Au cours de nos élucidations préparatoires (§9 (EtreTemps9)), nous avons déjà discerné un certain nombre de caractères d’être, qui doivent jeter sur la suite de notre recherche une lumière sûre, mais n’obtiendront en même temps leur concrétion structurale que de cette recherche même. (53) Le Dasein est l’étant qui, se comprenant en son être, se rapporte à cet être (NT: Autre traduction possible de cette phrase ambiguë : « Le Dasein est l’étant qui, en son être, se rapporte compréhensivement à cet être » (ainsi en substance, BW).). Ainsi est indiqué le concept formel d’existence. Le Dasein existe. Le Dasein, en outre, est l’étant que je suis à chaque fois moi-même. Au Dasein existant appartient la mienneté comme condition de possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité. Le Dasein existe à chaque fois en l’un de ces modes, ou dans leur indifférence modale. EtreTemps12
L’être-à… au contraire, désigne une constitution d’être du Dasein, c’est un existential. Ce qui revient à dire que l’expression ne saurait évoquer l’être-sous-la-main d’une chose corporelle (corps humain) « dans » un étant sous-la-main. L’être-à… nomme si peu une « inclusion » spatiale d’étants sous-la-main que le mot « in », à l’origine, ne signifie même pas une relation spatiale comme celle qu’on vient de citer (NA: Cf. Jakob GRIMM, Kleinere Schriften, t. VII, p. 247.); « in » provient de « innan », habiter, avoir séjour ; « an » signifie : je suis habitué à, familier de, j’ai coutume de… ; le mot a le sens de colo, c’est-à-dire habito et diligo. Cet étant auquel appartient l’être-à … en ce sens, nous le caractérisions comme l’étant que je suis à chaque fois moi-même. L’expression « bin » (« suis ») est patente du mot « bei » (« auprès de ») ; « ich bin » (je suis) signifie derechef j’habite, je séjourne auprès de – du monde tel qu’il m’est familier. Sein (être) en tant qu’infinitif du « ich bin » (je suis), c’est-à-dire compris comme existential, veut dire habiter auprès de…, être familier de… L’être-à… est donc l’expression existentiale formelle de l’être du Dasein en tant qu’il a la constitution essentielle de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). EtreTemps12
En apparence, nos indications formelles au sujet des déterminité (Bestimmtheit)s fondamentales du Dasein (cf. §9 (EtreTemps9)) ont déjà fourni la réponse à la question de savoir qui cet étant (le Dasein) est à chaque fois. Le Dasein est un étant que je suis à chaque fois moi-même, son être est mien. Cette détermination indique une constitution ontologique, mais elle ne fait pas plus. Elle contient en même temps l’indication ontique – au demeurant grossière – selon laquelle c’est à chaque fois un Je qui est cet étant, et non pas autrui. La question qui ? puise sa réponse dans le Je lui-même, dans le « sujet », le « Soi-même ». Le qui est ce qui se maintient identique dans le changement des comportements et des vécus, et qui se rapporte alors à cette multiplicité. Ontologiquement, nous le comprenons comme ce qui est à fois, déjà et constamment sous-la-main dans et pour une région close – comme ce qui gît au fond en un sens éminent : subjectum. Celui-ci, en tant qu’il reste même dans une altérité multiple, a le caractère du Soi-même. On peut bien récuser l’idée de substance de l’âme, de la choséité (Dinglichkeit) de la conscience (Gewissen) ou d’objectivité de la personne, il n’en reste pas moins que, du point de vue ontologique, l’on continue de poser quelque chose dont l’être conserve explicitement ou non le sens de l’être-sous-la-main. La substantialité, tel est le fil conducteur ontologique de la détermination de l’étant à partir duquel la question du qui ? reçoit réponse. Tacitement, le (115) Dasein est d’emblée conçu comme sous-la-main ; à tout le moins l’indétermination de son être implique-t-elle toujours ce sens d’être. Et pourtant, l’être-sous-la-main est le mode d’être de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). EtreTemps25
Mais qu’est-ce donc que cette « conscience (Gewissen) publique », qu’est-ce d’autre que… la voix du On ? Le Dasein ne peut en arriver à l’invention douteuse d’une « conscience (Gewissen) universelle » que parce que la conscience (Gewissen), en son fond et son essence, est mienne. Et cela non seulement au sens où c’est à chaque fois le pouvoir-être le plus propre qui est ad-voqué, mais parce que l’appel vient de l’étant que je suis à chaque fois moi-même. EtreTemps57
La structure ontologique de l’étant que je suis à chaque fois moi-même trouve son centre dans l’autonomie de l’existence. Comme le Soi-même ne peut être conçu ni comme substance, ni comme sujet, mais se fonde dans l’existence, l’analyse du Soi-même inauthentique, du On, est restée entièrement remise à l’interprétation préparatoire du Dasein (NA: Cf. §§25 (EtreTemps25) sq., p. 113 sq.). Or maintenant que l’ipséité a été expressément reprise dans la structure du souci, donc de la temporalité, l’interprétation temporelle du maintien ou de l’absence de maintien du Soi-même obtient un poids propre. Elle requiert une exposition thématique séparée. Toutefois, elle n’apporte pas seulement la bonne garantie contre les paralogismes et les questions ontologiquement inadéquates concernant l’être du Moi en général, mais en même temps, conformément à sa fonction centrale, elle procure un aperçu plus originaire dans la structure de temporalisation de la temporalité. Celle-ci se dévoile comme l’historialité du Dasein. La proposition : le Dasein est historial, se confirme comme énoncé ontologico-existential fondamental. Elle est sans commune mesure avec la constatation simplement ontique du fait que le Dasein survient dans une « histoire du monde ». Néanmoins, l’historialité du Dasein est le fondement d’un comprendre historique possible, lequel à son tour implique la possibilité d’une configuration proprement assumée de l’histoire comme science. EtreTemps66