La structure de l’être de l’étant à-portée-de-la-main comme outil [Zeug] est déterminée par les renvois. L’« en-soi » spécifique et évident des « choses » les plus proches fait encontre dans la préoccupation [Besorgen] qui se sert d’elles – sans y prendre garde expressément – et qui donc peut se heurter à de l’inutilisable. Un outil [Zeug] est inemployable, cela implique que le renvoi concret d’un pour… à une destination est perturbé. Les renvois eux-mêmes ne sont pas considérés proprement, ils sont « là » dans la soumission préoccupée à eux. Mais dans la perturbation du renvoi – dans l’inemployabilité pour… – le renvoi devient exprès. Non pas encore, certes, en tant que structure ontologique, mais ontiquement pour la circon-spection qui se heurte à la détérioration de l’instrument. Avec ce réveil circon-spect du renvoi à ce qui est chaque fois le [75] « pour-cela », celui-ci même et, avec lui, le complexe d’ouvrage, tout l’« atelier » en tant que lieu où la préoccupation [Besorgen] se tient toujours déjà, deviennent visibles. Le complexe d’outils luit, non pas comme quelque chose qui n’aurait pas encore été vu, mais comme le tout constamment et d’emblée pris en vue dans la circon-spection. Or, avec une telle totalité, c’est le monde qui s’annonce. EtreTemps16
Les expressions privatives comme non-imposition, non-insistance, non-saturation visent un caractère phénoménal positif de l’être de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Ces négations désignent le caractère de retenue-en-soi de l’à-portée-de-la-main, autrement dit ce que nous avons en vue en parlant d’être-en-soi, même si, de manière tout à fait caractéristique, c’est « d’abord » au sous-la-main en tant que thématiquement constatable que nous l’attribuons. Mais tant que l’on s’oriente primairement, voire exclusivement, sur le sous-la-main, il est impossible d’éclaircir ontologiquement l’« en-soi ». Et pourtant une interprétation est indispensable si l’on veut que l’expression d’« en soi » présente quelque pertinence ontologique. La plupart du temps, on invoque ontiquement et emphatiquement – [76] cet en soi de l’être, non d’ailleurs sans un certain droit phénoménal. Toutefois, cette invocation ontique ne peut prétendre faire office de l’énoncé ontologique qu’elle croit fournir. Notre analyse antérieure suffit à montrer clairement que l’être-en-soi de l’étant intramondain n’est saisissable ontologiquement que sur le fondement du phénomène du monde. EtreTemps16
Vis-à-vis du réalisme, l’idéalisme, si opposés et si peu tenables que soient les résultats auxquels il aboutit, jouit d’une primauté fondamentale, à condition du moins qu’il ne se mésinterprète pas lui-même comme idéalisme « psychologique ». En effet, en soulignant que l’être et la réalité ne sont que « dans la conscience [Gewissen] », l’idéalisme exprime une compréhension du fait que l’être ne peut être expliqué par de l’étant. Mais dans la mesure où il manque d’expliquer ce que cette compréhension d’être signifie elle-même ontologiquement, comment elle est possible et qu’elle appartient à la constitution d’être du Dasein, il bâtit l’interprétation de la réalité sur du sable. Que l’être ne soit pas explicable par de l’étant, que la réalité ne soit possible que dans la compréhension d’être, cela ne dispense en aucune manière de questionner l’être de la conscience [Gewissen], de la res cogitons elle-même. La thèse idéaliste implique en toute logique la tâche préalable et indispensable d’une analyse ontologique de la conscience [Gewissen] elle-même. C’est seulement parce que l’être est « dans la conscience [Gewissen] », c’est-à-dire compréhensible dans le Dasein, que le Dasein peut aussi comprendre et porter au concept [208] des caractères d’être comme l’indépendance, l’« en-soi », la réalité en général. C’est pour cela seulement que de l’étant « indépendant » peut être accessible à la circon-spection en tant qu’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. EtreTemps43
Cela dit, c’est seulement aussi longtemps que le Dasein est, autrement dit aussi longtemps qu’est la possibilité ontique de la compréhension d’être, qu’« il y a » de l’être. Si le Dasein n’existe pas, alors l’« indépendance », alors l’« en-soi » n’« est » pas non plus : il n’est ni compréhensible, ni incompréhensible. Alors l’étant intramondain n’est pas à son tour découvrable, ni ne peut se trouver dans le retrait. Alors l’on ne peut ni dire que l’étant est, ni qu’il n’est pas. Mais maintenant qu’est la compréhension de l’être et avec elle la compréhension de l’être-sous-la-main, il peut parfaitement être dit qu’alors l’étant continuera d’être. EtreTemps43
Le présentifier s’attendant-conservant constitue la familiarité conformément à laquelle le Dasein comme être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] s’y « reconnaît » dans le monde ambiant public. Nous comprenons existentialement le laisser-retourner comme un laisser-« être ». C’est sur sa base que l’à-portée-de-la-main peut faire encontre [begegnen] à la circon-spection comme l’étant qu’il est. Par suite, nous pouvons éclairer encore plus avant la temporalité de la préoccupation [Besorgen] si nous prenons garde à ces modes du laisser-faire-encontre circon-spect qui ont été caractérisés auparavant (NA: Cf. supra, §16 [EtreTemps16], p. [72] sq.) comme imposition, insistance et saturation. L’outil [Zeug] à-portée-de-la-main, considéré en son « en-soi véritable », ne fait justement pas encontre à un percevoir thématique de choses, mais dans la non-imposition de ce qui se laisse trouver dans l’« évidence » de son « objectivité ». Mais lorsque dans le tout de cet étant quelque chose s’impose alors apparaît du même coup la possibilité que la totalité d’outils s’impose comme telle. Comment le laisser-retourner doit-il être existentialement structuré pour pouvoir laisser faire encontre [begegnen] quelque chose qui s’impose ? La question ne vise plus maintenant des incitations factices infléchissant l’attention vers quelque chose de prédonné, mais le sens ontologique de cette possibilité d’inflexion comme telle. EtreTemps69
La thèse capitale de l’interprétation vulgaire du temps, selon laquelle le temps est « infini », manifeste de la façon la plus saisissante le nivellement et le recouvrement du temps du monde – et ainsi de la temporalité en général – contenus dans une telle explicitation. Le temps se donne de prime abord comme séquence [Abfolge] ininterrompue des maintenant. Tout maintenant est aussi déjà un à l’instant ou un dans un instant. Si la caractérisation du temps s’en tient primairement et exclusivement à cette suite, alors ne se laisse fondamentalement trouver en elle aucun commencement et aucune fin. Tout dernier maintenant est, en tant que maintenant, à chaque fois toujours déjà un aussitôt-ne-plus, donc du temps au sens du maintenant-ne-plus, du passé ; et tout premier instant est un à-l’instant-pas-encore, donc du temps au sens du maintenant-pas-encore, de l’« avenir ». Le temps, par suite, est sans fin « des deux côtés ». Cette thèse temporelle ne devient possible que sur la base de l’orientation sur un en-soi flottant en l’air d’un déroulement sous-la-main des maintenant, où le plein phénomène du maintenant, envisagé du point de vue de la databilité, de la mondanéité [Weltlichkeit], de l’être-étendu et de la localité par rapport au Dasein, est recouvert et s’exténue en fragment méconnaissable. Si « l’on pense jusqu’à son terme » la suite des maintenant selon la perspective prise sur l’être-sous-la-main ou le ne-pas-être-sous-la-main, alors jamais ce « terme » ne se laisse trouver. Et de ce que cette pensée jusqu’à la fin du temps doive à chaque fois toujours encore penser du temps, on infère que le temps est in-fini. EtreTemps81