Marion (2012) – evidência e verdade do dado

(Marion2012)

[…] Evidence — justement, elle se signale de manière exemplaire au célèbre § 39 de la VIe Recherche logique, sous le titre « Evidence et vérité ». Il s’y agit de rien de moins que de définir la vérité. Or, tout en assumant le double héritage de la métaphysique depuis les médiévaux jusqu’à Kant (la vérité comme Uebereinstimmung, comme adequatio rei et intellectus) et de Descartes en particulier (la vérité comme évidence, donc comme perception de l ’ego), Husserl franchit un pas de plus, décisif. Il distingue quatre acceptions de l’évidence, de cette perception de la vérité, qui la phénoménalise pour moi. Suivant son propre commentaire, il faut même distinguer entre ces quatre, deux groupes de deux acceptions. Dans un premier groupe, deux privilégient « le côté des actes eux-mêmes » au bénéfice du « concept étroit de vérité » : la vérité comme adéquation et la vérité comme rectitude. L ’adéquation consiste ici (sens n.2) dans «le rapport idéal» ou l’«idée de l’adéquation absolue» des essences concernées, au-delà de l’acte empirique contingent d’évidence. La rectitude (n. 4) définit la propriété, au moins idéale, pour une intentionnalité de se régler sur la chose même, ou encore de se conformer strictement à une essence. Ces deux acceptions, qui restent uniquement tournées vers les actes, ne disent pas encore l’essentiel. Au contraire, dans l’autre groupe d’acceptions, il s’agit des «concepts d’être (être-vraiment) se rapportant aux corrélats objectifs auxquels ils appartiennent», autrement dit de « l ’être au sens de la vérité […] à déterminer suivant alors [les acceptions], comme l’identité de l’objet à la fois visé et donné (gemeinten und gegebenen) dans l’adéquation».

Cette simple équivalence entre l’être (même pris ici «au sens restreint») et la vérité, suffit déjà à marquer la grandeur de la «percée» accomplie par les Recherches Logiques. Husserl y renoue en effet avec une thèse exemplaire d’Aristote: to de kyriotata on alethes. La vérité ne consiste pas seulement ni d’abord dans le jugement sur l’état de choses, ni par conséquent dans l’entendement qui en juge; elle consiste surtout, comme en transperçant l’énoncé, dans l’état de choses lui-même, autrement dit dans l’étant, sa disposition et sa manifestation ; bref, la vérité se décide en décidant de l’étant dans son être. «L ’évidence elle-même est, avons-nous dit, l’acte de cette synthèse de coïncidence la plus parfaite. Comme tout identification, elle est un acte objectivant, son corrélat objectif s’appelle être au sens de la vérité, ou aussi vérité (Sein im Sinne der Wahrheit oder auch Wahrheit) ». On ne peut que souscrire ici à la lecture que Heidegger a imposée de cette équivalence : l’être même se phénoménalise comme tel dans un étant donné. En effet, souligne Husserl, « l’être qui (en tant que premier sens objectif de la vérité) entre ici en ligne de compte ne doit pas se confondre avec l ’être de la copule dans l’énoncé “affirmatif” catégorique » ; or, puisque dans l’énoncé prédicatif « l’être au sens de la vérité du jugement est vécu et non exprimé (erlebt, aber nicht ausgedrückt) », on doit en inférer que l’être au sens de la vérité (et non pas au sens de la copule), se trouve au contraire, lui, vécu et aussi exprimé comme tel — donc phénoménalisé.

Pour autant la « percée » la plus radicale ne se trouve pas encore ici. Car il reste à justifier que le vrai transite et émigre pour ainsi dire de la copule jusqu’à s’installer dans la position d’être, autrement dit que le vrai ne porte pas seulement sur le jugement à propos de l’objet (ou mieux de l’étant, comme ne le dit pourtant pas Husserl), mais sur l’objet (l’étant) du jugement. Bref, comment admettre et comprendre que la chose même non seulement supporte un jugement vrai, mais devienne elle-même vraie en tant qu’ elle est ? Ici Husserl franchit un autre pas, plus décisif que le premier (de la vérité comme vérité du jugement et des actes à la vérité comme être de l’objet) : ce pas mène de l’objet, vrai en tant qu’étant, à l’objet — vrai en tant que donné. En effet, les deux acceptions de la vérité privilégiées par Husserl au titre du « concept d’être […] rapporté aux corrélats objectifs correspondants », offrent le trait commun de substituer à la notion même d’objet (ou d’étant), celle de donné. Ainsi dans la première (n. 1) : « Si nous nous en tenons, tout d’abord, au concept de la vérité que nous venons d’indiquer, la vérité est, en tant que corrélat d’un acte identifiant, un état de choses et, en tant que corrélat d’une identification par coïncidence, une identité : la pleine concordance entre le visé et le donné (die voile Uebereinstimmung zwischen Gemeintem und Gegebenem)». La vérité atteint l’état de choses par une identification non pas seulement entre une représentation et son objet, mais désormais entre le visé d’une intentionnalité et le donné — plus exactement la donation (Gegebenheit) de ce visé, son être comme être-donné. Il ne faut pas seulement dire ici : l’être-donné, comme si l’être permettait au donné d’apparaître et le rendait possible, puis effectif; il faut dire inversement le donné avant l’être et même à sa place (d’où l’omission d’une mention de l’étant), parce que l’être lui-même ne s’accomplit assez radicalement pour s’imposer comme un phénomène que parce qu’il se trouve d’emblée donné, délivré et déposé par la donation, qui donc le précède et le concède. Dans l’autre définition concernée (n. 3), la même substitution a aussi lieu : « Nous éprouvons (erleben) de plus, du côté de l’acte qui donne (gebendes Aktes) la plénitude, en [pleine] évidence, l ’objet donné (den gegebenen Gegenstand) sur le mode de [l ’objet] visé: il est le remplissement lui-même ». En effet, l’objet dans le mode du visé, en tant qu’objet d’une intentionnalité, peut parvenir à la plénitude de remplissement d’un objet vrai au sens d’être : « Lui aussi peut être appelé l’être, la vérité, le vrai et cela en tant qu’il est vécu, non pas comme dans une simple perception [même] adéquate, mais à titre de plénitude idéale d’une intuition, en tant qu’objet vérifiant». Mais précisément, cette plénitude de l’intuition, il n’y accède qu’en tant qu’il se trouve finalement donné, en tant qu’un «objet donné». Paradoxalement, la vérité ne parvient à phénoménaliser l’être (de « l’être au sens de la vérité ») que parce que d’abord l’être même de l’objet se trouve repris directement sous l’autorité de la donation, au point de disparaître au profit du « donné ».

Excertos de

Heidegger – Fenomenologia e Hermenêutica

Responsáveis: João e Murilo Cardoso de Castro

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