L’ouvrage à produire, en tant qu’il est ce pour-quoi sont le marteau, le rabot, l’aiguille a lui aussi le mode d’être de l’outil (Zeug). La chaussure à produire est pour être portée (outil (Zeug)-chaussure), la montre fabriquée est pour lire l’heure. L’ouvrage qui fait encontre de façon privilégiée dans l’usage préoccupé – le travail en chantier – laisse toujours déjà coapparaitre, dans l’employabilité qui lui appartient essentiellement, le pour… de son employabilité. Quant à l’ouvrage à faire, il n’est que sur la base de son usage et du complexe de renvois de l’étant découvert en celui-ci. EtreTemps15
Le monde n’est pas lui-même un étant intramondain, et pourtant il détermine cet étant à tel point qu’il ne peut faire encontre (begegnen) et, en tant qu’étant découvert, se montrer en son être que pour autant qu’il « y a » monde. Mais comment « y a-t-il » monde ? Si le Dasein est constitué ontiquement par l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) et si une compréhension d’être de son Soi-même appartient – si indéterminée soit-elle – tout aussi essentiellement à son être, n’a-t-il pas alors une compréhension du monde, une compréhension préontologique, laquelle se passe certes et peut se passer d’aperçus ontologiques explicites ? Est-ce que quelque chose comme le monde ne se manifeste pas à l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) préoccupé en même temps que l’étant rencontré à l’intérieur du monde, c’est-à-dire que son intramondanéité (Weltlichkeit) ? Ce phénomène ne vient-il pas sous un regard préphénoménologique, et ne se tient-il pas toujours déjà sous un tel regard sans exiger une interprétation thématiquement ontologique ? Le Dasein, au sein même de son identification préoccupée avec l’outil (Zeug) à-portée-de-la-main, n’a-t-il pas une possibilité d’être d’après laquelle, en même temps que l’étant intramondain dont il se préoccupe, la mondanéité (Weltlichkeit) même de cet étant luit (NT: « Luire » (aufleuchten) : ce mot, lui non plus, n’est pas métaphorique, comme le montrera son emploi ultérieur au sein du présent paragraphe, p. 75) d’une certaine manière à ses yeux ? EtreTemps16
Laisser-retourner signifie ontiquement : laisser, à l’intérieur d’une préoccupation (Besorgen) factice, un étant à-portée-de-la-main être comme il est, et afin qu’il soit tel. Ce sens ontique du « laisser être », nous le saisissons de manière fondamentalement ontologique, et nous (85) interprétons ainsi le sens de la libération préalable de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde. Laisser préalablement « être » quelque chose, cela ne veut pas dire commencer par le porter et le produire à son être, mais découvrir à chaque fois déjà de l’« étant » en son être à-portée-de-la-main et le laisser ainsi faire encontre (begegnen) comme l’étant de cet être. Ce laisser-retourner « apriorique » est la condition de possibilité requise pour que de l’à-portée-de-la-main fasse encontre, de telle manière que le Dasein, dans l’usage ontique de l’étant ainsi rencontré, puisse le laisser retourner de… au sens ontique. Le laisser-retourner compris ontologiquement, en revanche, concerne la libération de tout étant à-portée-de-la-main comme tel, soit qu’il retourne ontiquement de lui, soit qu’il soit plutôt un étant dont il ne retourne justement pas ontiquement – dont nous nous préoccupons de prime abord et le plus souvent, mais que nous ne laissons pas « être » comme étant découvert, en ce sens que nous le travaillons, l’améliorons ou le brisons. EtreTemps18
Descartes a accentué la restriction de la question du monde à celle de la choséité (Dinglichkeit) naturelle considérée comme l’étant de prime abord accessible, intramondain. Il a renforcé l’opinion selon laquelle la connaissance ontique supposée la plus rigoureuse d’un étant serait aussi l’accès possible à l’être primaire de l’étant découvert en une telle connaissance. Cependant, il faut en même temps bien apercevoir que même les « compléments » apportés à l’ontologie de la chose se meuvent fondamentalement sur la même base dogmatique que Descartes. EtreTemps21
L’être auprès de l’étant intramondain, la préoccupation (Besorgen), est découvrant. Mais à l’ouverture du Dasein appartient essentiellement le parler (NA: Cf. supra, §34 (EtreTemps34), p. 160 sq.). Le Dasein s’ex-prime, il ex-prime (224) soi – en tant qu’être découvrant pour de l’étant. Et il s’exprime comme tel sur de l’étant découvert dans l’énoncé. L’énoncé communique l’étant dans le comment de son être-découvert. Le Dasein qui ac-cueille la communication se porte lui-même, en cet ac-cueil, à l’être découvrant pour l’étant discuté. L’énoncé ex-primé contient en son « ce-sur-quoi » l’être-découvert de l’étant, qui est préservé dans l’ex-primé. L’ex-primé devient pour ainsi dire un à-portée-de-la-main intramondain, qui peut être repris et répété. Sur la base de la préservation de l’être-découvert, l’ex-primé à-portée-de-la-main a en lui-même un rapport à l’étant sur lequel l’ex-primé est à chaque fois un énoncé. L’être-découvert est à chaque fois être-découvert de… Même dans la répétition, le Dasein qui répète accède à un être pour l’étant même dont il est parlé. Mais il est – et il se tient pour – dispensé d’un réaccomplissement originaire du découvrir. EtreTemps44
Le Dasein n’a pas besoin de se placer dans une expérience « originaire » devant l’étant lui-même, et pourtant il demeure dans un être pour… celui-ci. L’être-découvert, dans une mesure croissante, n’est plus approprié par un découvrir à chaque fois propre, mais par l’ouï-dire du dit. L’identification au dit appartient au mode d’être du On. L’ex-primé comme tel assume l’être pour l’étant découvert dans l’énoncé. Mais si cet étant doit être expressément approprié quant à son être-découvert, cela veut dire que l’énoncé doit être légitimé comme découvrant. Mais l’énoncé ex-primé est un à-portée-de-la-main de telle sorte que, en tant qu’il préserve de l’être-découvert, il a en lui-même un rapport à l’étant découvert. Légitimation de son être-découvrant, cela signifie maintenant : légitimation du rapport à l’étant de l’énoncé préservant l’être-découvert. L’énoncé est un à-portée-de-la-main. L’étant auquel il a rapport en tant que découvrant est de l’à-portée-de-la-main, ou du sous-la-main intramondain. Le rapport lui-même se donne donc ainsi comme sous-la-main. Mais ce rapport consiste en ceci que l’être-découvert préservé dans l’énoncé est à chaque fois être découvert de… Le jugement « contient quelque chose qui vaut des objets » (Kant). Mais le rapport, désormais, se trouvant dérivé vers une relation entre étants sous-la-main, reçoit à son tour le caractère de l’être-sous-la-main. L’être-découvert de… devient conformité sous-la-main d’un sous-la-main, l’énoncé ex-primé, à du sous-la-main, l’étant dont il est parlé. Et pour peu que la conformité ne soit plus aperçue que comme relation entre sous-la-main, autrement dit pour peu que le mode d’être des membres relatifs ne soit plus entendu indifféremment que comme du sous-la-main, alors le rapport se montre comme accord sous-la-main de deux étants sous-la-main. EtreTemps44
Le phénomène existential de l’être-découvert, qui est fondé dans l’ouverture du Dasein, devient une propriété sous-la-main abritant de surcroît un caractère de relativité, et, en tant que tel, il est brisé en une relation sous-la-main. La vérité comme ouverture et comme être découvrant pour l’étant découvert est devenue vérité comme accord entre sous-la-main intramondains. Ainsi la secondarité du concept traditionnel de la vérité est-elle mise en évidence. EtreTemps44
Un mode de la certitude est la conviction. En celle-ci, le Dasein se laisse déterminer uniquement par le témoignage de la chose découverte (vraie) elle-même son être compréhensif pour elle. Le tenir-pour-vrai, en tant que se-tenir-dans-la-vérité, est suffisant s’il se fonde dans l’étant découvert lui-même, et, en tant qu’être pour l’étant ainsi découvert, s’il s’est rendu à lui-même transparent quant à son adéquation à lui. Une telle suffisance fait défaut à l’invention arbitraire ou au simple « avis » sur un étant. EtreTemps52
Le sens, entendu rigoureusement, signifie le vers-quoi du projet primaire de la compréhension de l’être. L’être-au-monde (In-der-Welt-sein) ouvert pour lui-même comprend, cooriginairement à l’être de l’étant qu’il est lui-même, l’être de l’étant découvert à l’intérieur du monde, même si c’est encore de manière non thématique et sans différenciation de ses modes primaires, qui sont l’existence et la réalité. Toute expérience ontique de l’étant, le calcul circon-spect de l’à-portée-de-la-main aussi bien que le connaître positivement scientifique du sous-la-main, se fondent dans des projets à chaque fois plus ou moins transparents de l’être de l’étant considéré. Mais ces projets abritent en eux un vers-quoi, dont le comprendre de l’être se nourrit pour ainsi dire. EtreTemps65