bonne conscience

« bonne » conscience (Gewissen)

Toutefois, ne répondrions-nous pas plus aisément et sûrement à la question de savoir ce que l’appel dit en nous « contentant » d’invoquer ce qui est constamment entendu — ou non-entendu — dans toutes les expériences de conscience (Gewissen), à savoir que l’appel advoque le Dasein (281) en tant que « coupable », ou bien, comme dans la conscience (Gewissen) admonitrice, qu’il renvoie à une « dette » possible, à moins que, en tant que bonne conscience (Gewissen), il ne confirme sa « liquidation » ? Peut-être — si seulement ce « en-dette » (NT: En-dette = schuldig, ordinairement « coupable », adjectif formé sur Schuld, qui veut dire aussi bien la faute que la dette. Pourquoi nous retenons, dans ces pages, « dette » de préférence à « faute » pour traduire Schuld, c’est ce qui s’expliquera dans la suite même de ce paragraphe. Rappelons, du point de vue philologique, que Schuld est en allemand le subst. de sollen comme dette le subst. de devoir, ce qui n’empêchera pas H., à la p. 283 d’avertir expressément que cette étymologie n’est pas ici éclairante.) qui est expérimenté si « unanimement » dans les expériences et les explicitations de la conscience (Gewissen) ne faisait pas l’objet de déterminations aussi divergentes ! Du reste, même si le sens de ce « en-dette » se laissait univoquement saisir, le concept existential de cet être-en-dette n’en demeurerait pas moins obscur. Certes, s’il est vrai que c’est le Dasein lui-même qui s’ad-voque comme en-dette », il est clair que l’idée de dette ne saurait être puisée ailleurs que dans une interprétation de l’être du Dasein. Seulement, la question s’élève derechef : qui dit comment nous sommes en dette et ce que dette signifie ? L’idée de dette ne saurait être forgée arbitrairement et imposée de force au Dasein. Mais si une compréhension de l’essence de la dette est en général possible, alors il faut que cette possibilité soit pré-dessinée dans le Dasein. Comment trouver la trace qui puisse nous conduire au dévoilement du phénomène ? Toutes les recherches ontologiques sur des phénomènes comme la dette, la conscience (Gewissen), la mort doivent nécessairement prendre leur point de départ dans ce qu’en « dit » l’explicitation quotidienne (alltäglich) du Dasein. En même temps, le mode d’être échéant du Dasein implique que son explicitation est le plus souvent « orientée » inauthentiquement et n’atteint pas l’« essence », parce que le questionnement ontologique originairement adéquat lui reste étranger. Néanmoins, dans toute erreur de vision se dévoile en même temps une indication en direction de l’« idée » originaire du phénomène. Mais où prendrons-nous le critère du sens existential originaire du « en-dette » ? Réponse : l’essentiel est ici que ce « en-dette » surgit comme prédicat du « je suis ». La question est alors celle-ci : est-ce que ce qui est compris comme « dette » dans une explicitation inauthentique se trouve quand même dans l’être du Dasein comme tel, et cela de telle manière que le Dasein, pour autant qu’à chaque fois il existe facticement, soit aussi déjà en dette ? EtreTemps58

Cela ne veut pas dire cependant : vouloir avoir une « bonne conscience (Gewissen) », et pas davantage un culte volontairement rendu à l’appel, mais uniquement la disponibilité à l’être-ad-voqué. Le vouloir-avoir-conscience (Gewissen) est tout aussi éloigné d’une recherche de responsabilités factices que de la tendance à une libération à l’égard de la dette au sens du « en-dette » essentiel. EtreTemps58

Quadruple est l’objection que l’explicitation vulgaire de la conscience (Gewissen) pourrait adresser à notre interprétation de la conscience (Gewissen) comme con-vocation (Aufruf) du souci à l’être-en-dette : 1. La conscience (Gewissen) a essentiellement une fonction critique. 2. La conscience (Gewissen) parle à chaque fois relativement à un acte déterminé, accompli ou voulu. 3. Sa « voix », d’après l’expérience, n’est jamais rapportée si radicalement à l’être du Dasein. 4. L’interprétation exposée ne tient aucun compte des formes fondamentales du phénomène, de la « mauvaise » et de la « bonne » conscience (Gewissen), de la conscience (Gewissen) qui « réprimande » et qui « avertit ». EtreTemps59

Si la caractérisation citée de la « mauvaise » conscience (Gewissen) échoue déjà à atteindre le phénomène originaire, cela vaut encore davantage de celle de la « bonne » conscience (Gewissen), que l’on considère celle-ci comme une forme autonome de conscience (Gewissen) ou comme une forme essentiellement fondée dans la « mauvaise ». Or cette « bonne » conscience (Gewissen) devrait, tout comme la « mauvaise » annonce un « être-mauvais », annoncer l’« être-bon » du Dasein. Mais l’on constate aisément que la conscience (Gewissen) auparavant déterminée comme une « émanation de la puissance divine », devient maintenant la servante du pharisaïsme. En effet, elle doit faire dire de lui-même à l’homme : « je suis bon » – mais qui peut dire cela, et qui justement moins que l’homme bon voudrait se le confirmer ? Tout ce que cette conséquence (Abfolge) impossible de l’idée de bonne conscience (Gewissen) contribue à montrer, c’est que la conscience (Gewissen) appelle un être-en-dette. EtreTemps59

Pour échapper à la conséquence (Abfolge) citée, on a interprété la « bonne » conscience (Gewissen) comme privation de la « mauvaise » et on l’a déterminée comme « le défaut vécu de la mauvaise conscience (Gewissen) » (NA: Cf. M. SCHELER, Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik, IIème partie, dans le présent Jahrbuch, t. II, 1916, p. 192. (NT: Cf. la trad. M. de Gandillac déjà citée.)). Du coup, elle serait une expérience du non-surgissement de l’appel, c’est-à-dire du fait que l’appel n’a rien à me reprocher. Mais comment ce « défaut » est-il « vécu »? Ce prétendu vécu n’est absolument pas l’expérience d’un appel, mais une manière de s’assurer qu’un acte imputé au Dasein n’a pas été commis par lui et que pour cette raison il n’est pas (292) en-dette. Mais se rendre certain que l’on n’a pas fait quelque chose, c’est là une opération qui n’a absolument pas le caractère d’un phénomène de la conscience (Gewissen). Au contraire : cette certification peut signifier plutôt un oubli de la conscience (Gewissen), autrement dit la sortie hors de la possibilité de pouvoir être ad-voqué. La « certitude » en question abrite en soi le refoulement rassurant du vouloir-avoir-conscience (Gewissen), c’est-à-dire de la compréhension de l’être-en-dette le plus propre et constant. La « bonne » conscience (Gewissen) n’est ni une forme autonome, ni une forme dérivée de conscience (Gewissen) – elle n’est absolument pas un phénomène de la conscience (Gewissen). EtreTemps59

Tout ce que révèle le fait que l’expression « bonne conscience (Gewissen) » provienne de l’expérience de la conscience (Gewissen) du Dasein quotidien (alltäglich), c’est que celui-ci, même lorsqu’il parle de « mauvaise » conscience (Gewissen), manque fondamentalement le phénomène. Car facticement, l’idée de « mauvaise » conscience (Gewissen) s’oriente sur celle de « bonne » conscience (Gewissen). L’explicitation quotidienne (alltäglich) se tient dans la dimension du calcul et du compromis préoccupé de la « faute » et de l’« innocence », et c’est dans cet horizon que la voix de la conscience (Gewissen) est alors « vécue ». EtreTemps59

Avec cette caractérisation du degré d’originarité des idées de « mauvaise » et de « bonne » conscience (Gewissen), il est déjà décidé du même coup de celle de la distinction entre une conscience (Gewissen) qui avertit prospectivement et une conscience (Gewissen) qui réprimande rétrospectivement. Sans doute, l’idée de conscience (Gewissen) admonitrice semble se rapprocher autant qu’il est possible de la con-vocation (Aufruf) à…, puisqu’elle partage avec celle-ci le caractère du signifier en avant… Et pourtant, cette concordance n’est qu’apparente. En effet, l’expérience d’une conscience (Gewissen) admonitrice ne veut à nouveau envisager la voix que comme orientée sur l’acte voulu, acte dont elle veut préserver. L’admonition, en tant qu’elle réfrène ce qui est voulu, n’est cependant possible que parce que l’appel qui « avertit » vise le pouvoir-être du Dasein, autrement dit le se-comprendre dans l’être-en-dette, contre lequel seulement le « voulu » peut se briser. La conscience (Gewissen) admonitrice a la fonction de la régulation momentanée de l’abstention de toute endettement. À nouveau, l’expérience de la conscience (Gewissen) admonitrice n’aperçoit la tendance appelante de la conscience (Gewissen) que dans la mesure où elle demeure accessible à l’entente du On. EtreTemps59

Du même coup, la deuxième objection, selon laquelle l’interprétation existentiale méconnaîtrait que l’appel de la conscience (Gewissen) se rapporte toujours à un acte déterminé, « effectif » ou voulu, perd également toute force. Certes, que l’appel soit couramment expérimenté suivant cette tendance, on ne saurait derechef le nier. La question reste seulement de savoir si cette expérience de l’appel laisse l’appel complètement « retentir ». L’explicitation du simple entendement peut bien s’imaginer qu’elle s’en tient aux seuls « faits », finalement, de par son entente propre, elle a toujours déjà restreint la portée d’ouverture de l’appel. Aussi peu la « bonne » conscience (Gewissen) se laisse mettre au service d’un « pharisaïsme », aussi peu la fonction de la « mauvaise » conscience (Gewissen) peut être réduite à simplement indiquer des endettements sous-la-main ou à en refouler (abdrängen) de possibles – un peu comme si le Dasein était un « ménage » dont il n’y aurait qu’à équilibrer les comptes pour que le Soi-même pût prendre place, spectateur non engagé, « à côté » de ces déroulements de vécus. EtreTemps59