L’analytique du Dasein ainsi conçue demeure entièrement orientée sur la tâche directrice de l’élaboration de la question de l’être. C’est par là que se déterminent ses limites. Elle ne peut prétendre fournir une ontologie complète du Dasein – laquelle bien entendu doit être construite si quelque chose comme une « anthropologie philosophique » doit un jour s’élever sur une base philosophiquement suffisante. L’interprétation qui suit apportera seulement quelques « éléments », certes non dénués d’importance, au projet d’une anthropologie possible, ou plutôt de sa fondamentation ontologique. Cependant, l’analyse du Dasein est non seulement incomplète, mais encore et avant tout provisoire. Elle dégage seulement d’abord l’être de cet étant, sans interpréter son sens. C’est la libération de l’horizon pour l’interprétation la plus originelle de l’être qu’elle est bien plutôt destinée à préparer. Que celle-ci soit d’abord acquise, et alors l’analytique préparatoire du Dasein exigera d’être répétée (NT: On ne confondra évidemment pas cette répétition générale avec celle, plus restreinte, de la section 1 par la section 2 dont va parler l’alinéa suivant) sur une base ontologique plus élevée et authentique. EtreTemps5
L’interprétation du Dasein en sa quotidienneté [Alltäglichkeit] n’est pas pour autant identique à la description d’un degré primitif du Dasein tel que l’anthropologie peut nous en procurer empiriquement la connaissance. La quotidienneté [Alltäglichkeit] ne se confond pas avec la primitivité. La quotidienneté [Alltäglichkeit] est bien plutôt un mode d’être du Dasein même lorsque et justement lorsqu’il se [51] meut au sens d’une culture hautement développée et différenciée. D’autre part, le Dasein primitif possède lui aussi ses possibilités d’être non-quotidien [alltäglich], il a sa quotidienneté [Alltäglichkeit] spécifique. L’orientation de l’analyse du Dasein sur la « vie des peuples primitifs » peut certes avoir une signification méthodique positive dans la mesure où des « phénomènes primitifs » sont souvent moins recouverts et compliqués par une auto-interprétation déjà établie du Dasein en question. Le Dasein primitif parle souvent plus directement à partir d’une identification originelle aux « phénomènes » (au sens pré-phénoménologique du terme). Une conceptualité malhabile et grossière à notre point de vue peut être féconde pour un dégagement authentique des structures ontologiques des phénomènes. EtreTemps11
Le discours sur le « cercle » de la compréhension n’est que l’expression d’une double méconnaissance : 1. Méconnaissance que le comprendre constitue lui-même un mode fondamental de l’être du Dasein. 2. Méconnaissance que cet être est constitué comme souci. Nier ce cercle, vouloir le masquer ou même le surmonter, cela signifie consolider définitivement cette méconnaissance. L’effort doit bien plutôt s’appliquer à sauter originairement et totalement dans ce « cercle » afin de s’assurer, dès l’amorçage de l’analyse du Dasein, d’un regard plein sur l’être circulaire du Dasein. En revanche, l’on ne « présuppose » pas trop, mais trop peu pour l’ontologie du Dasein lorsque l’on « part » d’un Moi sans monde, afin de lui procurer par après un objet et une relation ontologiquement [316] dépourvue de fondement à cet objet. Le regard porte trop court lorsque c’est « la vie » qui est prise pour problème, dût la mort, à l’occasion, être elle aussi prise ensuite en considération ; de même que l’objet thématique est découpé de manière artificiellement dogmatique lorsque l’on « commence » par se restreindre à un « sujet théorique » en se réservant ensuite de le compléter « du côté pratique » par une « éthique » surajoutée. EtreTemps63