Duval (HZ:193-195) – O grito

Espace – Ampleur de la Dimension où s’effectue la Vie. Tao.

Silence – Parole primordiale en quoi la Vie s’évoque elle-même par le moyen d’un vivant particulier, l’homme, qu’elle a cherché à produire pour y trouver le Chemin de son évocation. Heidegger dit : « Le mot directeur de la pensée de Lao-tseu est Tao, et il signifie à proprement parler : chemin… » (280) Et Monsieur Demiéville assure : « Le mot tao, “voie”, a aussi le sens de “dire, parler à”. » (281) Tao : chemin du déploiement de la Parole.

Douleur – Parole silencieuse de la Vie : Parole blessée, Parole où elle dit son inachèvement. Douleur non pas négative, inachèvement non pas impuissant. Mais douleur en tension d’achèvement qui veut créer. Douleur d’enfantement.

But de la Méditation : se rendre transparent au cheminement de la Parole de la Vie universelle dans le rythme blessé de la douleur de son propre enfantement.

Cri : expression humaine de cet accord réalisé à la Douleur d’enfantement de la Vie universelle.

« Ah ! » de Jérémie. « Non ! » de Antigone. « Oh ! » de l’Eveil Zen.

Cri : définition de l’existence malheureuse. Non pas seulement de l’être humain, mais de l’Etre même auquel s’ouvre en l’authenticité de son Fond, l’expérience humaine. Ce qui distingue le Penseur des arrangeurs d’idées, c’est cela : laisser reposer dans la transparence de son Fond le Cri par quoi la Vie dit la Douleur universelle de son propre enfantement. Pour le Penseur, au nom de tous les hommes, au nom de l’Homme, au nom de la Vie se disant la blessure de son propre enfantement, penser c’est Crier, Penser c’est laisser demeurer l’extension de la Parole Silencieuse qui Crie le rythme muet de ses métamorphoses. Et Heidegger, complice de Nietzsche, dit :

— « Ses propres animaux ne se doutent point de ce qui se produit là, de ce qui doit être pensé dans l’acte authentique de penser l’ensemble de tout ce qui est : à savoir que cet acte est un Cri du fond d’une détresse.

Et quand bien même entendraient-ils ce cri de détresse, qu’arrive-t-il le plus souvent ? Lorsque le grand homme pousse ce cri, l’homme médiocre accourt et le prend en pitié. » (282)

Cri : expression tragique de la conscience de soi de la Vie en la Parole de son premier Silence surgissant dans la Panréalité par la réalité humaine. « Tragique » et non pas « dramatique ». Car le Cri définit l’esprit comme Douleur, mais dans l’éclatement renouvelé d’un sempiternel enfantement. Enfantement par quoi la Vie recherche sa propre harmonie. Enfantement de Formes (sensibles, intelligibles, X…) qui balisent le Chemin par quoi le Vie quête l’Harmonie de toutes ses puissances, de toutes ses virtualités. Enfantement qui accroît l’Octroi primordial de l’Etre jusqu’à se projeter, jusqu’à s’espérer dans la représentation pure de l’Idée de Beau qui n’est pas de l’homme mais dont l’homme n’est que le porteur. Idée de Beau en quoi la Vie Universelle se destine elle-même à une Harmonie ultime possible. « Idée » en quoi se dit à la fois la possibilité du Beau et l’impossibilité actuelle où le rêve demeure encore celé. Idée de Beau, Idée-Cri, où l’harmonie se dit dans le tragique d’un Eclat qui demeure encore manquant lors même que pourtant il éclaire déjà. Beauté, Harmonie tragique, enlacement des corps, des beaux corps, quand le Cri de l’Amour dit le pressentiment de ce qui manque encore mais dont l’aperception est déjà une promesse d’éternité, est déjà la volonté follement affirmée par quoi la Vie veut sa propre éternisation, veut son Harmonie. Retrouver un Platon tragique : le Désir d’éternité demeure du côté du Désir, non de l’éternité. Comme le Dieu juif, l’éternité ne se montre que de dos au Désir d’éternité. Un texte de Muso dit bien ces articulations encore mal articulées de nos mots qui voudraient rejoindre le Cela qui demeure voilé, ou à celui qui demeure masqué au regard errant sur le Chemin qu’est la Vie jusqu’à cette dernière Chambre de l’Ame du Monde où la Vie veut célébrer avec elle-même les Noces de sa propre assomption dans une harmonie où l’Eternité pacifierait le Désir.

<poesie>— « Jadis un fonctionnaire s’était rendu chez le percepteur Fa-yen, de Wou-tsou, pour lui demander la caractéristique de l’école du Zen. Wou-tsou lui dit : “La caractéristique de notre école ne peut se comprendre par conjecture. Cependant la poème de Siao-yen dit :

La peinture ne peut rendre la beauté de ce paysage !
Une fille sombre dans la mélancolie au fond d’une pièce.
Souvent elle appelle sa servante bien qu’elle n’ait rien à lui demander.
C’est seulement afin que son bien-aimé entend sa voix.
Vous pouvez comprendre en grandes lignes à travers ce poème…

L’auteur de cette oeuvre poétique, Siao-yen, est une femme. Son “bien-aimé” était un homme avec lequel elle avait des rapports secrets. Une fois il vint flâner auprès de la pièce dans laquelle la fille se trouvait. Alors tout en voulant lui signaler sa présence dans la pièce elle désirait observer une profonde discrétion. Ainsi, elle se mit à appeler fréquemment sa servante : “Ouvre la fenêtre ! ferme le store !” Mais son intention réelle ne résidait pas du tout dans ces affaires. C’était seulement dans le but que son bien-aimé entende sa voix et qu’il sache qu’elle se trouvait à l’intérieur. Il en va de même des cinq écoles critiques de supériorités ou infériorités, de qualités ou défauts des différents mots et styles, qui ne sont que des moyens à la façon des appels à la servante, et ne font pas connaître la volonté véritable des maîtres. » (283)

Le Bien-Aimé est le désiré.

Le Bien-Aimé est là, dans la pièce à côté, mais il ne peut être vu dans l’Eclair de sa Beauté.

Parler, parler pour ne rien dire, en des cris furtifs, renouvelés, hâchés. Parler par des cris, onomatopées. Faire ainsi vibrer la résonance du Cri universel qui dit la Vie en l’alchimie de ses métamorphoses. Crier pour dire le Cri qui évoque le tragique, l’Exil d’une Vie universelle qui veut son propre Royaume, qui veut l’Harmonie, qui veut le Bien-Aimé, qui veut l’Harmonieux.

Toute l’existence universelle rassemblée dans la profération du Cri, Silence blessé ; du Cri qui zèbre le Corps frémissant d’attente de la Panréalité, depuis le corps nu de l’acteur tragique disant la blessure de l’Etre un soir de Noces de Sang avec le Monde sur la scène cosmique du théâtre grec.

Corps de la Panréalité de la Vie universelle reposant dans le tacite de sa première extension.

Corps de la réalité humaine révélant l’ampleur de la Dimension où toutes choses s’effectuent dans le Silence d’un premier repos où se dit l’insondable Parole des Mondes.

Corps disant la blessure de ce Silence de la Vie universelle se sachant Douleur d’enfantement, Finitude.

Cri : cristallisation évoquée de la Finitude universelle.

Art du 20° siècle : expression de cette Douleur. Art blessé. Art fidèle à la Blessure de la Vie universelle. Beauté vraie. Art-Cri. Art de Vivre.