamentale de l’oubli de l’Être. CartaH: P 84-85

Parce qu’il est dit que l’être de l’homme consiste dans l’” être-au-monde “, on trouve que l’homme est réduit à une pure essence de l’en-deçà, ce qui fait sombrer la philosophie dans le positivisme. Car quoi de plus ” logique ” que ceci, à savoir que quiconque affirme la mondanité de l’être-homme n’accorde de prix qu’à l’endeçà, nie l’au-delà et refuse toute ” Transcendance ” ? ” CartaH: P 106

Le renvoi à l’” être-au-monde ” comme au trait fondamental de l’humanitas de l’homo humanus ne prétend pas que l’homme soit uniquement une essence ” mondaine ” comprise au sens chrétien, c’est-à-dire détournée de Dieu et complètement détachée de la ” Transcendance “. On entend sous ce mot ce qu’il serait plus clair d’appeler: le Transcendant. Le Transcendant est l’étant suprasensible. Il est donné comme l’étant le plus haut, au sens de la Cause première de tout étant. Dieu est pensé comme cette Cause première. Mais dans l’expression ” être-au-monde “, ” monde ” ne désigne nullement l’étant terrestre en opposition au céleste, pas plus que le ” mondain ” en opposition au ” spirituel “. Dans cette détermination, ” monde ” ne désigne absolument pas un étant ni aucun domaine de l’étant, mais l’ouverture de l’Être. L’homme est, et il est homme, pour autant qu’il est l’ek-sistant. Il se tient en extase vers l’ouverture de l’Être, ouverture qui est l’Être lui-même, lequel, en tant que ce qui jette, s’est acquis l’essence de l’homme en la jetant dans ” le souci “. Jeté de la sorte, l’homme se tient ” dans ” l’ouverture de l’Être. Le ” monde ” est l’éclaircie de l’Être dans laquelle l’homme émerge du sein de son essence jetée. L’” être-au-monde ” nomme l’essence de l’ek-sistence au regard de la dimension éclaircie, à partir de laquelle se déploie le ” ek- ” de l’ek-sistence. Pensé à partir de l’ek-sistence, d’une certaine manière le ” monde ” est précisément l’au-delà à l’intérieur de l’ek-sistence et pour elle. Jamais l’homme n’est d’abord homme en deçà du monde comme ” sujet “, qu’on entende ce mot comme ” je ” ou comme ” nous “. Jamais non plus il n’est d’abord et seulement un sujet qui serait en même temps en relation constante avec des objets, de sorte que son essence résiderait dans la relation sujet-objet. L’homme est bien plutôt d’abord dans son essence, ek-sistant dans l’ouverture de l’Être, cet ouvert seul éclaircissant l’” entre-deux ” à l’intérieur duquel une ” relation ” de sujet à objet peut ” être “. CartaH: P 110-111

C’est pourquoi, avec la détermination existentiale de l’essence de l’homme, rien n’est encore décidé de l’” existence de Dieu ” ou de son ” non-être “, pas plus que de la possibilité ou de l’impossibilité des dieux. Il est donc non seulement précipité, mais erroné dans sa démarche même, de prétendre que l’interprétation de l’essence de l’homme à partir de la relation de cette essence à la vérité de l’Être est un athéisme. Cetteclassification arbitraire dénote de surcroît un manque d’attention dans la lecture. On ne se soucie pas du fait que, depuis 1929, est porté ce qui suit dans l’écrit Vom Wesen des Grundes (p. 28, notre 1): ” L’interprétation ontologique de l’être-là comme être-au-monde ne décide ni positivement ni négativement d’un possible être pour Dieu. Mais sans doute l’éclairement de la Transcendance permet-il pour la première fois un concept suffisant de l’être-là, en fonction duquel on peut désormais se demander ce qu’il en est sur le plan ontologique du rapport de l’être-là à Dieu. ” Si maintenant l’on pense à courte vue, comme d’habitude, cette remarque même, on déclarera: cette philosophie ne se décide ni pour ni contre l’existence de Dieu. Elle reste cantonnée dans l’indifférence. La question religieuse n’a pas l’intérêt pour elle. Or un tel indifférentisme est la proie du nihilisme. CartaH: P 111-112

La pensée travaille à construire la maison de l’Être, maison par quoi l’Être, en tant que ce qui joint, enjoint à chaque fois à l’essence de l’homme, conforrnément au destin, d’habiter dans la vérité de l’Être. Cet habiter est l’essence de l’” être-au-monde ” (cf. Sein und Zeit, p. 54). L’ indication donnée en ce passage sur l’” être-dans ” comme ” habiter ” n’est pas un vide jeu étymologique. De même, dans la conférence de 1936, le renvoi à la parole de Hölderlin: Voll Verdienst, doch dichterisch wohnet der Mensch auf dieser Erde CartaH: P 120-121


L’expression complexe « être-au-monde [In-der-Welt-sein] » indique en sa formation même que c’est un phénomène unitaire qui est visé par là. Cette donnée primaire doit être aperçue en son tout. L’indissolubilité en parcelles subsistantes n’exclut point une pluralité de moments structurels constitutifs de cette constitution. Le phénomène indiqué par cette expression autorise en fait une triple perspective. Il est permis, tout en maintenant d’emblée la totalité du phénomène, d’y dégager : 1. Le « au-monde » : par rapport à ce moment, s’impose la tâche de s’enquérir de la structure ontologique du « monde » et de déterminer l’idée de la mondanéité [Weltlichkeit] comme telle (chapitre III de la présente section). 2. L’étant qui est selon la guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. S’enquérir de lui, c’est s’enquérir de ce que nous interpellons dans la question « qui ? » Une mise en lumière phénoménologique doit permettre de déterminer qui est sur le mode de la quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre du Dasein (chapitre IV). 3. L’être-à… comme tel ; la constitution ontologique de l’inhérence doit être mise en évidence (chapitre V). Toute mise en relief de l’un de ces moments constitutifs ne peut aller sans celle des autres, autrement dit : sans un aperçu, à chaque fois, sur le tout du phénomène. Si cependant l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] est une constitution a priori nécessaire du Dasein, il s’en faut de beaucoup qu’elle suffise à déterminer pleinement son être [NT: Telle quelle, cette phrase intermédiaire demeure ici assez obscure ; elle anticipe sur le §28 [EtreTemps28], où elle recevra son explication.]. Avant d’engager l’analyse thématique particulière des trois phénomènes à l’instant distingués, il convient donc, afin de lui procurer une orientation, de caractériser le dernier moment constitutif cité. EtreTemps12

Sont également des guises de la préoccupation [Besorgen] les modes déficients comme : s’abstenir, omettre, renoncer, se reposer, et enfin tous les modes relatifs à des possibilités de préoccupation [Besorgen] que l’on désigne par un « sans plus » [NT: Emprunté à BW, pour transposer « Nur noch » ; v. l’index.]. Le titre de « préoccupation [Besorgen] » présente d’abord une signification préscientifique, celle de : exécuter, liquider, « régler » une affaire [NT: En français, cela ne vaut point de « préoccupation [Besorgen] », que nous sommes obligés d’utiliser pour traduire Besorgen. Mais le lecteur « entendra » très bien cette phrase et la suivante en pensant par exemple à notre verbe « pourvoir (à … ) ».]. L’expression peut vouloir dire aussi : se préoccuper de quelque chose au sens de « se procurer quelque chose ». En outre, nous utilisons également l’expression dans la tournure [Bewandtnis] caractéristique : « je suis préoccupé de l’échec possible de cette entreprise ». « Se préoccuper » c’est alors quelque chose comme craindre. Par opposition à ces significations préscientifiques, ontiques, l’expression de « préoccupation [Besorgen] » est utilisée dans la présente recherche comme terme (comme existential) servant à désigner l’être d’un être-au-monde [In-der-Welt-sein] possible. Si l’on a choisi ce titre, ce n’est point par exemple parce que le Dasein serait d’abord et dans une large mesure économique et « pratique », mais parce que l’être du Dasein lui-même doit être manifesté comme souci. Cette dernière expression doit à son tour être saisie comme concept structurel ontologique (cf. chapitre VI de cette section). Le « souci » n’a rien à voir avec la « peine », les « ennuis », les « soucis de la vie » qui se rencontrent ontiquement en tout Dasein. Ces phénomènes ne sont possibles ontiquement – tout de même que l’« insouciance » et la « sérénité » – que parce que le Dasein ontologiquement compris est souci. C’est parce que l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] appartient essentiellement au Dasein que son être vis-à-vis du monde est essentiellement préoccupation [Besorgen]. EtreTemps12

L’être-à…, on l’a dit, n’est point une « qualité » que le Dasein possède à tel moment ou ne possède pas à tel autre, sans laquelle il pourrait être aussi bien qu’avec elle. L’homme n’« est » pas, en ayant encore et de surcroît un rapport d’être au « monde », que de temps en temps il exercerait. Le Dasein n’est jamais « d’abord » un étant pour ainsi dire « libre-d’être-à… », qui aurait occasionnellement envie d’assumer une « relation » au monde. Assumer de telles relations au monde n’est possible que parce que le Dasein est comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] ce qu’il est. Cette constitution d’être ne prend pas naissance du simple fait qu’en dehors de l’être qui a le caractère du Dasein est sous-la-main un autre type d’étant qui se rencontrerait avec lui. « Se rencontrer avec » le Dasein, cet autre étant ne le peut que pour autant qu’il peut en général se montrer à partir de lui-même à l’intérieur d’un monde. EtreTemps12

Mais, demandera-t-on, la détermination jusqu’ici proposée de cette constitution d’être ne s’enferme-t-elle pas exclusivement dans des énoncés négatifs ? Nous ne cessons d’apprendre ce que cet être-à… présumé si fondamental n’est pas. Assurément. Cependant, cette prépondérance de la caractérisation négative n’est point fortuite. Elle annonce bien plutôt elle-même la spécificité du phénomène, et par là elle est positive en un sens authentique, adéquat au phénomène lui-même. Si la mise en lumière phénoménologique de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] a le caractère d’un rejet des dissimulations et des recouvrements, c’est parce que ce phénomène est toujours déjà « vu » en quelque manière lui-même en tout Dasein. Et s’il en est ainsi, c’est parce qu’il est une constitution fondamentale du Dasein, parce qu’il est toujours déjà ouvert avec son être pour sa compréhension d’être. Néanmoins, le phénomène, la plupart du temps, est toujours déjà aussi radicalement mésinterprété, ou interprété de manière ontologiquement insuffisante. Et pourtant cette modalité même : « voir d’une certaine façon et quand même mésinterpréter le plus souvent » ne se fonde elle-même en rien d’autre qu’en cette constitution d’être même du Dasein conformément à laquelle il se comprend de prime abord lui-même – donc aussi son être-au-monde [In-der-Welt-sein] – à partir de l’étant et de l’être de l’étant qu’il n’est pas lui-même, mais qui lui fait encontre « à l’intérieur » de son monde. EtreTemps12

Dans le Dasein lui-même, au Dasein lui-même cette constitution d’être est toujours déjà en quelque manière « bien connue ». Or à partir du moment où elle doit être effectivement [59] connue, la connaissance expresse – en tant que connaissance du monde – se prend justement elle-même pour relation exemplaire de l’« âme » au monde [NT: Phrase « lourde » dans l’original, et en même temps trop expressive pour qu’on ait cru devoir la « refaire ». Heidegger parle du phénomène de la « connaissance du monde » presque comme d’une personne qui se fait passer pour ou « pose à » (sich nehmen zu… ) – en l’occurrence au « modèle » de tout être-au-monde [In-der-Welt-sein] possible. Comme c’est ici – comme toujours – de la modalité propre du phénomène qu’il s’agit, il est impossible d’affaiblir ce genre d’énoncés dans un sens métaphorique, et, par conséquent, de les traduire de manière autre que littérale.]. La connaissance du monde (noein) ou l’advocation et la discussion du « monde » (logos) fonctionne par conséquent comme le mode primaire de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] sans que celui-ci soit conçu comme tel. Or comme cette structure d’être demeure ontologiquement inaccessible, mais qu’elle est expérimentée ontiquement comme « relation » entre un étant (monde) et un autre étant (âme), comme enfin l’être est de prime abord compris grâce au point d’appui ontologique de l’étant en tant qu’intramondain, l’on tentera de concevoir cette relation entre les étants cités sur la base de ces étants et conformément au sens de leur être, bref comme être-sous-la-main. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein], bien qu’expérimenté et connu préphénoménologiquement, est rendu invisible par une interprétation ontologiquement inadéquate. On ne connaît plus maintenant cette constitution d’être – non sans la considérer comme quelque chose d’« évident » – que sous l’empreinte à elle imposée par l’interprétation inadéquate. Dès lors, elle deviendra ensuite le point de départ « évident » pour les problèmes de théorie de la connaissance ou de « métaphysique de la connaissance ». Car quoi de plus « évident » qu’un tel rapport d’un « sujet » à un « objet », et inversement ? Ce « rapport sujet-objet » doit nécessairement être présupposé. Néanmoins il demeure une présupposition parfaitement fatale, bien que, ou parce qu’inattaquable en sa facticité tant que sa nécessité ontologique et avant tout son sens ontologique sont laissés dans l’ombre. EtreTemps12

Même s’il était licite de déterminer d’abord ontologiquement l’être-à… à partir de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] connaissant, la tâche ne s’en imposerait pas moins en premier lieu de caractériser phénoménalement la connaissance comme un être-au-monde [In-der-Welt-sein] et pour le monde. Lorsque l’on réfléchit sur ce rapport d’être, est d’abord donné un étant, nommé nature, au titre de ce qui est connu. Or il est impossible de rencontrer le connaître lui-même à même cet étant. Si le connaître « est » en général, il appartient uniquement à l’étant qui connaît. Seulement, même dans cet étant, la chose-homme, le connaître n’est pas sous-la-main. En tout cas, il n’y est pas constatable extérieurement comme le sont par exemple des propriétés corporelles. Or si le connaître appartient à cet étant mais n’en est pas une propriété extérieure, il doit être « à l’intérieur ». Plus l’on établit univoquement que le connaître est d’abord et proprement « à l’intérieur » et qu’il n’a absolument rien du mode d’être d’un étant physique et psychique, et plus l’on croit progresser sans présupposés dans la question de l’essence de la connaissance et dans l’éclaircissement du rapport entre sujet et objet. Car c’est alors seulement que peut surgir un problème, c’est-à-dire la question de savoir comment ce sujet connaissant sort de sa « sphère » intérieure, comment il passe dans une sphère « autre et extérieure », comment le connaître peut en général avoir un objet, comment l’objet doit lui-même être pensé pour qu’en fin de compte le sujet le connaisse sans avoir besoin de risquer le saut dans une autre sphère. Mais, quelles que soient les multiples variantes de cette interrogation, toujours demeure tue la question du mode d’être de ce sujet connaissant dont pourtant l’on prend constamment et implicitement toujours déjà l’être pour thème lorsqu’on traite de son connaître. Sans doute, l’on assure à chaque fois que l’intérieur, la « sphère intérieure » du sujet n’est absolument pas pensée comme une « boîte » ou un « enclos ». Mais que signifie positivement l’« intérieur » de l’immanence où le connaître est de prime abord enfermé ? Comment le caractère d’être de cet « être-intérieur » du connaître se fonde-t-il dans le mode d’être du sujet ? Sur ces points, le silence règne. En fait, de quelque manière que cette sphère intérieure soit interprétée, dès l’instant qu’est posée la question de savoir comment le connaître peut réussir à en « sortir » et à conquérir une « transcendance », il apparaît avec éclat que l’on ne peut que trouver le [61] connaître problématique tant que l’on n’a point d’abord clarifié la modalité et l’essence de ce connaître si riche en énigmes. EtreTemps13

En adoptant un tel point de départ, on demeure aveugle à ce que la thématisation la plus provisoire du phénomène de la connaissance implique déjà tacitement : le connaître est un mode d’être du Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein], il a sa fondation ontique dans cette constitution d’être. À cette invocation de la donnée phénoménale selon laquelle le connaître est un mode d’être de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], on pourrait objecter que pareille interprétation du connaître revient à annuler le problème de la connaissance. Qu’est-ce qui peut bien en effet faire encore problème si l’on présuppose que le connaître est déjà auprès de ce monde que pourtant il ne doit atteindre que moyennant la transcendance du sujet ? Mais indépendamment du fait que cette dernière question procède manifestement d’un « point de vue » constructif, non légitimé phénoménalement, quelle instance décidera-t-elle donc de la question de savoir si et en quel sens doit exister un problème de la connaissance – quelle instance, sinon le phénomène du connaître lui-même et le mode d’être du connaissant ? EtreTemps13

Un regard sur l’ontologie traditionnelle nous apprend qu’en manquant l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme constitution du Dasein, on passe du même coup à côté du phénomène de la mondanéité [Weltlichkeit]. Au lieu de l’apercevoir, on tente d’interpréter le monde à partir de l’être de l’étant qui est sous-la-main de manière intramondaine, sans pour autant y être même d’abord découvert comme tel, c’est-à-dire à partir de la nature. La nature, entendue de manière ontologico-catégoriale, est un cas-limite de l’étant intramondain possible. Le Dasein ne peut découvrir l’étant comme nature qu’à l’intérieur d’un mode déterminé de son être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Ce connaître a le caractère d’une certaine démondanisation du monde. La « nature » comme ensemble catégorial des structures d’être d’un certain étant faisant encontre à l’intérieur d’un monde ne saurait en aucun cas rendre la mondanéité [Weltlichkeit] intelligible. De même le phénomène de la « nature » au sens du concept romantique de la nature, par exemple, n’est-il saisissable ontologiquement qu’à partir du concept de monde, c’est-à-dire à partir de l’analytique du Dasein. EtreTemps14

Que signifie le montrer d’un signe ? La réponse ne peut être obtenue que si nous déterminons le mode d’usage adéquat de l’outil [Zeug] monstratif, ce qui implique de saisir également son être-à-portée-de-la-main de manière authentique. Quel est donc le mode adéquat d’avoir-affaire-avec le signe ? Orientons-nous sur l’exemple cité de la flèche, et nous devons dire ceci : le comportement (être) correspondant au signe tel qu’il fait encontre est l’« écart » ou l’« arrêt » par rapport au véhicule équipé de la flèche. L’écart, en tant qu’il emprunte une certaine direction, appartient essentiellement à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] du Dasein. Celui-ci est toujours orienté et en chemin d’une certaine manière : s’arrêter et demeurer en place ne sont que des cas-limites de cet « en-chemin » orienté. Le signe s’adresse à un être-au-monde [In-der-Welt-sein] spécifiquement « spatial ». Le signe n’est justement pas proprement « saisi » si nous le fixons du regard, le constatons comme une chose monstrative survenante. Même si nous suivons du regard la direction montrée par la flèche et avisons quelque chose de sous-la-main dans la contrée vers laquelle cette flèche fait signe, le signe ne nous fait pas encontre à proprement parler. Le signe s’adresse à la circon-spection de l’usage préoccupé de manière telle que cette circon-spection, tandis qu’elle suit la consigne de ce signe et l’accompagne, acquière une « vue d’ensemble » expresse sur ce qui constitue à chaque fois l’ambiance du monde ambiant. Cette vue d’ensemble circon-specte ne saisit pas pour autant l’à-portée-de-la-main ; elle obtient bien plutôt une orientation à l’intérieur du monde ambiant. Une autre possibilité d’expérience du signe consiste en ce que la flèche fasse encontre en tant qu’outil [Zeug] appartenant au véhicule ; le caractère spécifique d’outil [Zeug] de la flèche n’a pas alors besoin d’être découvert ; l’indétermination peut demeurer complète quant à ce qu’elle doit montrer, et comment, et pourtant ce qui fait encontre n’est point pure chose. Par opposition à la trouvaille immédiate d’une multiplicité d’outils à bien des égards indéterminée, l’expérience de la chose requiert sa déterminité [Bestimmtheit] propre. EtreTemps17

Ce rôle prééminent que les signes, au sein de la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich], jouent dans la compréhension du monde, on pourrait être tenté de l’illustrer à partir de l’emploi abondant que le Dasein primitif fait de « signes », par exemple de fétiches et de sorts. Assurément l’institution de signes qui est à la base d’un tel emploi ne s’accomplit point dans une intention théorique, ni par le moyen d’une spéculation théorique. L’emploi des signes demeure alors complètement intérieur à un être-au-monde [In-der-Welt-sein] « immédiat ». Toutefois, à y regarder de plus près, il apparaît qu’une interprétation du fétiche et des sorts qui prendrait pour fil conducteur l’idée de signe ne peut absolument pas suffire pour saisir le mode d’« être-à-portée-de-la-main » [82] propre à l’étant qui fait encontre dans le monde primitif. Du point de vue du phénomène du signe, c’est plutôt l’interprétation suivante qui s’imposerait : pour l’homme primitif, le signe coïncide avec le montré. Le signe peut lui-même représenter le montré, non pas seulement en le remplaçant, mais en ce sens que le signe est lui-même toujours le montré. Toutefois, cette coïncidence remarquable du signe avec le montré ne provient nullement de ce que la chose-signe aurait déjà subi une certaine « objectivation », de ce qu’elle serait expérimentée comme pure chose et transportée dans la même région d’être du sous-la-main que le montré. La « coïncidence » en question n’est point l’identification de choses auparavant isolées, elle suppose plutôt que le signe ne s’est pas encore libéré du désigné. Un tel emploi de signes s’identifie encore totalement à l’être du montré, à tel point qu’un signe comme tel ne peut encore absolument pas se dégager. La coïncidence ne se fonde point dans une objectivation première, mais dans son absence totale. Or cela signifie que le signe n’est absolument pas découvert comme outil [Zeug], et, en fin de compte, que l’« à-portée-de-la-main » intramondain n’a absolument pas le mode d’être de l’outil [Zeug]. Peut-être même un tel fil conducteur – nous voulons dire l’être-à-portée-de-la-main, l’outil [Zeug] – est-il de nul profit pour une interprétation du monde primitif, et pas davantage du reste l’ontologie de la choséité [Dinglichkeit]. Si cependant il demeure vrai qu’une compréhension de l’être est constitutive du Dasein et du monde primitifs, alors le besoin ne s’en fait que plus vivement sentir d’élaborer l’idée « formelle » de la mondanéité [Weltlichkeit], autrement dit d’un phénomène qui soit modifiable en un sens tel que tous les énoncés ontologiques qui prétendent que, dans tel contexte phénoménal prédonné, quelque chose n’est pas encore ou n’est plus ceci ou cela, puissent recevoir un sens phénoménal positif à partir de ce que cette chose n’est pas. EtreTemps17

La tournure [Bewandtnis], tel est l’être de l’étant intramondain, l’être vers lequel il est à chaque fois déjà de prime abord libéré. Avec lui, en tant qu’étant, il retourne à chaque fois de ceci ou de cela. Cela, avoir une tournure [Bewandtnis], est la détermination ontologique de l’être de cet étant, et non pas un énoncé ontique à son sujet. Ce dont il retourne, voilà le pour-quoi de l’utilité et le à-quoi de l’employabilité. Avec le pour-quoi de l’utilité, il peut derechef retourner de… ; par exemple, avec cet étant à-portée-de-la-main que nous appelons, et pour cause, un marteau, ce dont il retourne, c’est de marteler ; avec ce martèlement, il retourne de consolider une maison ; avec cette consolidation, de se protéger des intempéries ; cette protection « est » en vue de l’abritement du Dasein, autrement dit en vue d’une possibilité de son être. De quoi retourne-t-il avec un étant à-portée-de-la-main, cela est à chaque fois prétracé à partir de la totalité de tournure [Bewandtnis]. La totalité de tournure [Bewandtnis] qui, par exemple, constitue en son être-à-portée-de-la-main l’étant à portée de la main dans un atelier, est « antérieure » à l’outil [Zeug] singulier ; de même, autre exemple, celle d’une ferme, avec l’ensemble de son matériel et de ses bâtiments. Mais la totalité de tournure [Bewandtnis] renvoie elle-même en dernière instance à un pour-quoi avec lequel il ne retourne plus de rien – autrement dit qui n’est plus un étant sur le mode d’être de l’à-portée-de-la-main à l’intérieur d’un monde, mais un étant dont l’être est déterminé comme être-au-monde [In-der-Welt-sein], à la constitution d’être duquel la mondanéité [Weltlichkeit] elle-même appartient. Ce pour-quoi primaire n’est plus un pour-cela comme « de » possible d’une tournure [Bewandtnis]. Le « pour-quoi » primaire est un en-vue-de-quoi. Mais le en-vue-de concerne toujours l’être du DASEIN, pour lequel en son être il y va toujours essentiellement de cet être. Nous n’avons pas encore à poursuivre plus avant la connexion indiquée, conduisant de la structure de la tournure [Bewandtnis] à l’être du Dasein en tant que en-vue-de-quoi authentique et unique. Préalablement, le « laisser-retourner » exige d’être suffisamment clarifié pour que nous portions le phénomène de la mondanéité [Weltlichkeit] à la déterminité [Bestimmtheit] requise pour pouvoir en général soulever les problèmes qui la concernent. EtreTemps18

Le laisser-retourner préalable de… avec… se fonde dans un comprendre de quelque chose comme le laisser-retourner, le « de » de la tournure [Bewandtnis] et le « avec » de la tournure [Bewandtnis]. Ce dernier, et aussi ce qui est encore à son fondement – ainsi le pour-quoi dont il retourne, et le en-vue-de-quoi auquel tout pour-quoi reconduit à son tour en dernière instance -, tout cela doit préalablement être ouvert en une certaine compréhensibilité. Et qu’est-ce dont que cela «où» le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] se comprend préontologiquement ? Dans la compréhension du complexe de rapports cité, le Dasein, sur la base d’un pouvoir-être saisi expressément ou non, authentique ou non, en vue duquel il est lui-même, s’est assigné à un pour… Celui-ci pré-trace un pour-quoi en tant que « de » possible d’un laisser-retourner, lequel laisse également retourner, de par sa structure propre, « avec » quelque chose. À partir d’un en-vue-de-quoi, le Dasein se renvoie toujours déjà à l’« avec » d’une tournure [Bewandtnis], c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois déjà, pour autant qu’il est, de l’étant faire encontre [begegnen] comme à-portée-de-la-main. Ce dans quoi le Dasein se comprend préalablement sur le mode du se-renvoyer n’est pas autre chose que ce vers quoi il laisse préalablement de l’étant faire encontre [begegnen]. Le « où » du comprendre auto-renvoyant comme « vers » du faire-encontre de l’étant sur le mode de la tournure [Bewandtnis], tel est le phénomène du monde. Et la structure de ce vers quoi le Dasein se renvoie est ce qui constitue la mondanéité [Weltlichkeit] du monde. EtreTemps18

Le comprendre – phénomène que nous aurons à analyser de plus près dans la suite (cf. §31 [EtreTemps31]) – tient les rapports indiqués dans une ouverture préalable. Dans le séjour familier au sein du monde ambiant, il se pro-pose ces rapports comme ce dans quoi son renvoyer se meut. Le comprendre se laisse lui-même renvoyer dans et par ces rapports. Le caractère de rapport de ces rapports du renvoyer, nous le saisissons comme signifier. Dans la familiarité avec ses rapports, le Dasein se « signifie » à lui-même, il se donne originairement son être et son pouvoir-être à comprendre du point de vue de son être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le en-vue-de signifie (NT: Le verbe signifier étant ici à prendre au sens actif) un pour…, celui-ci un pour-quoi, celui-ci encore un « de » du laisser-retourner, celui-ci enfin un « avec » de la tournure [Bewandtnis]. Ces rapports sont soudés entre eux en une totalité originaire – ils ne sont ce qu’ils sont que comme ce signifier où le Dasein se donne préalablement à lui-même son être-au-monde [In-der-Welt-sein] à comprendre. La totalité de rapports de ce signifier, nous la nommons la significativité [Bedeutsamkeit]. Elle est ce qui constitue la structure du monde – de ce où le Dasein comme tel est à chaque fois déjà. Le Dasein est, en sa familiarité avec la significativité [Bedeutsamkeit], la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant qui fait encontre dans un monde sur le mode d’être de la tournure [Bewandtnis] (être-à-portée-de-la-main) et peur ainsi s’annoncer en son être-en-soi. Le Dasein est, en tant que tel, toujours celui-ci ou celui-là ; avec son être est toujours déjà essentiellement découvert un contexte d’étant à-portée-de-la-main – le Dasein, pour autant qu’il est, s’est à chaque fois déjà assigné à un « monde » qui lui fasse encontre, à son être appartient essentiellement cette assignation. EtreTemps18

La significativité [Bedeutsamkeit] ouverte, en tant que constitution existentiale du Dasein, de son être-au-monde [In-der-Welt-sein], est la condition ontique de possibilité de la découvrabilité d’une totalité de tournure [Bewandtnis]. EtreTemps18

L’être-à-portée-de-la-main préalable de chaque contrée possède, en un sens plus originaire encore que l’être de l’étant à-portée-de-la-main, le caractère de la familiarité sans imposition. Elle ne devient elle-même visible sur le mode de l’imposition que dans une découverte circon-specte de l’à-portée-de-la-main, et certes dans les modes déficients de la préoccupation [Besorgen]. C’est souvent parce que quelque chose n’est pas trouvé à sa place que la contrée de la place devient expressément accessible comme telle pour la première fois. L’espace découvert dans l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] circon-spect comme spatialité de la totalité d’outils appartient à chaque fois comme sa place à l’étant lui-même. Le simple espace demeure encore voilé. L’espace a éclaté en places. Toutefois, cette spatialité, du fait de la totalité mondiale de tournure [Bewandtnis] propre à l’à-portée-de-la-main spatial, possède son unité propre. Le « monde ambiant » ne s’aménage pas dans un espace prédonné, mais sa mondanéité [Weltlichkeit] spécifique, en sa significativité [Bedeutsamkeit], articule le complexe de tournure [Bewandtnis] à chaque fois propre à une totalité de places assignées par la circon-spection. Le monde découvre à chaque fois la spatialité de l’espace qui lui appartient. Le laisser-faire-encontre de l’à-portée-de-la-main dans son espace du monde ambiant n’est jamais possible ontiquement que parce que le Dasein est lui-même « spatial » du point de vue de son être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps22

Par é-loignement [Entfernung] – le mot désignant un mode d’être du Dasein considéré en son être-au-monde [In-der-Welt-sein] – nous n’entendons point quelque chose comme l’éloignement (proximité) ou même une distance, un écart. Ce terme d’é-loignement [Entfernung], nous l’employons dans un sens actif et transitif. Il désigne une constitution d’être du Dasein, par rapport à laquelle le fait d’éloigner ou d’écarter quelque chose ne représente qu’une modalité déterminée, factice. É-loigner veut dire faire disparaître le lointain, c’est-à-dire l’être-éloigné, de quelque chose – approcher. Le Dasein est essentiellement é-loignant, c’est-à-dire qu’il laisse à chaque fois, comme l’étant qu’il est, de l’étant venir à l’encontre dans la proximité. L’é-loignement [Entfernung] découvre l’éloignement. Celui-ci, tout comme la distance, est une détermination catégoriale de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein [Daseinsmässig]. L’é-loignement [Entfernung], au contraire, doit être établi comme existential. C’est seulement dans la mesure où de l’étant est en général découvert pour le Dasein en son être-éloigné que deviennent accessibles dans l’étant intramondain lui-même des « éloignements » et des distances par rapport à autre chose. Sinon, deux points sont tout aussi peu éloignés l’un de l’autre que ne le sont en général deux choses, s’il est vrai qu’aucun de ces étants, de par son mode d’être, ne peut é-loigner. Tout au plus ont-ils une distance trouvable et mesurable dans l’é-loigner. EtreTemps23

Le Dasein, en son être-au-monde [In-der-Welt-sein], se tient essentiellement dans un é-loigner. Cet é-loi-gnement – le lointain de l’à-portée-de-la-main vis-à-vis de lui-même – le Dasein ne peut jamais le survoler. Certes l’« éloignement » d’un à-portée-de-la-main vis-à-vis du Dasein peut lui-même devenir trouvable par lui en tant que distance lorsqu’il est déterminé par rapport à une chose considérée comme sous-la-main à la place que le Dasein a auparavant occupée. Cet entre-deux de la distance, le Dasein peut après coup le traverser, mais seulement à condition que la distance en question soit elle-même é-loignée. Son é-loignement [Entfernung], cependant, le Dasein l’a alors si peu survolé qu’il l’a bien plutôt constamment emporté avec lui, et même l’emporte toujours puisqu’il est essentiellement é-loignement [Entfernung], autrement dit spatial. Le Dasein ne peut pas circuler dans l’orbe de chacun de ses é-loignement [Entfernung]s, il ne peut jamais que les modifier. Le Dasein est spatial selon la guise de la découverte circon-specte de l’espace, et cela de telle manière qu’il se comporte constamment de manière é-loignante vis-à-vis de l’étant qui lui fait ainsi spatialement encontre. EtreTemps23

Le laisser-faire-encontre de l’étant intramondain constitutif de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] est un « donner-espace ». Cette donation d’espace, que nous appelons aussi aménagement, est la libération de l’à-portée-de-la-main vers sa spatialité. En tant que prédonation d’une totalité possible de places déterminée par la tournure [Bewandtnis], cet aménager rend à chaque fois possible l’orientation factice. Si le Dasein, en tant que préoccupation [Besorgen] circon-specte pour le monde, peut déménager, débarrasser ou « réaménager » l’étant, c’est seulement parce qu’à son être-au-monde [In-der-Welt-sein] appartient l’aménagement compris comme existential. Seulement, ni la contrée à chaque fois d’emblée découverte, ni en général chaque spatialité ne se tiennent expressément sous le regard. En soi, elle se tient dans la non-imposition propre à l’à-portée-de-la-main à la préoccupation [Besorgen] duquel la circon-spection s’identifie, et elle ne fait face qu’à cette dernière. Avec l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], l’espace est de prime abord découvert en cette spatialité. C’est sur le sol de la spatialité ainsi découverte que l’espace devient lui-même accessible au connaître. EtreTemps24

Au Dasein, conformément à son être-au-monde [In-der-Welt-sein], de l’espace découvert est à chaque fois – bien que non thématiquement – prédonné. L’espace en lui-même, en revanche, demeure de prime abord encore recouvert quant aux possibilités pures, contenues en lui, de pur être-spatial de quelque chose. Que l’espace se montre essentiellement dans un monde, cela ne décide encore rien sur la modalité de son être. Il n’a pas besoin d’avoir le mode d’être d’un étant lui-même sous-la-main ou à-portée-de-la-main spatialement. De ce que l’être de l’espace ne peut pas lui-même être compris selon le mode d’être de la res extensa, il ne s’ensuit ni qu’il doive être ontologiquement déterminé comme un « phénomène » de cette res – auquel [113] cas il ne se distinguerait pas d’elle en son être -, ni même que l’être de l’espace puisse être identifié à celui de la res cogitans et conçu comme simplement « subjectif », cela étant dit abstraction faite de la problématicité propre de l’être de ce sujet. EtreTemps24

Cependant, la caractérisation du faire-encontre des autres s’oriente à nouveau à chaque fois sur le Dasein propre. Est-ce à dire qu’elle parte elle aussi d’un « Moi » privilégié et isolé, de telle manière qu’il faille ensuite chercher un passage conduisant de ce sujet isolé vers autrui ? Pour éviter ce contresens, il convient de préciser en quel sens nous parlons ici des « autres ». « Les autres », cela ne veut pas dire : tout le reste des hommes en-dehors de moi, dont le Moi se dissocierait – les autres sont bien plutôt ceux dont le plus souvent l’on ne se distingue pas soi-même, parmi lesquels l’on est soi-même aussi. Cet être-Là-aussi avec eux n’a pas le caractère ontologique d’un être-sous-la-main « ensemble » à l’intérieur d’un monde. L’« avec » est ici à la mesure du Dasein [Daseinsmässig], le « aussi » désigne une mêmeté d’être comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé de manière circon-specte. L’« avec » et le « aussi » doivent être compris existentialement, non pas catégorialement. Sur la base de ce caractère d’avec propre à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], le monde est à chaque fois toujours déjà celui que je partage avec les autres. Le monde du Dasein est monde commun [Mitwelt]. L’être-à est être-avec [Mitsein] avec les autres. L’être-en-soi intramondain de ceux-ci est être-Là-avec [Mitdasein]. EtreTemps26

Le Dasein se comprend de prime abord et le plus souvent à partir de son monde, et de même c’est à partir de l’à-portée-de-la-main intramondain que fait diversement encontre l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui. Même lorsque les autres deviennent pour ainsi dire thématiques en leur Dasein, ils ne font pas encontre en tant que choses-personnes sous-la-main, mais nous les rencontrons « au travail », c’est-à-dire, primairement, dans leur être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Même si nous voyons l’autre « en train de ne rien faire », il n’est pas saisi comme chose-homme sous-la-main, mais ce « ne rien faire » est un mode existential d’être, celui qui consiste à côtoyer, sans préoccupation [Besorgen] ni circon-spection, tout le monde et personne. L’autre fait encontre en son être-Là-avec [Mitdasein] dans le monde. EtreTemps26

Non seulement l’être pour autrui est un rapport d’être autonome, irréductible, mais, en tant qu’être-avec [Mitsein], il est déjà étant avec l’être du Dasein. Sans doute on ne peut contester que la connaissance réciproque qui croît sur le sol de l’être-avec [Mitsein] ne dépende souvent de la mesure en laquelle le Dasein propre s’est à chaque fois lui-même compris ; mais cette mesure est tout au plus celle en laquelle il s’est rendu transparent – et n’a point dissimulé – l’être-avec [Mitsein] essentiel avec d’autres, ce qui n’est possible que si le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] est à chaque fois déjà avec autrui. L’« Einfühlung », bien loin de constituer l’être-avec [Mitsein], n’est possible que sur sa base, et elle n’est motivée que par les modes déficients prédominants de l’être-avec [Mitsein] considérés en leur nécessité inéluctable. EtreTemps26

L’expression ontiquement figurée de lumen naturale dans l’homme ne vise rien d’autre [133] que la structure ontologico-existentiale selon laquelle cet étant est de telle manière qu’il est son là. Il est « éclairé », autrement dit : il est en lui-même éclairci comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] – non point par un autre étant, mais de telle manière qu’il est lui-même l’éclaircie. C’est seulement pour un étant ainsi existentialement éclairci que du sous-la-main devient accessible dans la lumière, retiré dans les ténèbres. Le Dasein apporte nativement avec lui son Là ; privé de lui, non seulement il n’est pas facticement, mais encore il n’est absolument pas l’étant d’une telle essence. Le Dasein est son ouverture. EtreTemps28

C’est ce que manifeste l’aigreur. Dans l’aigreur, le Dasein devient aveugle à lui-même, le monde ambiant de la préoccupation [Besorgen] se voile, la circon-spection de la préoccupation [Besorgen] se fourvoie. L’affection est si peu réfléchie qu’elle tombe justement sur le Dasein tandis qu’il est adonné et livré sans réfléchir au « monde » dont il se préoccupe. La tonalité assaille. Elle ne vient ni de l’« extérieur », ni de l’« intérieur », mais, en tant que guise de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], elle monte de celui-ci même. Or, avec cette détermination, nous sommes en mesure de dépasser une simple délimitation négative de l’affection par rapport à la saisie réflexive de [137] l’« intérieur » et d’accéder à un aperçu positif dans son caractère d’ouverture. La tonalité a à chaque fois déjà ouvert l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] en tant que totalité, et c’est elle qui permet pour la première fois de se tourner vers… L’être-intoné ne se rapporte pas de prime abord à du psychique, il n’est pas lui-même un état intérieur qui s’extérioriserait ensuite mystérieusement pour colorer les choses et les personnes. Et c’est en quoi se manifeste le second caractère d’essence de l’affection. Elle est un mode existential fondamental de l’ouverture cooriginaire du monde, de l’être-Là-avec [Mitdasein] et de l’existence, parce que celle-ci est elle-même essentiellement être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps29

Les moments constitutifs du phénomène plein de la peur peuvent varier. De là résultent des possibilités d’être diverses de l’avoir-peur. À la structure d’encontre du menaçant appartient le faire-approche au sein de la proximité. Tandis qu’un menaçant s’engage lui-même soudainement en son « certes pas encore, et pourtant à tout instant » dans l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé, la peur devient de l’effroi. Dans le menaçant, il faut par conséquent distinguer : le faire-approche prochain du menaçant et le mode d’encontre de l’approchement lui-même, la soudaineté. Le devant-quoi de l’effroi est de prime abord quelque chose de bien connu et de familier. Si en revanche le menaçant a le caractère de l’absolument non-familier, la peur devient horreur. Et lorsqu’enfin un menaçant fait encontre selon le caractère de l’horrible et a en même temps le caractère d’encontre de l’effrayant, la soudaineté, la peur devient épouvante. Nous connaissons encore d’autres modifications de la peur sous les noms de timidité, de réserve, d’anxiété, de surprise. En tant que possibilités du se-trouver (affection), toutes ces modifications renvoient au fait que le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] est « intimidé ». Mais cette « intimidation » fondamentale doit être comprise non dans le sens ontique d’une disposition factice, « rare », mais comme une possibilité existentiale de l’affection essentielle du Dasein en général, qui naturellement n’en est pas la possibilité unique. EtreTemps30

D’autre part, le comprendre authentique aussi bien qu’inauthentique peuvent derechef être véridiques ou fallacieux. Le comprendre, en tant que pouvoir-être, est radicalement transi de possibilité. Mais se transporter dans l’une de ces possibilités fondamentales du comprendre ne signifie pas dépouiller l’autre. Comme le comprendre concerne bien plutôt à chaque fois la pleine ouverture du Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein], le fait de se transporter, pour le comprendre, est une modification existentiale du projet en son tout. Dans le comprendre du monde, l’être-à est toujours co-compris, et le comprendre de l’existence comme telle est toujours un comprendre du monde. EtreTemps31

Dans le projet du comprendre, de l’étant est ouvert en sa possibilité. Le caractère de possibilité correspond à chaque fois au mode d’être de l’étant compris. L’étant intramondain en général est projeté vers le monde, c’est-à-dire vers un tout de significativité [Bedeutsamkeit], dans les rapports de renvoi de laquelle la préoccupation [Besorgen] comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] s’est d’entrée de jeu fixée. Lorsque de l’étant intramondain est découvert avec l’être du Dasein, autrement dit lorsqu’il est venu à compréhension, nous disons qu’il a du sens. Cependant, ce qui est compris, ce n’est pas en toute rigueur le sens, mais l’étant – ou l’être. Le sens est ce en quoi la compréhensibilité de quelque chose se tient. Ce qui est articulable dans l’ouvrir compréhensif, nous l’appelons le sens. Le concept de sens embrasse la structure formelle de ce qui appartient nécessairement à ce que l’explicitation compréhensive articule. Le sens est le vers-quoi, tel que structuré par la pré-acquisition, la pré-vision [Vor-sicht] et l’anti-cipation, du projet à partir duquel quelque chose devient compréhensible comme quelque chose. Dans la mesure où comprendre et explicitation forment la constitution existentiale de l’être du Là, le sens doit être conçu comme la structure formelle-existentiale de l’ouverture qui appartient au comprendre. Le sens est un existential du Dasein, non pas une propriété qui s’attache à l’étant, est « derrière » lui ou flotte quelque part comme « règne intermédiaire ». De sens, le Dasein n’en « a » que pour autant que l’ouverture de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] est « remplissable » par l’étant découvrable en elle. Seul le Dasein, par suite, peut être sensé ou in-sensé. Ce qui veut dire que son être propre et l’étant ouvert avec lui peut être approprié dans la compréhension ou rester interdit à l’in-compréhension. EtreTemps32

3. Énoncé signifie communication, prononcement. En tant que tel, il a un rapport direct à l’énoncé au premier et au deuxième sens. Il est un faire-voir-avec de ce qui est mis en évidence selon la guise du déterminer. Ce faire-voir-avec partage l’étant mis en évidence en sa déterminité [Bestimmtheit] avec les autres. Ce qui est « partagé », c’est l’être – voyant en commun – pour le mis en évidence, un tel être pour… lui devant être pensé être-au-monde [In-der-Welt-sein] – à ce monde à partir duquel le mis en évidence fait encontre. À l’énoncé comme communication ainsi comprise existentialement appartient l’être-ex-primé. Le contenu énoncé en tant que communiqué peut être « partagé » avec l’énonçant par les autres, sans que ceux-ci aient eux même dans une proximité saisissable et visible l’étant mis en évidence et déterminé. Le contenu énoncé peut être « re-dit ». Le cercle de cette vision communicative s’élargit. Mais en même temps, il se peut que l’étant mis en évidence, en étant ainsi re-dit, soit justement à nouveau voilé, quand bien même ce savoir et ce connaître qui proviennent ainsi d’un ouï-dire visent encore et toujours l’étant lui-même et ne se contentent pas d’« affirmer » à son propos un « sens passant pour valable ». Même le ouï-dire est un être-au-monde [In-der-Welt-sein] et un être pour… ce qui est ouï. EtreTemps33

S’il est vrai que le parler est constitutif de l’être du Là, c’est-à-dire de l’affection et du comprendre, et aussi que Dasein veut dire : être-au-monde [In-der-Welt-sein], le Dasein comme être-à parlant s’est toujours déjà ex-primé. Le Dasein a la parole. Est-ce un hasard si les Grecs, dont l’exister quotidien [alltäglich] s’était transporté de manière prépondérante dans le parler-l’un-avec-l’autre, et qui n’en avaient pas moins « des yeux pour voir », déterminèrent l’essence de l’homme, dans leur interprétation tant pré-philosophique que philosophique du Dasein, comme zoon logon echon ? L’interprétation postérieure de cette définition de l’homme au sens de l’animal rationale, de l’« être vivant raisonnable », n’est certes point « fausse », mais elle recouvre le sol phénoménal où cette définition du Dasein avait été puisée. L’homme se montre comme un étant qui parle. Cela ne signifie pas qu’il a en propre la possibilité de l’ébruitement vocal, mais que cet étant est selon la guise de la découverte du monde et du Dasein lui-même. Les Grecs n’ont pas de mot pour la Sprache (parole, langue), ils comprirent « de prime abord » ce phénomène au sens du parler. Toutefois, comme c’est le logos, lui-même interprété surtout comme énoncé, qui vint sous le regard pour la méditation philosophique, l’élaboration des structures fondamentales des formes et des éléments du parler s’accomplit au fil conducteur de ce logos. La grammaire chercha ses fondements dans la « logique » de ce logos. Mais celle-ci se fonde dans l’ontologie du sous-la-main. La donnée fondamentale, passée dans la linguistique postérieure, et encore absolument décisive aujourd’hui, des « catégories de significations » est orientée sur le parler comme énoncé. Si l’on prend en revanche ce phénomène dans toute l’originarité et l’ampleur fondamentales d’un existential, alors il résulte de là la nécessité d’un déplacement de la science du langage sur des fondements ontologiquement plus originaires. La tâche de libérer la grammaire de la logique requiert préalablement une compréhension positive des structures fondamentales [166] aprioriques du parler en général en tant qu’existential, elle ne saurait être exécutée après coup au moyen d’améliorations et de compléments apportés à la tradition. Dans cette perspective, il s’impose de s’enquérir des formes fondamentales d’une articulation significative possible du compréhensible en général, et non pas seulement de l’étant intramondain tel qu’il est connu dans une considération théorique et exprimé dans des propositions. La doctrine de la signification ne saurait résulter spontanément d’une comparaison, si vaste soit-elle, de langues aussi nombreuses et éloignées que possible ; et pas davantage ne suffit-il, pour la constituer, de faire sien par exemple l’horizon philosophique à l’intérieur duquel W.v. Humboldt a posé le problème de la langue. La doctrine de la signification est enracinée dans l’ontologie du Dasein. Sa promotion ou son dépérissement dépendent des destinées de celle-ci [NA: Sur la doctrine de la signification, cf. E. HUSSERL, Recherches logiques, éd citée, t. II, Recherches I et IV à VI, puis le traitement plus radical de cette problématique dans Ideen, t. I, §§12 [EtreTemps12]3 sq., p. 255 sq.]. EtreTemps34

En revenant jusqu’aux structures existentiales de l’ouverture de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], notre interprétation a d’une certaine manière perdu des yeux la quotidienneté [Alltäglichkeit] du Dasein. Cet horizon phénoménal qu’elle s’était donnée pour thème, l’analyse doit maintenant le [167] reconquérir. La question est donc maintenant celle-ci : quels sont les caractères existentiaux de l’ouverture de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] pour autant que celui-ci se tient, en tant que quotidien [alltäglich], dans le mode d’être du On ? Est-ce qu’une affection spécifique, un comprendre, un parler, un expliciter particuliers appartiennent à celui-ci ? La solution de ces questions devient d’autant plus urgente si nous rappelons que le Dasein, de prime abord et le plus souvent, s’identifie au On et en subit la domination. Le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] jeté n’est-il pas justement d’abord jeté dans la publicité du On ? Et qu’est-ce que cette publicité signifie d’autre que l’ouverture spécifique du On ? EtreTemps34

Ce titre, qui n’exprime aucune valorisation négative, doit signifier ceci : de prime abord et le plus souvent, le Dasein est auprès du « monde » dont il se préoccupe. Cette identification a le plus souvent le caractère de la perte dans la publicité du On. De prime abord, le Dasein est toujours déjà retombé de lui-même comme pouvoir-être-Soi-même authentique, et il est échu sur le « monde ». L’être-échu sur le « monde » désigne l’identification à l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] pour autant que celui-ci est conduit par le bavardage [Gerede], la curiosité et l’équivoque. Ce que nous appelions l’inauthenticité du Dasein (NA: §9 [EtreTemps9]) reçoit [176] maintenant de l’interprétation de l’échéance une détermination plus aiguë. Cependant inauthenticité et non-authenticité ne signifient nullement que le Dasein, en un tel mode d’être, perdrait en général son être. L’inauthenticité désigne si peu quelque chose comme un ne-plus-être-au-monde [In-der-Welt-sein] qu’elle constitue précisément un être-au-monde [In-der-Welt-sein] privilégié qui est complètement pris par le « monde » et par l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui dans le On [das Man]. Le ne-pas-être-lui-même fonctionne comme possibilité positive de l’étant qui s’identifie essentiellement au monde par sa préoccupation [Besorgen]. Ce non-être doit nécessairement être conçu comme le plus prochain mode d’être du Dasein, celui où il se tient le plus souvent. EtreTemps38

Par suite, l’interprétation ontologico-existentiale n’émet pas non plus d’énoncé ontique sur la « corruption de la nature humaine », et, si elle s’en abstient, ce n’est pas du tout parce que les moyens nécessaires pour la prouver lui font défaut, mais parce que sa problématique est antérieure à tout énoncé sur la corruption ou l’intégrité. L’échéance est un concept [180] ontologique du mouvement. Ontiquement, il n’est en rien décidé par là si l’homme a « déchu », « s’est noyé dans le péché », s’il se trouve dans le status corruptionis ou dans le status integritatis, ou encore dans un état intermédiaire, le status gratiae. Cependant la foi et la « conception du monde », dès l’instant qu’elles se prononcent dans tel ou tel sens et prononcent sur le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein], devront faire retour vers les structures existentiales qui ont été dégagées, à supposer du moins que leurs énoncés élèvent en même temps une prétention à la compréhension conceptuelle. EtreTemps38

Ce qui oppresse, ce n’est pas ceci et cela, pas non plus la somme totale du sous-la-main, mais la possibilité de l’à-portée-de-la-main en général, c’est-à-dire le monde lui-même. Lorsque l’angoisse s’est apaisée, le parler quotidien [alltäglich] a coutume de dire : « au fond, ce n’était rien ». Cette formule touche en effet ontiquement ce que c’était. Le parler quotidien [alltäglich] porte sur une préoccupation [Besorgen] pour, et une discussion sur l’à-portée-de-la-main. Ce devant-quoi l’angoisse s’angoisse, ce n’est rien de l’étant à-portée-de-la-main intramondain. Mais ce rien de l’étant à-portée-de-la-main que le parler quotidien [alltäglich] circon-spect comprend seul n’est pas un rien total. Le rien d’être-à-portée-de-la-main se fonde dans le « quelque chose » le plus originel, dans le monde. Mais le monde appartient ontologiquement de manière essentielle à l’être du Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Si par conséquent c’est le rien, c’est-à-dire le monde comme tel qui se dégage comme le devant-quoi de l’angoisse, cela veut dire que ce devant-quoi l’angoisse s’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] lui-même. EtreTemps40

L’angoisse n’est pas seulement angoisse devant…, mais, en tant qu’affection, angoisse en-vue-de [NT: Angst um… Sur la préposition um, même remarque que supra, p. [141] et N.d.T.]… Ce en-vue-de, ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse n’est pas un mode d’être déterminé, une possibilité déterminée du Dasein. Car la menace, étant elle-même indéterminée, ne peut donc pas percer – en le menaçant – jusqu’à tel ou tel pouvoir-être facticement concret. Ce pour-quoi l’angoisse s’angoisse est l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] lui-même. Dans l’angoisse, l’à-portée-de-la-main intramondain, et en général l’étant intramondain, sombre. Le « monde » ne peut plus rien offrir, et tout aussi peu l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui. L’angoisse ôte ainsi au Dasein la possibilité de se comprendre de manière échéante à partir du « monde » et de l’être-explicité public. Elle rejette le Dasein vers ce pour-quoi il s’angoisse, vers son pouvoir-être-au-monde [In-der-Welt-sein] authentique. L’angoisse isole le Dasein vers son être-au-monde [In-der-Welt-sein] le plus propre, qui, en tant que compréhensif, se projette essentiellement vers des possibilités. Par [188] suite, avec le pour-quoi [en-vue-de-quoi] du s’angoisser, l’angoisse ouvre le Dasein comme être-possible, plus précisément comme ce qu’il ne peut être qu’à partir de lui-même, seul, dans l’isolement. EtreTemps40

L’angoisse manifeste dans le Dasein l’être-pour le pouvoir-être le plus propre, c’est-à-dire l’être-libre pour la liberté du se-choisir-et-se-saisir-soi-même. L’angoisse place le Dasein devant son être-libre-pour (propensio in…) l’authenticité de son être en tant que possibilité qu’il est toujours déjà. Or c’est en même temps à cet être que le Dasein comme être-au-monde [In-der-Welt-sein] est remis. EtreTemps40

Ce pour-quoi [en-vue-de-quoi] l’angoisse s’angoisse se dévoile comme ce devant-quoi elle s’angoisse : l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’identité du devant-quoi de l’angoisse et de son pour-quoi s’étend même jusqu’au s’angoisser lui-même. Car celui-ci est en tant qu’affection un mode fondamental de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’identité existentiale de l’ouvrir avec l’ouvert, identité telle qu’en cet ouvert le monde est ouvert comme monde, l’être-à comme pouvoir-être isolé, pur, jeté, atteste qu’avec le phénomène de l’angoisse c’est une affection insigne qui est devenue le thème de l’interprétation. L’angoisse isole et ouvre ainsi le Dasein comme « solus ipse ». Ce « solipsisme » existential, pourtant, transporte si peu une chose-sujet isolée dans le vide indifférent d’une survenance sans-monde qu’il place au contraire le Dasein, en un sens extrême, devant son monde comme monde, et, du même coup, lui-même devant soi-même comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. EtreTemps40

Que l’angoisse comme affection fondamentale ouvre effectivement selon cette guise, la preuve la plus immédiate nous en est à nouveau apportée par l’explicitation quotidienne [alltäglich] du Dasein et le bavardage [Gerede]. L’affection, avons-nous dit en effet plus haut, manifeste « où l’on en est ». Dans l’angoisse, « c’est inquiétant », « c’est étrange ». Ici s’exprime d’abord l’indétermination spécifique de ce auprès de quoi le Dasein se trouve dans l’angoisse : le rien et nulle part. Mais ce caractère inquiétant, cette étrang(èr)eté signifie en même temps le ne-pas-être-chez-soi. En livrant la première indication phénoménale de la constitution fondamentale du Dasein et en clarifiant le sens existential de l’être-à par opposition à la signification catégoriale de l’« intériorité », nous avons déterminé le Dasein comme habiter auprès…, être familier avec… [NA: Cf. supra, §12 [EtreTemps12], p. [53] sq.] Ensuite, ce caractère de l’être-à fut manifesté plus concrètement par la publicité concrète du On, qui apporte le calme de l’auto-sécurité, l’« évidence » du « chez soi » dans la quotidienneté [Alltäglichkeit] médiocre du Dasein [NA: Cf. supra, §27 [EtreTemps27], p. [126] sq.]. L’angoisse, au contraire, ramène le [189] Dasein de son identification échéante au « monde ». La familiarité quotidienne [alltäglich] se brise. Le Dasein est isolé, mais comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’être-à revêt la « modalité » existentiale du hors-de-chez-soi. Ce n’est pas autre chose que veut dire l’expression d’« étrang(èr)eté ». EtreTemps40

Pour saisir ontologiquement la totalité du tout structurel du Dasein, nous devons d’abord poser la question suivante : le phénomène de l’angoisse, avec ce qui s’ouvre en lui, est-il capable de nous donner phénoménalement le tout du Dasein de manière suffisamment cooriginaire pour que le regard qui en cherche la totalité puisse se remplir dans cette donnée ? La réalité globale de ce que cette donnée inclut peut être enregistrée dans l’énumération formelle suivante : le s’angoisser est, en tant qu’affection, une guise de l’être-au-monde [