Erkennen, Erkenntnis [SZ]
Erkenntnis
Le comprendre, comme ouverture du Là, concerne toujours le tout de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. En tout comprendre du monde, l’existence est co-comprise, et inversement. En outre, toute explicitation se tient dans la structure de préalable qu’on a caractérisée. Toute explicitation qui doit contribuer à de la compréhension doit avoir déjà compris ce qui est à expliciter. On n’a jamais manqué de remarquer ce fait, ne serait-ce que dans le domaine des guises dérivées du comprendre et de l’explicitation, c’est-à-dire de l’interprétation philologique. Celle-ci appartient à la sphère de la connaissance scientifique. Une telle connaissance exige la rigueur de la légitimation fondatrice. La preuve scientifique n’a pas le droit de présupposer déjà ce que sa tâche est de fonder. Mais si l’explicitation doit à chaque fois déjà nécessairement se mouvoir dans le compris et se nourrir de lui, comment pourrait-elle produire des résultats scientifiques sans se mouvoir en cercle, surtout si la compréhension présupposée se meut de surcroît au sein de la connaissance commune des hommes et du monde ? Or le cercle, suivant les règles les plus élémentaires de la logique, est circulus vitiosus. Du coup, le travail de l’explicitation historique se trouvera a priori proscrit du domaine de la connaissance rigoureuse. Comme on n’arrive pas à se débarrasser de ce fait du cercle dans le comprendre, force est à la science historique de se contenter de possibilités de connaissance moins rigoureuses. On lui permet sans doute, dans une certaine mesure, de compenser ce défaut en invoquant la « signification spirituelle » de ses « objets ». Mais l’idéal serait naturellement, de l’avis même de l’historien, que le cercle pût être évité et que naquît l’espoir de créer une bonne fois une histoire aussi indépendante du point de vue de l’observateur que l’est — soi-disant — la connaissance de la nature. [EtreTemps32]
Erkennen
3. L’« être » est le concept « évident ». Dans toute connaissance, dans tout énoncé, dans tout comportement par rapport à l’étant, dans tout comportement par rapport à soi-même, il est fait usage de l’« être », et l’expression est alors « sans plus » compréhensible. Chacun comprend : « le ciel est bleu », « je suis joyeux », etc. Seulement, cette intelligence moyenne ne démontre guère qu’une incompréhension. Ce qu’elle manifeste, c’est qu’il y a a priori, dans tout comportement, dans tout être par rapport à l’étant comme étant, une énigme. Que toujours déjà nous vivions dans une compréhension de l’être et qu’en même temps le sens de l’être soit enveloppé dans l’obscurité, voilà qui prouve la nécessité fondamentale de répéter la question du sens de l’« être ». [EtreTemps1]
L’autre point à considérer au sujet du mot techne est encore plus important. Jusqu’à l’époque de Platon, le mot techne est toujours associé au mot episteme. Tous deux sont des noms de la connaissance au sens le plus large. Ils désignent le fait de pouvoir se retrouver en quelque chose, de s’y connaître. La connaissance donne des ouvertures. En tant que telle, elle est un dévoilement. Dans une étude particulière (Éth. Nic., VI, ch. 3 et 4), Aristote distingue l’episteme et la techne, et cela sous le rapport de ce qu’elles dévoilent et de la façon dont elles le dévoilent. La techne est un mode de l’aletheuein. Elle dévoile ce qui ne se pro-duit par soi-même et n’est pas encore devant nous, ce qui peut donc prendre, tantôt telle apparence, telle teurnure, et tantôt telle autre. Qui construit une maison ou un bateau, qui façonne une coupe sacrificielle dévoile la chose à pro-duire suivant les perspectives des quatre modalités du « faire venir ». Ce dévoilement rassemble au préalable l’apparence extérieure et la matière du bateau ou de la maison, dans la perspective de la chose achevée et complètement vue, et il arrête à partir de là les modalités de la fabrication. Ainsi le point décisif, dans la techne, ne réside aucunement dans l’action de faire et de manier, pas davantage dans l’utilisation de moyens, mais dans le dévoilement dont nous parlons. C’est comme dévoilement, non comme fabrication, que la techne est une pro-duction. [GA7, pg.18]
Dans l’histoire de l’Occident, la connaissance équivaut à ce comportement et à cette attitude du re-présenter, par lesquels on saisit le vrai, pour le conserver en se l’appropriant. Une connaissance qui n’est pas vraie, n’est pas seulement une « connaissance illusoire », elle n’en est pas même une. En parlant d’une « vraie connaissance », nous disons deux fois la même chose. Le vrai et sa possession ou, comme an dit brièvement, la vérité au sens de ce qui est reconnu pour être vrai constituent l’essence de la connaissance. Dans la question de savoir ce qu’est la connaissance, c’est au fond sur la vérité et son essence que l’on s’interroge. Et la vérité? si telle ou telle chose est tenue pour ce qu’elle est, nous nommons le fait de tenir pour… un tenir pour vrai. Le vrai signifie ici la chose qui est. Saisir le vrai, énonce le fait de prendre l’étant dans la re-présentation et l’énonciation, le retransmettre et le conserver dans la transmission, tel qu’il est. Le vrai et la vérité se trouvent dans le plus intime rapport à l’étant. La question concernant l’essence de la connaissance, en tant que concernant le vrai et la vérité, est une interrogation sur l’étant. La question qui s’interroge sur l’étant, sur ce qu’il serait en tant que tel, s’interroge par delà l’étant, et y revient, du même coup. Ainsi la question qui concerne la connaissance est métaphysique. [N1, pg. 388]