(Bernet1994)
Qu’est-ce qui apparaît grâce à la réduction phénoménologique? Selon Husserl, c’est la subjectivité transcendantale en tant qu’elle constitue le monde. Ce qui devient phénomène, c’est donc tout autant le monde en tant qu’il est constitué par la subjectivité transcendantale que cette subjectivité elle-même en tant qu’elle constitue le monde. La réduction phénoménologique met ainsi en lumière la « corrélation transcendantale » entre l’être du sujet constituant et l’être du monde constitué en montrant aussi comment cette constitution était déjà à l’œuvre dans la vie naturelle, sans qu’elle apparaisse pour autant. Pour Heidegger aussi, c’est l’être et notamment l’être des étants qui apparaît grâce à la réduction phénoménologique : l’être des outils, l’être du monde ambiant, l’être du Dasein dans ses divers modes de l’existence, et finalement le sens de l’être en général. Cet apparaître phénoménologique ne fait cependant plus appel à un regard détaché, comme chez Husserl, mais il s’accomplit au sein de l’existence effective du Dasein. Avec l’apparaître de l’être des différents étants, Heidegger interroge dès ses premiers écrits phénoménologiques la phénoménalité de ces phénomènes. J.-L. Marion, enfin, tente de dépasser une telle conception « transcendantale » husserlienne ou « existentiale » heideggérienne de la réduction pour faire apparaître « le don de se rendre ou de se soustraire à la revendication de l’appel » (p. 305). Ce don s’adresse à « l’interloqué » et s’accomplit chaque fois qu’il y a appel et quel que soit le contenu de cet appel. Faisant apparaître « l’appel comme tel » (p. 295), cette réduction ouvre un champ de donation qui est bien plus large que le phénomène de la corrélation transcendantale ou le phénomène ontologique.
La question de savoir ce qui apparaît grâce à la réduction phénoménologique a donc trouvé une réponse explicite au cours de l’histoire de la phénoménologie, même si les réponses diffèrent et que la nature de cette différence est loin d’être évidente. M. Henry a raison de faire remarquer que les phénoménologues ont par contre souvent négligé de se demander ce que « apparaître phénoménologiquement » veut dire. Selon M. Henry cela serait dû au fait qu’on pensait connaître la réponse en assumant que tout apparaître prenait nécessairement la forme de l’intentionnalité ou de la transcendance extatique1. Plutôt que de présupposer que toute donation est une affection de l’immanence du sujet par quelque chose qui le dépasse, il faudrait selon lui faire une place à « la duplicité de l’apparaître » (p. 23) et se rendre à l’évidence que l’apparaître de la transcendance n’est qu’une forme dérivée de l’apparaître : « Jamais cependant l’affection par le monde ni par conséquent par un étant ne se produirait si cette affection extatique ne s’auto-affectait dans la Vie, laquelle n’est autre chose que cette auto-affection primitive » (p. 16).