Dubois (2000:78-80) – ser-culpado

(Dubois2000)

[…] Le § 58 de Etre et Temps va prendre en charge ce point. Supposons que, interpellé, intimé à être lui-même, le Dasein fasse l’expérience d’un être en faute. Comment le penser existentialement ? On peut d’abord considérer la faute au sens d’avoir des dettes (le mot allemand de Schuld pouvant effectivement osciller entre la faute et la dette), en se réglant à partir de l’étant dont on se préoccupe (sens « économique » de la faute ou de la dette), mais aussi au sens d’être en faute, en lésant autrui, en relation avec une exigence éthique, ou une loi politique, étant ainsi la « cause » ou le fondement d’un « manque » chez autrui. Etre, par défaut, responsable d’un défaut. Mais que veut dire ici « défaut » ? Un être défectueux, un certain mode du « non-être », par exemple le mal comme «privatio boni ». Mais quel est l’horizon ontologique de [79] cette « négativité » ? On ne peut pas la laisser indécidée, ou la penser dans l’horizon de la Vorhandenheit. Pour le Dasein, être veut dire exister, souci. De quelle manière l’existence est-elle concernée par la faute, par une négativité ? Les exemples précédents sont empruntés à la sphère de la préoccupation, et du rapport à autrui médiatisé par une exigence ou une loi : pour comprendre ce que peut bien vouloir dire être par défaut le fondement d’un défaut, encore faut-il comprendre ce qu’être par défaut peut bien vouloir dire existentialement. Au moins cela est nécessaire pour comprendre ce que peut bien vouloir dire, pour le Dasein, par exemple, exister « devant la loi ». Toute faute factice, tout manquement à une exigence donnée demande d’abord d’éclairer ce que veut dire pour le Dasein « être en faute ». Pour ce faire, Heidegger va d’abord « formaliser » l’idée de « faute » (la penser dans l’indifférence ontologique), pour ensuite la déformaliser (que veut dire faute pour l’étant déterminé en son être par le souci?). Formalisée, la faute veut dire: Grundsein einer Nichtigkeit, être fondement d’une négativité. Existentialement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Le Dasein est jeté. Cela veut dire qu’il ne s’est pas posé lui-même. Il a à être lui-même, mais de telle sorte que cet avoir à être est ce à quoi il est remis, comme quoi, dans la disposition, il se trouve à charge de lui-même. Il a à être le fondement de lui-même comme ne l’étant pas. La facticité désigne ceci, qui devient patent dans l’angoisse : «Etre fondement signifie donc « être jamais maître de l’être le plus propre du fondement » (284). La « négativité », ici, est constitutive de la facticité. Mais il y a plus : le Dasein est jeté comme être projetant. Se comprendre dans tel ou tel projet de soi, c’est aussi bien être placé devant la consigne d’avoir à choisir : ou bien…, ou bien… Tout possible existentiel est renoncement à d’autres. Le projet aussi est transi de négativité. Le Dasein est bien en faute : il est le fondement de soi-même comme assomption de sa facticité, et pas comme position, auto-position de soi, il a plutôt à correspondre à ce fondement, il en a la charge sans s’être chargé lui-même, et cette charge, il l’assume nécessairement dans une possibilité de lui-même qui se découpe sur le fond de l’impossibilité d’en [80] choisir d’autres. Il est (au sens de l’avoir à être) le fondement négatif (ne pas s’être posé) d’une négativité (le choix du possible tranche). En ce sens, il est en faute. Cette faute, cette négativité, n’est pas un événement intra-mondain, un « se mettre en faute », ni non plus un moindre-être (comme privation). Tout semble ici mis à l’envers. En effet, si la voix de la conscience me ramène à mon être, cela veut dire, alors, qu’elle me ramène… à mon être en faute. Comment le comprendre ? Cela ne peut pas vouloir dire que la conscience me pousse… à me mettre en faute ! Certainement pas, si l’on comprend par là commettre des fautes ! La conscience me ramène bien plutôt de la dissimulation de mon être négatif dans le On, pour me faire comprendre que j’ai à assumer ma propre négativité. En ce sens, la conscience me donne à comprendre comme en faute de moi-même, ce qui, derechef, a deux sens : je dois me ramener du non-choix de moi-même dans le On, mais, placé devant le choix de moi-même, je l’assume dans toute sa « nécessité », sa négativité propre. Comprendre ainsi l’appel de la conscience, se laisser être interpellé, c’est ce que Heidegger appelle « vouloir avoir conscience ». Ce vouloir est un assumer, transi de négativité, et un laisser : « Comprenant l’appel, le Dasein laisse le soi-même le plus propre agir en soi à partir du pouvoir-être qu’il a choisi » (288). Et sans doute est-ce pour cela que la conscience n’est pas la « conscience morale » : c’en est la racine, la possibilité : « Cet être en faute essentiel est cooriginairement la condition existentiale de possibilité du bien et du mal “moraux”, autrement dit de la moralité en général et de ses modifications possibles » (286). Là se trouve le fondement, dans Etre et Temps, d’une « métaphysique des mœurs ». Mais pas seulement : dans le § 58, pour le dire prudemment, se trouve la première pensée de l’être-fondement du Dasein, la pensée du fondement en relation à l’être comme existence. Mais l’être-fondement, nous l’avons vu, est assomption d’un n’être pas le fondement, abîme, Abgrund. Les conséquences de cette radicalité de la facticité se propageront bien au-delà de Etre et Temps.

 

Excertos de

Heidegger – Fenomenologia e Hermenêutica

Responsáveis: João e Murilo Cardoso de Castro

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