dialectique

Dialektik [SZ]

Dès le début (§ 1), il a été montré que la question du sens de l’être non seulement n’est pas réglée, non seulement n’est pas posée de façon satisfaisante, mais encore que, malgré tout l’intérêt porté à la « métaphysique », elle est tombée dans l’oubli. L’ontologie grecque et son histoire qui, à travers diverses filiations et déviations, détermine aujourd’hui encore la [22] conceptualité de la philosophie, est la preuve que le Dasein comprend lui-même et l’être en général à partir du « monde », et que l’ontologie ainsi née bute sur la tradition qui la fait sombrer dans l’évidence et la ravale au rang d’un matériau qui n’attendrait plus que d’être retravaillé (ainsi en va-t-il pour Hegel). Cette ontologie grecque déracinée devient au Moyen Âge un capital doctrinal fixe. Mais cette systématique est tout autre chose que l’assemblage de fragments transmis en un édifice : même à l’intérieur des limites d’une reprise dogmatique des conceptions fondamentales des Grecs sur l’être, une telle systématisation n’en inclut pas moins bien des acquisitions encore incomprises. Sous cette empreinte scolastique, c’est encore pour l’essentiel l’ontologie grecque qui, via les Disputationes metaphysicae de Suarez, passe dans la « métaphysique » et la philosophie transcendantale des temps modernes et détermine les fondations et les buts de la Logique de Hegel. Mais comme au cours de cette histoire, ce sont des régions d’être déterminées et privilégiées qui sont prises en vue, et même qui guident primairement la problématique (l’ego cogito de Descartes, le Moi, la raison, l’esprit, la personne), ces régions, conformément à l’omission complète de la question de l’être, demeurent non questionnées quant à l’être et à la structure de leur être. Bien plutôt le fonds catégorial de l’ontologie traditionnelle, au prix des formalisations correspondantes et de restrictions purement négatives, est-il transposé à cet étant, à moins que la dialectique ne soit appelée à l’aide en vue d’une interprétation ontologique de la substantialité du sujet. [EtreTemps6]

On sait tout cela depuis déjà longtemps, peut être depuis trop longtemps, si bien que nous ne laissons plus surgir aucune pensée concernant la détermination de la pensée comme logos. Certes, au cours de l’histoire européo-occidentale de la pensée, on a trouvé que cette pensée, qui s’était implantée dans le logos et s’était imprégnée de la Logique, ne porte pas partout et n’est pas suffisante à tout point de vue. On trouva des objets et des domaines d’objets qui, pour devenir représentables, exigent un autre procédé de pensée. Mais pour autant que la pensée se réalise originellement comme logos, l’altération du procédé de pensée ne peut consister qu’en une mutation du logos. Le legein du logos se déploie donc en un dialegestai.
La Logique devient Dialectique. Pour celle-ci, un logos, dans la forme courante de la prédication n’est jamais univoque. Prenons comme exemple la phrase : « Dieu est l’Absolu. » L’équivocité possible s’annonce dans les différentes accentuations que permet une prédication de cette nature : DIEU est l’Absolu, ou : Dieu est L’ABSOLU. La première phrase veut dire: à Dieu seul est attribué le caractère d’être l’absolu. La deuxième phrase veut dire : ce n’est qu’à partir de l’absoluité de l’absolu que Dieu a son être en tant que Dieu. La phrase: Dieu est l’absolu, révèle une pluralité de sens. Cette phrase est pourtant, d’après son apparence, une prédication simple, un logos au sens que nous avons précisé.
Ce n’est pas encore le moment de débattre si l’équivocité de ce logos se trouve dans le logique ou si le logique du logos, et donc celui-ci même, se fondent quelque part ailleurs. En tout cas, des prédications telles que celle que nous venons de citer : « Dieu est l’absolu », ne se tiennent pas de façon rigide en elles mêmes lorsqu’en les prononçant nous les pensons, c’est à dire lorsque nous parcourons leur dit. Leur logos ne dit ce qu’il doit dire que s’il par-court son propre legein en lui-même et pour lui-même; « par » signifie dia; le « pour lui-même et en lui même » s’exprime dans la forme du moyen, dans legestai. En tant que dialegestai, le legein, la prédication se promène dans son propre domaine de long en large, elle le parcourt et ainsi elle l’explore. La pensée est maintenant dialectique.
On voit facilement que toute dialectique est logique dans son essence, même si elle se développe comme dialectique de la conscience [Gewissen] ou comme dialectique réaliste et finalement comme matérialisme dialectique. Car ces formes, elles non plus, ne cesseront jamais d’être une dialectique des objets, c’est-à-dire toujours des objets de conscience [Gewissen] et par conséquent de la conscience [Gewissen] de soi, ou une ébauche de celle-ci. Dans la dialectique également, la pensée se détermine à partir de la prédication, à partir du logos. Mais là où la pensée rencontre ce qui ne se laisse plus saisir logiquement, cet insaisissable du point de vue logique continue pourtant toujours à être pris dans l’horizon du logique, et cela comme l’alogique, le non plus logique, ou comme le méta-logique, le supra-logique. [GA8 158]