destaque
Trata-se, portanto, em primeiro lugar, de ascender do eu ao si mesmo para mostrar a sua essência temporal e, portanto, não subjectiva, e, em segundo lugar, de dar o salto para essa essência para regressar à necessidade ontológica do si na economia da dispensação. E como o si será então reconduzido ao seu ser, a sua denominação desaparecerá enquanto tal e será renovada na sua nomeação: o si será o mortal no seio do Quadripartido, será inscrito no desdobramento do Ereignis. Não se pode acceder ao Sein permanecendo fixado no Dasein. O Kehre é o salto para a essência em desdobramento do ser, o salto que todo o pensamento fundamental tem de dar pela sua própria natureza. Apontar para algo que nos engloba é, em última análise, ter a consequência de nos deixarmos englobar por aquilo que nos contém e que foi reconhecido como tal. Só deixando ser este fundo que me domina, e não o reduzindo exclusiva e inadequadamente à minha subjetividade, é que posso chegar a um pensamento verdadeiro do ser desta subjetividade.
La principale préoccupation de Heidegger est la relation de l’homme à l’être, relation qui s’ouvre ensuite d’elle-même sur celle de l’être à l’homme, justifiant effectivement le virage 1 du Selbst de l’homme à la Selbigkeit de l’être ; au fur et à mesure que la structure du soi se découvre, la pensée avance et prend possession d’elle-même (87) en donnant l’initiative à l’être, de la relation auquel, montre Sein und Zeit, dépend la et les structure(s) du soi. Chez Heidegger, la critique d’un moi transparent à lui-même et refermé sur lui-même est constante. C’est en ce sens qu’il refuse le simplisme philosophique issu de toute doctrine de la subjecti(vi)té. Mais les références au rapport à soi, puis à la mêmeté, sont constantes et traversent tout l’œuvre : si le vocabulaire évolue, on retrouve néanmoins la fonction ontologique présente dans le soi à travers les notions fondamentales du « deuxième » Heidegger : Selbe, Selbigkeit, Er-eignis. Il y a bel et bien continuelle présence de la pensée de l’ipséité d’un soi qui n’est pas un sujet et dont l’être demeure pensable au sein d’une pulsation ontologique qui le dépasse mais ne l’abolit en rien, puisque, le déployant, il l’envoie à lui-même au moment précis où il le reprend. De la recherche de l’ipséité authentique à la méditation de l’Ereignis, une pensée de l’être-en-propre et de l’identité personnelle sans cesse se développe et s’approfondit, renouvelant dès lors à chaque pas le vocabulaire de la problématique traditionnelle, puis son propre vocabulaire, mais ne faisant en rien disparaître le souci du soi qu’il s’agit de fonder : la solution de Heidegger n’est pas dissolution.
Ainsi le moi doit-il d’abord être désubstantialisé, afin que le soi puisse libérer pour une pensée la temporalité qui l’habite, qu’il habite et dont il est proprement tissé. Notre première section dévoilera pas à pas la temporalité et l’établira comme structure de ce soi qui précomprend l’être. En cette première étape, nous irons ainsi du moi à l’être-soi, puis de l’être-soi à l’ipséité comme temporalité du Dasein.
Être soi, c’est tout à la fois être rapport à l’être et être rapport à soi, c’est pouvoir poser la question de l’être de son propre moi. La possibilité de poser cette question et de se rapporter ainsi à « soi-même comme un autre » fait sortir le moi du carcan dans lequel la tradition subjectiviste a voulu l’enfermer. Le moi échappant à la réification grâce à la prise en compte, en lui, de l’être-soi, il faut alors penser la possibilité même de cet être-soi dans le Dasein temporel – ou, si l’on veut et plus exactement, puisqu’il s’agit d’une structure non ontique, temporal – alors compris comme l’ipséité même. Nous obtiendrons ainsi la structure temporale de l’ipséité. Le soi s’ipséisera alors, au terme de cette première section, dans son rapport à l’être qui seul maintient ouverte sa propre ouverture. Le soi n’est soi qu’en tant qu’il montre (et monte) vers l’être.
Mais alors, cet être dépassant le soi qui a rapport à lui comme au sol natal de son propre être-soi, cet être devient en tant qu’être le fond de (88) l’ipséité elle-même. Afin de ne pas sacrifier la rigueur, le sérieux de la pensée, et de maintenir ouverte cette dernière, la tâche deviendra alors le saut vers l’origine qui est en même temps le seul saut véritablement originaire (Ursprung) ; nous laisserons ainsi le soi s’inonder de sa propre source, il se gagnera lui-même par l’être. En se jetant dans la vérité de l’être, que le soi, en tant que Dasein et temporalité, connaît alors comme sa propre vérité, celui-ci se laisse régir par ce qui depuis toujours le gouverne et l’oriente sans qu’il en ait expressément conscience. Notre seconde section correspond à ce que Heidegger a appelé die Kehre (le « Tournant »), et qui, loin de constituer une date précise de son chemin de pensée, n’a pas lieu une seule et unique fois à tel point de sa chronologie personnelle, mais toutes les fois que la pensée, montrant vers l’être et constituant son être comme cette monstration même, laisse être ce qui toujours la surplombe et la produit, afin que ce fond originaire à son tour la laisse être comme son co-respondant. Si l’ipséité n’est pas un soi, alors il convient de partir de cette essence non-ipséique du soi, l’être, pour revenir au soi.
Il s’agit donc, premièrement, de monter du moi jusqu’au soi pour en montrer l’essence temporale et donc non subjective, deuxièmement, de faire le saut dans cette essence pour revenir à la nécessité ontologique du soi dans l’économie de la dispensation. Et comme le soi se trouvera dès lors repris en son être, son appellation disparaîtra comme telle et se trouvera renouvelée en sa nomination : le soi sera le mortel au sein du Quadriparti, il sera inscrit dans le déploiement de l’Ereignis. On ne saurait accéder au Sein en restant crispé sur le Dasein. La Kehre, c’est le saut dans l’essence déployante de l’être, le saut que toute pensée du fond se doit d’opérer par nature. Montrer vers quelque chose qui nous englobe, c’est en dernier lieu avoir la conséquence de se laisser englober par ce qui nous contient et a été reconnu comme tel. Ce n’est qu’en laissant être ce fond qui me domine, et non en le ramenant exclusivement et inadéquatement à ma subjectivité, que je puis parvenir à une pensée véridique de l’être de cette subjectivité. Le soi sera ainsi convoqué à laisser être l’être qui est son être ; il lui sera donné dès lors la possibilité de « boire à ce qu’il contient », selon l’expression de Joë Bousquet, et, de fait, à ce qui le contient. « Je voudrais, comme d’une blessure, sentir ruisseler en moi quelque chose d’inconnu, boire à ce que je contiens » 2 : telles sont les paroles que pourraient prononcer le soi au seuil de notre seconde (89) section, lui qui, se retournant (sich kehrend), réalise que tout ce qui lui est donné d’apercevoir devant lui, c’est lui-même en tant que pris en lui-même et jeté dans l’être. La Kehre, c’est le soi qui se retourne et regarde ce qui, depuis toujours et en amont, le gouverne. En définitive, la Kehre se produit à chaque fois que la pensée passe du soi comme ouverture à.., au soi comme ouverture issue de ce à quoi il s’ouvre. C’est là tout ce qui fait l’essence paradoxale du soi : le soi est ouverture à/de l’être, le soi est pensée de l’être (au double sens du génitif).
Nos deux principales sections suivent donc les deux paliers d’un même mouvement d’approfondissement : 1) du Ich au Selbstsein, puis du Selbstsein à la Selbstheit/Dasein ; 2) de la Selbstheit/Dasein à la Liberté (qui est liberté dans l’homme, c’est-à-dire liberté de l’être), puis de la Liberté à la Selbigkeit/Ereignis.
Le chemin suivi par Heidegger nous permettra ainsi d’apporter une réponse à la question fondamentale de la philosophie, reprise dès l’introduction de Être et Temps [Cf. § 4 (ET4) ], et qui se donne comme la question fondamentale de la pensée heideggerienne elle-même et de sa cohérence interne, comme le corrélât immédiat de la Seinsfrage : quelle est la consistance ontologique d’une âme qui a pour essence de « convenir avec tout étant », comme le dit saint Thomas, d’être « en quelque sorte tout étant », comme le dit avant lui Aristote 3 ? Quelle est la signification de cet « en quelque sorte » ? Quelle l’ipséité, quelle sa structure, quelle sa teneur, pour pouvoir être ainsi ouverte à toute chose et laisser les choses s’inscrire en elle ? Heidegger nous montre la pensée dans et comme le don de l’être, qui lui-même sans cesse, en tant qu’Ereignis, se l’approprie, se l’accorde pour refléter son propre don. La pensée, permanente souvenance de l’être, comme la Mnémosyne de Claudel, garde et re-garde :
<poesie> Elle écoute, elle considère.Elle ressent (étant le sens intérieur de l’esprit).
Pure, simple, inviolable ! elle se souvient.
Elle est le poids spirituel.
Elle est le rapport exprimé par un chiffre très beau.
Elle est posée d’une manière qui est ineffable
Sur le pouls même de l’Être 4.
- Né de la nécessité même où nous plonge l’analytique existentiale, comme nous le verrons et montrerons plus loin.[↩]
- J. Bousquet, Traduit du silence, p. 128.[↩]
- C’est Heidegger lui-même qui opère ce rapprochement. Cf. GA24:155, 171, 318, et surtout SuZ:14.[↩]
- Claudel, Cinq grandes odes, in Œuvre poétique, p. 222-223.[↩]