tradução parcial
Diremos então que a existência humana, qualquer que seja a sua definição, desde o nascimento até à morte, se desenrola sempre em situações afetivas? Sem dúvida. Porque não se trata, em primeiro lugar, de uma visão teórica ou de uma circunspecção prática, dessas maneiras de nos situarmos em relação ao que está diante de nós; trata-se de uma vibração puramente sensível que nos acompanha por toda a parte. O indivíduo não se relaciona espontaneamente com o que o rodeia por curiosidade ou utilidade; está já imbuído de uma impressão de conjunto. Por seu lado, o ser que se apresenta não é um objeto ou um instrumento. Não existe mais como uma substância dotada de qualidades do que como um possível instrumento de ação. Acima de tudo, é atrativo, repulsivo, intrigante. É um objeto de valor, um objeto de estilo, um objeto de expressão. Por exemplo, o sol que nos ilumina e aquece não aparece imediatamente como uma fonte de luz ou de calor, mas antes como algo cuja aparição no céu nos encanta. O ser-no-mundo abre-se originariamente numa dada expressão afetiva. É apenas o enfraquecimento progressivo dessa presença que, em circunstâncias que teremos de explicar, liberta o campo da perceptibilidade e permite o aparecimento de seres simples. Daí resulta que o mundo não se revela a nós de um ponto de vista teórico ou prático. Revela-se no seio desta ressonância. Porque o que sentimos primeiro não são coisas com qualidades objetivas, mas, à nossa volta, tons, ares, excitações vagas que nos atraem ou repelem.
original
Notre thèse est : l’homme vit continuellement au sein d’ambiances. Il n’est pas simplement conscience de soi ou souci, il est, dans sa relation à soi, aux autres et au monde, pris par des ambiances, enveloppé en elles. Prenons n’importe quelle situation de la vie, elle possède toujours une certaine tonalité affective. Il s’agit là d’un principe a priori. Tout ce que nous pouvons sentir autour de nous, nous le sentons à partir d’un climat affectif. L’ambiance forme le dôme invisible sous lequel se déroulent toutes nos expériences. C’est elle, cette atmosphère affective aux contours souvent mal définis, que l’on ressent tout d’abord lorsqu’on découvre un nouveau lieu. Et souvent ce sera ce même caractère d’ambiance, comme un air de famille ou un je-ne-sais-quoi indéfinissable, dont on se souviendra longtemps après, lorsqu’on sera plus tard amené à évoquer ce moment, alors que ses détails objectifs se seront évanouis.
Dira-t-on alors que l’existence humaine, et ce quelle que soit la définition que l’on puisse en donner, se déroule, de la naissance à la mort, toujours au sein de situations affectives ? Assurément. Car elle n’est pas d’abord un regard théorique ou une circonspection pratique, ces manières de se situer par rapport à ce qui est devant soi, elle est une pure vibration sensible qui nous accompagne partout. L’individu ne se rapporte pas spontanément à ce qui l’entoure sur le mode de la curiosité ou de l’utilité, il est déjà imprégné par une impression d’ensemble. De son côté, l’étant qui se présente à lui n’est pas un objet ou un outil. Il n’est pas plus là comme substance pourvue de qualités que comme instrument possible d’une action. Avant tout, il est attirant, repoussant, intrigant. C’est un objet — valeur, un objet — style, un objet — expression. Par exemple, le soleil qui nous éclaire, et nous réchauffe, ne se montre pas immédiatement comme une source de lumière ou de chaleur, il est plutôt ce dont l’apparition dans le ciel nous réjouit. L’être-dans-le-monde s’ouvre originellement au sein d’une expression affective donnée. Ce n’est que l’affaiblissement progressif de cette présence qui, dans des circonstances que nous aurons à expliciter, libère le champ de la perceptibilité et laisse apparaître de simples étants. D’où il suit que le monde ne se découvre pas à nous selon un point de vue théorique ou pratique. Il se dévoile au sein de cette résonance. Car ce que nous sentons en premier lieu, ce ne sont pas des choses pourvues de qualités objectives, mais, tout autour de nous, des tons, des airs, des excitations vagues qui nous attirent ou nous repoussent.
Ce primat de l’affectivité, que des penseurs modernes comme Schopenhauer, Nietzsche, Scheler, Heidegger ou Henry ont mis au jour et posé au fondement de toute expérience, n’est pas à entendre de manière platement chronologique comme une simple phase originelle de la vie qui se transformerait ensuite, le plus souvent pour son malheur, en éléments atténués et neutres, mais comme ce qui constitue la part la plus profonde de son être. Il ne s’agit donc pas ici d’inverser le rapport hiérarchique entre la raison et l’émotion, et de mettre à la place du logos le pathos . Il est avant tout question dans cette philosophie de l’affectivité, qui remet en cause l’idée même de fondement, de comprendre qu’à la racine de tout être se tiennent des faisceaux de passions, des nœuds de sentiments. « Le cœur est la clé du monde et de la vie », affirme Novalis, car tout ce qui est ne prend sens que par rapport à la manière dont il se manifeste affectivement. « Sous chaque pensée gît un affect. » Et tout ce qui se développera ensuite (idées, projets, valeurs, jugements, désirs, etc.) le fera en tenant compte de cette puissance affective originelle, que ce soit en la poursuivant, en la modifiant ou en la niant.
Pour reconnaître cette primordialité de l’affectivité, il convient néanmoins de se défaire des préjugés traditionnels qui la discréditent. Le tout premier, bien avant celui de sa disqualification morale comme aliénation ou épistémologique comme distraction, consiste dans l’affirmation de son caractère dérivé. En effet, la tradition philosophique, d’Aristote à Kant, a généralement conçu l’affectivité selon un modèle réactif. À l’effet de la chose sur la sensibilité (à savoir la sensation, ou aisthésis ) succède, selon elle, l’effet de cette sensation elle — même sur la sensibilité (à savoir le sentiment, ou pathos ). L’affect est posé comme une réaction de réaction, l’effet d’un effet, doublement passif donc, puisque pris dans la donation sensible puis affective. En tant que phénomène dérivé, il accompagne la sensation en lui donnant une résonance de plaisir ou déplaisir ; il n’en est que sa répercussion subjective, contrecoup de l’impression qui se poursuit dans la sensibilité interne en sentiment. Si la sensation lie la sensibilité au monde, provenant de son action stimulatrice, le sentiment révèle, quant à lui, l’effet interne, personnel et acosmique de cette sensation qui est pour ainsi dire sentie une seconde fois comme sensation intériorisée. Ce n’est rien d’autre que la réfraction de l’impression brute dans l’histoire d’une vie, la façon individuelle et irremplaçable de recevoir le monde. Toujours est — il que ce sentiment manifeste, non ce que l’on sent, mais, à proprement parler, ce que l’on ressent lorsque l’on sent, autrement dit cette réverbération de la sensation en nous.