étant prédonné

Du reste, il n’y a en réalité dans la problématique qu’on vient de caractériser aucun cercle. L’étant peut très bien être déterminé en son être sans que pour cela le concept explicite [8] du sens de l’être doive être déjà disponible. Autrement, aucune connaissance ontologique n’aurait jamais pu se constituer, et l’on ne saurait en nier l’existence de fait. L’« être » est assurément « présupposé » dans toutes les ontologies antérieures, mais non pas en tant que concept disponible – non pas comme ce comme quoi il est recherché. La « présupposition » de l’être a le caractère d’une prise préalable de perspective sur l’être, de telle manière qu’à partir de cette perspective l’étant prédonné soit provisoirement articulé en son être. Cette perspective directrice sur l’être jaillit de la compréhension moyenne de l’être où nous nous mouvons toujours déjà et qui finalement appartient à la constitution essentielle du Dasein. Un tel « présupposer » n’a rien à voir avec la postulation d’un principe d’où une suite de propositions serait déductivement dérivée. S’il ne peut y avoir en général de « cercle démonstratif » dans la problématique du sens de l’être, c’est parce que ce dont il y va avec la réponse à cette question n’est point une fondation déductive, mais la mise en lumière libérante d’un fond. EtreTemps2

Si nous rassemblons, dans un regard unitaire sur la plénitude du phénomène, les trois sens analysés de l’« énoncé », sa définition sera donc celle-ci : une mise en évidence communicativement déterminante. La question reste seulement de savoir de quel droit nous prenons en général l’énoncé pour un mode de l’explicitation. S’il est quelque chose de tel, il faut que les structures essentielles de l’explicitation réapparaissent en lui. La mise en évidence de l’énoncé s’accomplit sur la base de l’étant déjà ouvert – ou circon-spectivement découvert – dans le comprendre. L’énoncé n’est pas un comportement flottant en l’air qui pourrait de lui-même et primairement ouvrir de l’étant en général, mais il se tient toujours déjà sur la base de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Ce qui a été montré antérieurement [NA: Cf. supra, §13 [EtreTemps13], p. [59] sq.] au sujet de la connaissance du monde [157] ne vaut pas moins de l’énoncé. Il a besoin d’une pré-acquisition d’un étant en général ouvert, qu’il met en évidence selon la guise du déterminer. En outre, l’attitude déterminatrice implique déjà une prise de perspective orientée sur l’étant à énoncer. Ce vers quoi l’étant prédonné est avisé reçoit dans l’accomplissement de la détermination la fonction de déterminant. L’énoncé a besoin d’une pré-vision [Vor-sicht], où le prédicat à dégager et à assigner est lui-même pour ainsi dire réveillé de son inclusion tacite dans l’étant lui-même. Enfin, à l’énoncé comme communication déterminante appartient à chaque fois une articulation significative de l’étant mis en évidence, l’énoncé se meut dans une conceptualité déterminée ; le marteau est lourd, la gravité advient au marteau, le marteau a la propriété de la gravité. Le plus souvent, l’anti-cipation toujours déjà impliquée elle aussi dans l’énoncer ne s’impose pas, parce que la langue abrite à chaque fois déjà en soi une conceptualité élaborée. L’énoncé, comme l’explicitation en général, a nécessairement ses fondements existentiaux dans la pré-acquisition, la pré-vision [Vor-sicht] et l’anti-cipation. EtreTemps33

Par suite, le mode d’être du Dasein requiert d’une interprétation ontologique qui s’est donné pour but l’originarité de la mise en lumière phénoménale qu’elle conquière l’être de cet étant contre sa propre tendance au recouvrement. Selon les prétentions, ou plus précisément selon la suffisance de l’« évidence » rassurée de l’explicitation quotidienne [alltäglich], l’analyse existentiale a donc constamment un caractère de violence, caractère qui, s’il marque de façon privilégiée l’ontologie du Dasein, ne s’en attache pas moins à toute interprétation dans la [312] mesure où la compréhension qui se configure en elle a la structure du projeter. Seulement, celui-ci n’exige-t-il pas un guidage et une régulation propre ? Où donc les projets ontologiques prendront-ils l’évidence de l’adéquation phénoménale de leur « données » ? L’interprétation ontologique projette un étant prédonné vers l’être qui lui est propre, afin de le porter au concept en sa structure. Mais où se trouvent les indicateurs de la direction du projet, pourtant nécessaires pour qu’elle atteigne en général l’être ? Où sont-ils, si l’étant qui devient thématique pour l’analytique existentiale va même jusqu’à retirer, dans sa guise d’être, l’être qui lui appartient ? Le traitement de ces questions devra d’abord se restreindre à la clarification – par elles exigée – de l’analytique du Dasein. EtreTemps63