différence ontologique

Tout ce qui importe dans un premier temps est d’apercevoir la différence ontologique séparant l’être-à… comme existential de l’« intériorité » réciproque d’étants sous-la-main comme catégorie. Mais si nous délimitons ainsi l’être-à…, toute forme de « spatialité » n’est pas pour autant déniée au Dasein, au contraire : le Dasein a lui-même un « être-à-l’espace » propre, mais qui n’est possible quant à lui que sur la base de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme tel. Il est donc exclu de préciser ontologiquement l’être-à… à l’aide d’une caractérisation ontique, en disant par exemple : l’être-à dans un monde est une propriété spirituelle et la « spatialité » de l’homme est une propriété de sa corporéité [propre], laquelle est toujours en même temps « fondée » par la corporéité [en général]. En effet, parier ainsi serait en revenir à un être-ensemble-sous-la-main d’une chose spirituelle ainsi constituée et d’une chose corporelle, l’être de l’étant ainsi composé n’en demeurant que plus obscur. Seule la compréhension de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme structure d’essence du Dasein permet de prendre un aperçu sur la spatialité existentiale du Dasein. Elle seule préserve de manquer, ou d’annuler d’avance cette structure, laquelle annulation est motivée, non certes ontologiquement, mais bel et bien « métaphysiquement » par l’opinion naïve selon laquelle l’homme serait d’abord une chose spirituelle qui serait transportée après coup « dans » un espace. EtreTemps12

Sans doute il est possible dans certaines limites de donner d’ores et déjà, sans une base ontologico-existentiale expresse, une caractérisation phénoménologique de la réalité du réel, et c’est ce que Dilthey a essayé de faire dans l’essai plus haut cité. Le réel, selon lui, est expérimenté dans l’impulsion et la volonté. La réalité est résistance, plus exactement résistivité. L’élaboration analytique du phénomène de la résistance constitue la partie positive de cet essai et offre la meilleure illustration concrète de l’idée d’une « psychologie descriptive et analytique ». Néanmoins, le déploiement adéquat de l’analyse du phénomène de la résistance est alors entravé par la problématique de la réalité propre à la théorie de la connaissance. Le « principe de phénoménalité » ne permet pas à Dilthey de parvenir à une interprétation ontologique de l’être de la conscience [Gewissen]. « La volonté et son inhibition apparaissent à l’intérieur de la même conscience [Gewissen] » [NA: Cf. Beiträge cités, p. 134.]. Le mode d’être de cet « apparaître », le sens d’être du « à l’intérieur », le rapport d’être de la conscience [Gewissen] au réel lui-même, tout cela attend sa détermination ontologique. Que celle-ci ne vienne pas, cela procède en dernière instance du fait que Dilthey laisse dans l’indifférence ontologique cette « vie », « en deçà » de laquelle il est bien sûr exclu de remonter. Toutefois, une interprétation ontologique du Dasein ne signifie pas la régression ontique vers un autre étant. Que Dilthey ait été réfuté en termes [210] de théorie de la connaissance ne doit pas nous décourager de faire fructifier l’apport positif de ses analyses, qui est précisément resté incompris des réfutations en question. EtreTemps43


L’ontologie – avons nous dit – est la science de l’être. Mais l’être est toujours être d’un étant. De par son essence l’être est différent de l’étant. Comment doit-on envisager cette différence de l’être et de l’étant? Comment rendre compte de sa possibilité? Si l’être lui-même n’est pas un étant, comment appartient il alors lui même à l’étant, s’il est vrai que l’étant et lui seul est? Que signifie l’expression: l’être appartient à l’étant? Répondre convenablement à cette question, voilà la présupposition fondamentale pour mettre en oeuvre les problèmes de l’ontologie comme science de l’être. Nous devons nécessairement pouvoir marquer clairement la différence entre l’être et l’étant, si nous voulons prendre comme thème de recherche quelque chose comme l’être. Il ne s’agit pas là d’une différenciation quelconque, mais c’est seulement à travers cette différence que le thème de l’ontologie, et par suite de la philosophie elle-même, peut être conquis. Nous la désignons comme dif-férence (Differenz) ontologique, c’est à dire comme la scission (Scheidung) entre l’être et l’étant. C’est seulement en marquant cette différenciation – en grec krinein -, qui n’est pas celle d’un étant par rapport à un autre étant, mais de l’être par rapport à l’étant, que nous entrons dans le champ de la problématique philosophique. C’est seulement grâce à cette attitude critique que nous demeurons dans le champ de la philosophie. C’est pourquoi l’ontologie ou la philosophie en général est, par opposition aux sciences ontiques, la science critique ou encore la science du monde à l’envers. Par cette différenciation de l’être par rapport à l’étant nous sortons en effet, de manière principielle, du domaine de l’étant. Nous allons au delà, nous le transcendons. C’est pourquoi nous pouvons nommer aussi science transcendantale la science de l’être en tant que science critique, sans adopter pour autant, d’emblée, le concept kantien du transcendantal, mais en reprenant le terme dans son acception originelle et selon sa direction propre, restée peut être encore obscure à Kant lui même. Nous allons au delà de l’étant pour parvenir à l’être. Dans ce dépassement, nous ne prétendons pas accéder à un étant qui se tiendrait derrière l’étant que nous connaissons, au sens d’un quelconque arrière monde. La science transcendantale de l’être n’a rien à voir avec la métaphysique vulgaire qui traite de tel ou tel étant qui se tiendrait à l’arrière plan de l’étant connu, mais le concept scientifique de métaphysique est identique au concept de philosophie en général, au sens de science transcendantale critique de l’être, c’est-à-dire d’ontologie. On voit facilement que la dif-férence ontologique ne peut être élucidée et nettement marquée pour la recherche ontologique que si le sens de l’être en général est expressément mis en lumière, c’est-à-dire si l’on montre comment la temporalité rend possible la distinction et la différenciation de l’être et de l’étant. C’est seulement en vertu de cette considération que la thèse kantienne: l’être n’est pas un prédicat réel, se laisse reconduire à son sens originaire et fonder de manière satisfaisante. [PFPhenoheno 35]