Dans le dire-Je, le Dasein s’exprime comme être-au-monde (In-der-Welt-sein). Est-ce à dire cependant que le dire-Je quotidien (alltäglich) se vise comme étant-au-monde ? Il faut ici distinguer : certes, le Dasein, disant-Je, vise l’étant qu’il est à chaque fois lui-même ; seulement l’auto-explicitation quotidienne (alltäglich) a tendance à se comprendre à partir du « monde » offert à la préoccupation (Besorgen). Dans sa visée ontique de soi, (le Dasein) se méprend au sujet du mode d’être de l’étant qu’il est lui-même. Et cela vaut éminemment de la constitution fondamentale du Dasein, de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) (NA: Cf. supra, §§12 (EtreTemps12) et 13, p. 52 sq.). EtreTemps64
Du reste, l’interprétation ontologique du « Je » ne saurait obtenir la solution du problème en se bornant à refuser de suivre le dire-Je quotidien (alltäglich) : bien plutôt doit-elle pré-dessiner tout d’abord la direction dans laquelle le questionnement doit se poursuivre. Le Je désigne l’étant que l’on est en « étant-au-monde ». Mais l’être-déjà-dans-un-monde en tant qu’être-auprès-de-l’à-portée-de-la-main intramondain signifie cooriginairement un en-avant-de-soi. « Je » désigne l’étant pour lequel il y va de l’être de l’étant qu’il est. Avec le « Je », c’est le souci qui s’exprime – de prime abord et le plus souvent dans le dire-Je « fugace » de la préoccupation (Besorgen). Si le On (das Man)-même dit le plus bruyamment et le plus fréquemment Je-Je, c’est parce que fondamentalement il n’est pas authentiquement lui-même, et qu’il se dérobe au pouvoir-être authentique. Cependant, si la constitution ontologique du Soi-même ne se laisse reconduire ni à un Moi-substance, ni à un « sujet », et si c’est à l’inverse le dire-Je-Je quotidien (alltäglich)-fugace qui doit être compris à partir du pouvoir-être authentique, de là ne suit pas encore la thèse selon laquelle le Soi-même serait le fondement constamment sous-la-main du souci. L’ipséité ne peut être déchiffrée existentialement que sur le pouvoir-être-Soi-même authentique, c’est-à-dire sur l’authenticité de l’être du Dasein comme souci. C’est de celle-ci que la constance propre au Soi-même, en tant que prétendue permanence du sujet, reçoit son éclaircissement. Mais en même temps le phénomène du pouvoir-être authentique ouvre le regard au maintien du Soi-même au sens de l’avoir-conquis-sa-tenue. Le maintien du Soi-même au double sens de la solidité et de la « constance » est la contre-possibilité authentique de l’absence de maintien de l’échéance ir-résolue. Le maintien du Soi-même (autonomie) ne signifie existentialement rien d’autre que la résolution devançante. La structure ontologique de celle-ci dévoile l’existentialité de l’ipséité du Soi-même. EtreTemps64
Des « antiquités » conservées au musée, des ustensiles domestiques par exemple, (380) appartiennent à un « temps passé », et pourtant ils n’en sont pas moins sous-la-main dans le « présent ». Dans quelle mesure un tel ustensile est-il historial (NT: Je traduis ici par historial (geschichtlich), bien qu’il ne s’agisse que d’un ustensile, puisque H. a en vue son « historicité » propre, par-delà son inclusion dans le passé ou le présent.), alors qu’il n’est précisément pas encore passé ? Est-ce seulement, par exemple, parce qu’il est devenu un objet d’intérêt historique, de l’étude archéologique et géographique régionale ? Mais pareil outil (Zeug) ne peut être objet historique que parce qu’en lui-même il est en quelque manière historial. La question se répète donc : de quel droit nommons-nous cet étant historial, alors qu’il n’est pourtant pas passé ? Ou bien ces « choses », quoiqu’elles soient aujourd’hui encore sous-la-main, auraient-elles, « en elles » « quelque chose de passé » ? Sont-elles encore, elles qui sont sous-la-main, ce qu’elles étaient ? Manifestement, les « choses » se sont transformées. L’ustensile, « au cours du temps », est devenu fragile, piqué. Pourtant, ce n’est pas dans cette périssabilité, qui se poursuit même pendant que la chose est sous-la-main au musée, que réside le caractère spécifique de passé qui en fait quelque chose d’historial. Mais alors, qu’est-ce donc, dans l’outil (Zeug), qui est passé ? Qu’est-ce que les « choses » étaient, qu’elles ne sont plus aujourd’hui ? Elles demeurent bel et bien cet outil (Zeug) précis d’usage – mais en tant qu’hors d’usage. Oui, mais, supposé qu’elles fussent encore aujourd’hui en usage, comme le sont de nombreux objets hérités faisant partie du ménage, seraient-elles pour cela non encore historiales ? Non : en usage ou hors d’usage, elles ne sont plus cependant ce qu’elles étaient. Qu’est-ce qui est « passé » ? Réponse : rien d’autre que le monde à l’intérieur duquel, appartenant à un complexe d’outils, elles faisaient encontre en tant qu’à-portée-de-la-main et étaient utilisées par un Dasein préoccupé, étant-au-monde. Le monde n’est plus. Mais l’intramondain qui appartenait à ce monde, lui, est encore sous-la-main. C’est en tant qu’outil (Zeug) appartenant à un monde que l’étant maintenant encore sous-la-main peut néanmoins appartenir au « passé ». Mais que signifie ce ne-plus-être du monde ? Le monde n’est que selon la guise du Dasein existant, qui est facticement comme être-au-monde (In-der-Welt-sein). EtreTemps73