Krisis [SZ]
Être est toujours l’être d’un étant. Le tout de l’étant peut, en ses diverses régions, devenir le champ d’une libération et d’une délimitation de domaines réels déterminés. Ces domaines, quant à eux, l’histoire, la nature, l’espace, la vie, le Dasein, la langue, etc., peuvent être thématisés comme objets par autant de recherches scientifiques correspondantes. La recherche scientifique accomplit de manière naïve et grossière le dégagement et la première fixation des domaines de choses. L’élaboration du domaine en ses structures fondamentales est en quelque mesure déjà accomplie par l’expérience et l’explicitation préscientifiques de la région d’être où le domaine de choses est lui-même délimité. Les « concepts fondamentaux » ainsi formés demeurent d’abord les fils conducteurs de la première ouverture concrète du domaine. Même si le poids de la recherche réside toujours dans cette positivité, néanmoins son progrès véritable ne s’accomplit pas tant dans le rassemblement des résultats et leur consignation dans des « manuels » que dans les questions — suscitées le plus souvent de manière réactive à partir de cette connaissance croissante des choses — portant sur les constitutions fondamentales du domaine considéré.
Le « mouvement » véritable des sciences se produit dans la révision plus ou moins radicale et transparente pour elle-même des concepts fondamentaux. Le niveau d’une science se détermine par la mesure en laquelle elle est capable d’une crise de ses concepts fondamentaux. En de telles crises immanentes des sciences, le rapport entre le questionner positivement scientifique et les choses interrogées vient lui-même à chanceler. De toutes parts aujourd’hui, dans les disciplines les plus diverses, se sont éveillées des tendances à reconstruire la recherche sur des fondations nouvelles.
La science apparemment la plus rigoureuse et la plus solidement articulée, la mathématique, est entrée dans une « crise des fondements ». La lutte entre formalisme et intuitionnisme a pour enjeu de conquérir et d’assurer le mode primaire d’accès à ce qui doit être l’objet de cette science. La théorie de la relativité en physique doit sa naissance à la tendance à fixer le contexte propre de la nature, tel qu’il subsiste « en soi ». En tant que théorie des conditions d’accès à la nature elle-même, elle cherche à garantir par la [10] détermination de toutes les relativités l’immutabilité des lois du mouvement, et elle se convoque ainsi devant la question de la structure du domaine qui lui est prédonné, devant le problème de la matière. En biologie se manifeste la tendance à questionner en deçà des déterminations de l’organisme et de la vie fournies par le mécanisme et le vitalisme, et à déterminer à neuf le mode d’être du vivant comme tel. Dans les sciences historiques de l’esprit, la percée vers l’effectivité historique a été encore renforcée par la tradition elle-même, c’est-à-dire par sa formulation et sa transmission : l’histoire littéraire doit devenir histoire des problèmes. La théologie est en quête d’une interprétation plus originelle de l’être de l’homme par rapport à Dieu, qui soit pré-dessinée par le sens même de la foi et qui demeure en lui. Lentement, elle recommence à comprendre l’aperçu de Luther, suivant lequel sa systématique dogmatique repose sur un « fondement » qui n’est point issu d’un questionnement primairement croyant, et dont la conceptualité non seulement ne suffit pas à la problématique théologique, mais encore la recouvre et la dénature. [EtreTemps3]