Hartmut Rosa (Resonance) – ressonância sujeito e mundo

James C. Wagner

The notion, initially developed primarily within the phenomenological tradition, that human beings are first and foremost not creatures capable of language, reason, or sensation, but creatures capable of resonance, has meanwhile been confirmed both in theoretical approaches to the issue of intersubjectivity, particularly those drawing on the work of George Herbert Mead (according to whom subjectivity first emerges through one’s response to a reaction visible in the gaze of one’s mother or caretaker), as well as in findings from the field of neuropsychology relating to the functioning of “mirror neurons.” The notion that not subjects and objects, but dynamic relationships and referentialities might form the basic material of reality has also inspired more recent theoretical approaches to the idea of networks, including Bruno Latour’s authoritative actor-network theory and Harrison White’s phenomenological network theory.

Fundamental to this conceptualization of relating to the world is the insight that such relationships are first established existentially and corporeally, and that the world, as the always already present other side of said relationship, necessarily concerns us in some way as subjects, that it has significance for us and that we find ourselves intentionally oriented toward it. Fear and desire, as I will show in the further course of this book, form the basic elements of this relationship. By contrast, the three-part division of world into the objective world of things, the social world of human beings, and the subjective inner world of feelings, wishes, and perceptions, as proposed by the likes of Günter Dux and Jürgen Habermas, appears as the result of a subsequent mental and linguistic (or prelinguistic) operation which itself implicates the human capacity for and necessity of a cognitive/representational conception of world. This means that subjects not only perceive and react to the world, but also conceptualize it as a world in which they find themselves located, which they encounter and in which they act, and this conceptualization, along with the evolving praxes within which human life plays out and relations to the world become concrete, influences individual sensitivities to and obstructions of resonance as well as the specific characteristics of individual relationships to the world in general. Worldviews in this sense do not simply represent an already established relation to the world, but rather always also have a certain world-opening or world-revealing character. As Günter Dux has sought to demonstrate, even at the level of cognitive representations, the world as a whole remains an ineluctable anthropological point of reference for (coherent) human thought and action. Thus unless otherwise differentiated, the terms world or relationship to the world as used in this book always refer to everything at once: the subjective, the objective, and the social world.

One key difference between my approach and the phenomenological and philosophical-anthropological approaches described above lies in the fact that the latter theories generally inquire after the anthropologically generalizable, universalizable, or even transcendental (and not infrequently presocial) aspects and conditions of human beings’ relationship to the world, whereas I am principally concerned with analyzing and emphasizing the variability and mutability of these relationships in terms of how they are shaped by society. As I intend to demonstrate, social conditions – the institutions, practices, modes of organization, temporal structures, power structures, etc. – form, shape, and otherwise influence not only the cognitive or conceptual, but all aspects of human beings’ relationship to the world, including and especially their corporeal, existential, intentional, and evaluative aspects. If and insofar as it is true that human modes of existence can be understood in terms of how human beings relate to the world, and if said relationships are fundamentally established via relationships of and sensitivities to resonance, the development and/or hindrance of which are in turn socially organized, then a critique of relations of resonance would appear to be the most elementary and at the same time most comprehensive form of social critique.

Sacha Zilberfarb

Cette idée, issue avant tout de la tradition phénoménologique, selon laquelle l’homme n’apparaît pas en premier lieu comme un être doué de langage, de raison et de sensation, mais comme un être capable de résonance, s’est vue confortée depuis par les théories de l’intersubjectivité, telles qu’elles se sont développées par exemple dans le sillage de George Herbert Mead (selon qui la subjectivité n’apparaît qu’à l’instant où l’enfant répond à la réaction aperçue dans le regard de la mère ou d’autres personnes proches), ainsi que par certaines observations neuropsychologiques, telles qu’elles sont débattues dans la recherche sur le fonctionnement des « neurones miroirs ». L’idée que le matériau initial de la réalité puisse être formé par les relations dynamiques plutôt que par les sujets ou les objets inspire par ailleurs certaines approches récentes de la théorie des réseaux, comme la théorie de l’acteur-réseau impulsée par Bruno Latour, ou la théorie phénoménologique des réseaux de Harrison White.

Ce qui est fondamental ici, c’est l’idée que les relations au monde, ainsi définies, ont un fondement d’abord existentiel et corporel, et que le monde, l’autre pôle, présent depuis toujours, de cette relation, nous concerne nécessairement en tant que sujets, qu’il est pour nous doté d’une signification et que nous sommes dirigés vers lui sur un mode intentionnel. Et ce sont les figures élémentaires de la peur et du désir qui forment, comme je le montrerai par la suite, les éléments de base de cette orientation vers le monde. Quant à la tripartition du monde – proposée notamment par Günter Dux et Jürgen Habermas – en monde objectif des choses, monde social des hommes et monde intérieur subjectif des sentiments, souhaits et sensations, elle apparaît déjà comme le résultat d’une opération ultérieure, mentale et (pré-)verbale, qui renvoie à la capacité et à la nécessité humaine de conceptualiser le monde par la cognition et la représentation. Cela signifie que les sujets ne se bornent pas à percevoir le monde et à y réagir, mais qu’ils le conceptualisent aussi comme un monde dans lequel ils se situent, un monde qui vient à leur rencontre et dans lequel ils agissent. Et cette conceptualisation exerce une influence aussi grande sur les sensibilités et les blocages à la résonance que les pratiques auxquelles elle donne forme, et dans lesquelles s’accomplit la vie humaine et se concrétisent les rapports au monde. En ce sens, les visions du monde sont davantage que la simple représentation de rapports au monde préétablis : elles ont toujours aussi le caractère d’une ouverture et d’une exploration du monde. Comme l’a montré Günter Dux, le monde dans son ensemble reste, y compris sur le plan des représentations cognitives, un concept de référence anthropologique incontournable de toute pensée et toute action humaine cohérentes. Par conséquent, lorsque je parlerai dans ce livre, sans plus de précision, de monde ou de relation au monde, il sera toujours question à la fois du monde subjectif, objectif et social.

Reste une différence fondamentale entre la réflexion que je tente de mener ici et les démarches de la phénoménologie et de l’anthropologie philosophique précédemment évoquées : tandis que ces théories interrogent les conditions et les aspects (anthropologiquement) généralisables, universalisables, voire transcendantaux (et souvent présociaux) de la relation humaine au monde, j’ai à cœur pour ma part de mettre en évidence leur empreinte sociale et, par là même, leur caractère variable et modifiable. J’aimerais montrer que les rapports sociaux – les institutions et les pratiques, les modes d’organisation, les structures temporelles, les rapports de pouvoir, etc. – n’influencent pas seulement les aspects cognitifs et conceptuels de la relation au monde : ils impriment leur marque sur toutes ses modalités, y compris, précisément, sur ses dimensions corporelles et existentielles – et, bien entendu, sur ses composantes intentionnelles et évaluatives. S’il est donc vrai que les formes d’existence humaine peuvent se déduire des types de relation au monde qui leur correspondent, et s’il est exact que ces relations au monde s’instaurent par le biais de relations de résonance et de sensibilités à la résonance dont la formation (ou l’empêchement) obéit elle-même à une organisation sociale, alors une critique des rapports de résonance s’impose comme la forme la plus élémentaire et en même temps la plus complète de critique de la société.