Le terme situation (« être dans la situation de… ») connote une signification spatiale, que nous ne nous appliquerons pas à éliminer de son concept existential. Car cette signification ne s’attache pas moins au « Là » du Dasein. À l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] appartient une spatialité propre, qui est caractérisée par les phénomènes de l’é-loignement [Entfernung] et de l’orientation. Le Dasein « aménage » pour autant qu’il existe facticement [NA: Cf. supra, § 23 et 24, p. [104] sq.]. Mais la spatialité propre au Dasein, sur la base de laquelle l’existence se détermine à chaque fois son « site », se fonde dans la constitution de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Le constituant primaire de cette constitution est l’ouverture. De même que la spatialité du Là se fonde dans l’ouverture, de même la situation a ses fondations dans la résolution. La situation est le Là à chaque fois ouvert dans la résolution — le Là en tant que quoi l’étant existant est là. La situation n’est pas un cadre sous-la-main où le Dasein surviendrait, ou dans lequel il ne ferait que s’insérer. Sans commune mesure avec une combinaison sous-la-main de circonstances et de contingences survenantes, la situation [300] n’est que par et dans la résolution. C’est seulement autant qu’il est résolu pour le Là en tant que quoi le Soi-même a à être en existant, que peut s’ouvrir pour la première fois à lui tout caractère factice de tournure [Bewandtnis] des circonstances. C’est à la résolution seulement que peut « é-choir » à partir du monde commun [Mitwelt] et ambiant ce que nous appelons des « accidents », des « oc-casions ». 1179 § 60
De prime abord et le plus souvent, le Dasein se comprend à partir de ce qui lui fait encontre dans le monde ambiant et dont il se préoccupe circon-spectivement. Ce comprendre n’est pas une simple prise de connaissance de lui-même, qui se bornerait à accompagner tous les comportements du Dasein. Comprendre signifie se-projeter vers ce qui est à chaque fois la possibilité de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein], autrement dit exister en tant que cette possibilité. Ainsi, le comprendre comme entente constitue-t-il également l’existence inauthentique du On. Ce qui fait encontre à la préoccupation [Besorgen] quotidienne [alltäglich] dans l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] public, ce ne sont [388] pas seulement l’outil [Zeug] et l’ouvrage, mais aussi ce qui en « résulte » : les « affaires », les entreprises, les incidents et les accidents. Le « monde » en est à la fois le sol et le théâtre, et, comme tel, il appartient conjointement aux faits et gestes quotidien [alltäglich]s. Dans l’être-l’un-avec-l’autre [Miteinandersein] public, les autres ne nous font encontre que dans une affaire où « l’on est soi-même plongé ». Et cette affaire, on la connaît, on la commente, on la promeut, on la combat, on la préserve et on l’oublie — mais toujours en n’ayant primairement d’yeux que pour ce qui se poursuit ainsi et ce qui en « sort ». Le progrès, la stagnation, le changement, le « bilan » du Dasein singulier, nous ne les évaluons de prime abord qu’à partir du cours, de l’état, du changement et de la disponibilité de l’étant offert à la préoccupation [Besorgen]. Si trivial que puisse être ce renvoi à la compréhension du Dasein qui caractérise l’entendement quotidien [alltäglich], il se trouve que, du point de vue ontologique, elle est rien moins que transparente. Car pourquoi, dans ces conditions, l’« enchaînement » du Dasein ne serait-il pas lui aussi déterminé à partir de ce dont on se préoccupe, de ce que l’on « vit » ? L’outil [Zeug], l’ouvrage, et tout ce auprès de quoi le Dasein se tient, tout cela ne co-appartient-il pas à son « histoire » ? Le provenir de l’histoire, dès lors, ne serait-il que le déroulement — considéré isolément — de « flux de vécus » dans les sujets singuliers ? 1484 § 75