La datation du « alors » qui s’explicite dans le s’attendre préoccupé implique ceci lorsqu’il fait jour, il est temps de se mettre au travail du jour. Le temps explicité dans la préoccupation (Besorgen) est à chaque fois déjà compris comme temps de…, pour… Le « maintenant que ceci et cela » est à chaque fois comme tel approprié et inapproprié. Le « maintenant » – et ainsi tout mode du temps explicité – n’est pas seulement un « maintenant que… », mais, en tant que ce maintenant essentiellement datable, il est en même temps essentiellement déterminé par la structure de l’appropriement ou du non-appropriement. Le temps explicité a nativement le caractère du « temps pour… », ou du « ce n’est pas le temps pour… » Le présentifier s’attendant-conservant de la préoccupation (Besorgen) comprend le temps dans un rapport à un pour-quoi, qui, à son tour, est en dernière instance ancré dans un en-vue-de-quoi du pouvoir-être du Dasein. Avec ce rapport de pour…, le temps publié manifeste la structure où nous avions reconnu antérieurement (NA: Cf. supra, p. 83 sq., et §69 (EtreTemps69) c, p. 364 sq.) la significativité (Bedeutsamkeit). Celle-ci constitue la mondanéité (Weltlichkeit) du monde. Le temps publié a, en tant que temps de…, essentiellement un caractère mondain, et c’est pourquoi nous nommons le temps qui se publie dans la temporalisation de la temporalité le temps du monde – non point certes parce qu’il serait sous-la-main comme étant intramondain (il ne peut jamais être tel), mais parce qu’il appartient au monde dans le sens que nous avons interprété ontologico-existentialement. Comment les rapports essentiels de la structure du monde, par exemple le « pour… », sont liés, sur la base de la constitution ekstatico-horizontale de la temporalité, avec le temps public, par exemple le « alors que… », c’est ce qui doit nous apparaître dans la suite. En tout état de cause, c’est maintenant seulement que le temps de la préoccupation (Besorgen) se laisse complètement caractériser en sa structure : il est datable, tendu, public, et il appartient, en tant qu’ainsi structuré, au monde lui-même. Tout « maintenant » ex-primé naturellement-quotidienne (alltäglich)ment, par exemple, a cette (415) structure, et, comme tel, il est compris – quoique non thématiquement et préconceptuellement – dans le se-laisser-le-temps préoccupé du Dasein. EtreTemps80
Parce que la temporalité de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) factice possibilise originairement l’ouverture de l’espace, et que le Dasein spatial s’est à chaque fois assigné un « ici » à sa mesure à partir d’un « là-bas » découvert, le temps dont le Dasein se préoccupe en sa temporalité est à chaque fois lié, du point de vue de sa databilité, à un lieu du Dasein. Non que le temps soit rattaché à un lieu : bien plutôt la temporalité est-elle la condition de possibilité qui permet que la datation puisse se lier au spatio-local, et cela de telle sorte que celui-ci soit obligeant, à titre de mesure, pour tout un chacun. Loin que le temps soit après coup accouplé à l’espace, cet « espace » soi disant accouplable à lui ne fait encontre que sur la base de la temporalité préoccupée du temps. Conformément à la fondation de l’horloge et du comput du temps dans la temporalité du Dasein qui constitue cet étant comme historial, il est possible de montrer dans quelle mesure l’usage des horloges est lui-même ontologiquement historial, et comment toute l’horloge « a » comme telle une « histoire » (NA: Nous ne pouvons ici nous engager dans le problème de la mesure du temps en théorie de la relativité. L’éclaircissement des fondements ontologiques de cette mesure présuppose déjà une clarification du temps du monde et de l’intratemporalité à partir de la temporalité du Dasein, et tout aussi bien la mise au jour de la constitution temporalo-existentiale de la découverte de la nature et du sens temporel de la mesure en général. Une axiomatique de la technique physique de la mesure repose sur ces recherches, et elle est par elle-même incapable de déployer le problème du temps comme tel.). EtreTemps80
Provisoirement, il ne nous incombait que de mettre en général en évidence la « connexion » entre l’usage des horloges et la temporalité qui (se) prend le temps. De même que l’analyse concrète du calcul astronomique élaboré du temps appartient à l’interprétation ontologico-existentiale de la découverte de la nature, de même le fondement de la « chronologie » historique calendaire ne peut être libéré qu’à l’intérieur du domaine de recherche de l’analyse existentiale de la connaissance historique (NA: Comme première tentative d’interprétation du temps chronologique et du « nombre historique », cf. la leçon fribourgeoise d’habilitation de l’auteur (semestre d’été 1915) sur « Le concept de temps dans la science historique », 1916 (maintenant dans la G.A., t. I (N.d.T.)). Les rapports existant entre nombre historique, temps du monde astronomiquement calculé et historialité du Dasein exigeraient une recherche approfondie. – Cf. en outre G. SIMMEL, Das Problem der historischen Zeit (Le problème du temps historique), dans les « Philos. Vorträge veröffentl. von der Kantgesellschaft », n 12, 1916. – Les deux uvres fondamentales au sujet de la formation de la chronologie historique sont : J.J. SCALIGER, De emendatione temporum, 1583, et D. PETAU, S.J., Opus de doctrina temporum, 1627. – Sur le comput antique du temps, v. G. BILFINGER, Die antiken Stundenangaben (Les indications antiques de l’heure), 1888 ; Der bürgerliche Tag, Untersuchungen über den Beginn des Kalendartages im klassischen Altertum und im christlichen Mittelalter (La journée civile, Recherches sur les débuts du jour calendaire dans l’antiquité classique et au moyen age chrétien), 1888. – H. DIELS, Antike Technik, 2ème éd., 1920, p. 155-232, sur l’horloge antique. – Enfin, au sujet de la chronologie récente, FR. RUEHL, Chronologie des Mittelalters und der Neuzeit (Chronologie du moyen âge et des temps modernes), 1897.). EtreTemps80
La mesure du temps accomplit une publication accentuée du temps, de telle sorte que (419) c’est ainsi seulement que devient connu ce que nous appelons communément « le temps ». Dans la préoccupation (Besorgen), « son temps » est attribué à chaque chose. Elle « a » ce temps, et, comme tout étant intramondain, elle ne peut l’« avoir » que parce qu’elle est en général « dans le temps ». Le temps « où » de l’étant intramondain fait encontre, nous le connaissons comme le temps du monde. Celui-ci, sur la base de la constitution ekstatico-horizontale de la temporalité à laquelle il appartient, a la même transcendance que le monde. Avec l’ouverture du monde, du temps du monde est publié, de telle sorte que tout être temporellement préoccupé auprès de l’étant intramondain comprend circon-spectivement celui-ci comme faisant encontre « dans le temps ». EtreTemps80
Le temps « dans lequel » le sous-la-main se meut et repose n’est pas « objectif » si l’on entend par là l’être-en-soi-sous-la-main de l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Mais tout aussi peu est-il « subjectif » si nous comprenons par ce mot l’être-sous-la-main et la survenance dans un « sujet ». Le temps du monde est plus « objectif » que tout objet possible, parce que, en tant que condition de possibilité de l’étant intramondain, il est à chaque fois déjà ekstatico-horizontalement « objeté » avec l’ouverture du monde. Par suite le temps du monde, contrairement à l’opinion de Kant, est également pré-trouvé tout aussi immédiatement dans le physique que dans le psychique, sans l’être pour autant dans celui-là par le seul détour via celui-ci. De prime abord, « le temps » se montre justement au ciel, c’est-à-dire là où on le trouve dans l’orientation naturelle sur lui, de telle sorte que « le temps » a même pu être identifié avec le ciel. EtreTemps80
Mais le temps du monde est aussi plus « subjectif » que tout sujet possible, parce que c’est lui qui – à condition d’être bien compris comme le sens du souci comme être du Soi-même facticement existant – rend tout d’abord possible, conjointement avec la temporalité, cet être même. « Le temps » n’est sous-la-main ni dans le « sujet » ni dans l’« objet », il n’est ni « dedans » ni « dehors », et il est « plus ancien » que toute subjectivité et objectivité, parce qu’il représente la condition de possibilité même de ce « plus ancien ». A-t-il alors en général un « être » ? Et, si non, est-il donc un fantôme, ou bien « plus étant » que tout possible étant ? La recherche qui poussera plus avant dans la direction de telles questions se heurtera à la (420) même « limite » qui s’était déjà imposée à l’élucidation provisoire de la connexion entre être et vérité (NA: Cf. supra, §44 (EtreTemps44) c, p. 226 sq.). Mais quelque réponse que ces questions reçoivent dans la suite – ou à quelque degré d’originarité qu’elles puissent être posées -, une chose doit être d’emblée comprise : la temporalité comme ekstatico-horizontale temporalise quelque chose comme un temps du monde, lequel constitue une intratemporalité de l’à-portée-de-la-main et du sous-la-main. Ce dernier, néanmoins, ne peut en aucun cas être qualifié strictement de « temporel ». Qu’il survienne réellement, qu’il naisse et passe ou qu’il subsiste « idéalement », il est toujours, comme tout étant qui n’a pas la mesure du Dasein, in-temporel. EtreTemps80
Si donc le temps du monde appartient à la temporalisation de la temporalité, il ne saurait être ni volatilisé dans un sens « subjectiviste », ni « chosifié » par une mauvaise « objectivation », deux écueils que seul un aperçu clair – et non pas simplement un balancement incertain entre l’une et l’autre possibilités – peut permettre d’éviter : l’aperçu de la manière dont le Dasein quotidien (alltäglich) conçoit théoriquement « le temps » à partir de sa compréhension prochaine du temps, et de la mesure en laquelle ce concept de temps et sa domination l’empêche d’en comprendre le sens à partir du temps originaire, c’est-à-dire comme temporalité. La préoccupation (Besorgen) quotidienne (alltäglich), qui se donne du temps, trouve « le temps » dans l’étant intramondain qui fait encontre « dans le temps ». Par suite, la mise au jour de la genèse du concept vulgaire du temps doit prendre son départ dans l’intratemporalité. EtreTemps80
Toute élucidation postérieure du concept de temps s’en tiendra fondamentalement à la définition aristotélicienne, c’est-à-dire qu’elle ne prendra le temps pour thème que tel qu’il se montre dans la préoccupation (Besorgen) circon-specte. Le temps est le « décompté », autrement dit ce qui est ex-primé et, quoique non thématiquement, visé dans le présentifier de l’aiguille (ou de l’ombre) en mouvement. Et ce qui est dit dans la présentification du mû en son mouvement, c’est : « maintenant ici, maintenant ici, etc. » Le décompté, ce sont les maintenant. Et ceux-ci se montrent « en tout maintenant » comme « à l’instant ne plus » et « juste maintenant pas encore ». Le temps du monde « aperçu » de cette manière dans l’usage de l’horloge, nous le nommons le temps du maintenant. EtreTemps81
Plus « naturellement » la préoccupation (Besorgen) qui se donne le temps compte avec le temps, et (422) d’autant moins elle séjourne auprès du temps ex-primé comme tel, étant au contraire perdue dans l’outil (Zeug) offert à la préoccupation (Besorgen), qui à chaque fois a son temps propre. Plus « naturellement », autrement dit : moins thématiquement la préoccupation (Besorgen), déterminant et indiquant le temps, est tournée vers le temps comme tel, et d’autant plus l’être échéant-présentifiant auprès de l’étant offert à la préoccupation (Besorgen) dit sans hésiter, à voix plus ou moins haute : maintenant, alors (futur), alors (passé). Et ainsi le temps se montre à la compréhension vulgaire du temps comme une suite de maintenant constamment « sous-la-main », passant et arrivant à la fois. Le temps est compris comme un l’un-après-l’autre, comme « flux » des maintenant, comme « cours du temps ». Qu’implique cette explicitation du temps du monde offert à la préoccupation (Besorgen) ? EtreTemps81
Nous obtiendrons la réponse si nous en revenons à la pleine structure d’essence du temps du monde, et si nous lui comparons ce que la compréhension vulgaire du temps connaît. À titre de premier moment essentiel du temps de la préoccupation (Besorgen), nous avions dégagé la databilité. Elle se fonde dans la constitution ekstatique de la temporalité. Le « maintenant » est essentiellement maintenant que… Le maintenant compris dans la préoccupation (Besorgen), saisi – quoique non pas comme tel -, datable est à chaque fois un maintenant approprié ou inapproprié. À la structure du maintenant appartient la significativité (Bedeutsamkeit). C’est pourquoi nous appelions le temps de la préoccupation (Besorgen) temps du monde. Or dans l’explicitation vulgaire du temps comme suite de maintenant fait défaut aussi bien la databilité que, aussi, la significativité (Bedeutsamkeit). La caractérisation du temps comme pur l’un-après-l’autre ne laisse point l’une et l’autre structure « venir au paraître ». L’explicitation vulgaire du temps les recouvre. La constitution ekstatico-horizontale de la temporalité, où se fondent la databilité et la significativité (Bedeutsamkeit) des maintenant, est nivelée par ce recouvrement. Les maintenant sont pour ainsi dire amputés de ces rapports, et, ainsi mutilés, ils se font simplement suite pour constituer le l’un-après-l’autre. EtreTemps81
Ce recouvrement nivelant du temps du monde accompli par la compréhension vulgaire du temps n’a rien de fortuit : au contraire, c’est justement parce que l’explicitation quotidienne (alltäglich) du temps se tient uniquement dans la perspective de l’entente préoccupée et ne comprend que ce qui se « montre » dans l’horizon de celle-ci que ces structures doivent nécessairement lui échapper. Le décompté dans la mesure préoccupée du temps, le maintenant, est co-compris dans la préoccupation (Besorgen) pour l’à-portée-de-la-main et le sous-la-main. Or dans la mesure où cette préoccupation (Besorgen) du temps revient elle-même au temps co-compris et le « considère », elle voit les maintenant, qui assurément sont eux aussi « là » en quelque manière, dans l’horizon de la compréhension d’être par laquelle cette préoccupation (Besorgen) elle-même est constamment guidée (NA: Cf. supra, §21 (EtreTemps21), surtout p. 100 sq.). Par suite, les maintenant sont eux aussi conjointement (423) sous-la-main en quelque manière, c’est-à-dire que l’étant fait encontre et aussi le maintenant. Bien qu’il ne soit pas expressément dit que les maintenant sont sous-la-main comme les choses, ils n’en sont pas moins « vus » ontologiquement dans l’horizon de l’idée de l’être-sous-la-main. Les maintenant passent, et les maintenant passés constituent le passé. Les maintenant arrivent, et les maintenant arrivants délimitent l’« avenir ». L’interprétation vulgaire du temps du monde comme temps du maintenant ne dispose même pas de l’horizon requis pour pouvoir se rendre accessible quelque chose comme un monde, une significativité (Bedeutsamkeit), une databilité. Ces structures demeurent nécessairement recouvertes, et cela d’autant plus que l’explicitation vulgaire du temps consolide encore ce recouvrement par la manière dont elle configure conceptuellement sa caractérisation du temps. EtreTemps81
La suite des maintenant est ininterrompue et sans lacune. Si « loin » que nous pénétrions dans la « partition » du maintenant, il est encore et toujours maintenant. On aperçoit la continuité du temps dans l’horizon d’un sous-la-main indissoluble. C’est dans une orientation ontologique sur un constamment sous-la-main que l’on cherche le problème de la continuité du temps, à moins qu’on ne laisse l’aporie subsister. Dès lors la structure spécifique du temps du monde, puisqu’aussi bien celui-ci est tendu conjointement à la databilité ekstatiquement fondée, doit nécessairement demeurer recouverte. L’être-(é)tendu du temps n’est pas compris à partir de l’être-é-tendu horizontal de l’unité ekstatique de la temporalité EtreTemps81
La thèse capitale de l’interprétation vulgaire du temps, selon laquelle le temps est « infini », manifeste de la façon la plus saisissante le nivellement et le recouvrement du temps du monde – et ainsi de la temporalité en général – contenus dans une telle explicitation. Le temps se donne de prime abord comme séquence (Abfolge) ininterrompue des maintenant. Tout maintenant est aussi déjà un à l’instant ou un dans un instant. Si la caractérisation du temps s’en tient primairement et exclusivement à cette suite, alors ne se laisse fondamentalement trouver en elle aucun commencement et aucune fin. Tout dernier maintenant est, en tant que maintenant, à chaque fois toujours déjà un aussitôt-ne-plus, donc du temps au sens du maintenant-ne-plus, du passé ; et tout premier instant est un à-l’instant-pas-encore, donc du temps au sens du maintenant-pas-encore, de l’« avenir ». Le temps, par suite, est sans fin « des deux côtés ». Cette thèse temporelle ne devient possible que sur la base de l’orientation sur un en-soi flottant en l’air d’un déroulement sous-la-main des maintenant, où le plein phénomène du maintenant, envisagé du point de vue de la databilité, de la mondanéité (Weltlichkeit), de l’être-étendu et de la localité par rapport au Dasein, est recouvert et s’exténue en fragment méconnaissable. Si « l’on pense jusqu’à son terme » la suite des maintenant selon la perspective prise sur l’être-sous-la-main ou le ne-pas-être-sous-la-main, alors jamais ce « terme » ne se laisse trouver. Et de ce que cette pensée jusqu’à la fin du temps doive à chaque fois toujours encore penser du temps, on infère que le temps est in-fini. EtreTemps81
Mais où se fonde ce nivellement du temps du monde et ce recouvrement de la temporalité ? Réponse : dans l’être du Dasein lui-même, que nous interprétions provisoirement comme souci (NA: Cf. supra, §41 (EtreTemps41), pp. 191 sq.). Jeté-échéant, le Dasein est de prime abord et le plus souvent perdu dans ce dont il se préoccupe. Mais dans cette perte s’annonce la fuite recouvrante du Dasein devant son existence authentique, qui a été caractérisée comme résolution devançante. Dans la fuite préoccupée est impliquée la fuite devant la mort, c’est-à-dire un détournement du regard de la fin de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) (NA: Cf. supra, §51 (EtreTemps51), pp. 252 sq.). Ce détournement du regard de… est en lui-même un mode de l’être ekstatiquement avenant pour la fin. La temporalité inauthentique du Dasein échéant-quotidien (alltäglich) doit nécessairement, en un tel détournement de la finitude (Endlichkeit), méconnaître l’avenance authentique et, avec elle, la temporalité en général. Et c’est même lorsque la compréhension vulgaire du Dasein est guidée par le On (das Man) que la « représentation » oublieuse de soi de « l’infinité » du temps public peut pour la première fois se consolider. Le On ne meurt jamais, parce qu’il ne peut pas mourir, dans la mesure où la mort est mienne et n’est (425) existentiellement comprise de manière authentique que dans la résolution devançante. Le On, qui ne meurt jamais et mé-comprend l’être pour la fin, n’offre pas moins à la fuite devant la mort une explicitation caractéristique. Jusqu’à la fin, « on a encore le temps ». Ici s’annonce un avoir-le-temps au sens du pouvoir de le perdre « d’abord encore cela, et ensuite… ; plus que cela, et ensuite… » Ici, cependant, ce n’est nullement la finitude (Endlichkeit) du temps qui est comprise : tout au contraire, la préoccupation (Besorgen) s’applique à capturer la plus grande part possible du temps qui vient encore et qui « continue ». Le temps, du point de vue public, est quelque chose que chacun prend et peut prendre. La suite nivelée des maintenant demeure totalement méconnaissable du point de vue de sa provenance à partir de la temporalité du Dasein singulier dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich). Et du reste, comment cela affecterait-il le moins du monde « le temps » en son cours qu’un homme sous-la-main « dans le temps » vienne à ne plus exister ? Le temps suit son cours, tel qu’il « était » aussi déjà lorsqu’un homme est « entré dans la vie ». On ne connaît que le temps public, qui, nivelé, appartient à tous, autant dire à personne. EtreTemps81
Seulement, de même que, dans l’esquive de la mort, celle-ci suit pas à pas celui qui la fuit, de sorte qu’il est justement obligé de la voir tandis qu’il s’en détourne, de même aussi la suite simplement cursive, anodine, infinie des maintenant fait planer une remarquable énigme « sur » le Dasein. Car pourquoi disons-nous : le temps passe, et non pas tout aussi nettement : il naît ? Par rapport à la pure suite des maintenant, il est tout de même possible de dire l’un et l’autre avec le même droit ! En fait, en parlant du temps qui passe, le Dasein comprend finalement davantage le temps qu’il ne pourrait le croire, ce qui veut dire que la temporalité où se temporalise le temps du monde, malgré tout son recouvrement, n’est pas totalement refermée. Car l’expression « le temps passe », porte à l’expression l’« expérience » suivante : le temps ne peut être retenu. Or cette « expérience », à son tour, n’est possible que sur la base d’une volonté de tenir le temps, laquelle inclut un s’attendre inauthentique des « instants », qui déjà aussi oublie ceux qui glissent. Le s’attendre présentifiant-oublieux de l’existence inauthentique est la condition de possibilité de l’expérience vulgaire d’un passage du temps. C’est parce que le Dasein, dans son être en-avant-de-soi, est avenant, qu’il doit, en s’attendant, comprendre la suite des maintenant comme passant en glissant. Le Dasein connaît le temps qui fuit à partir du savoir « fuyant » de sa mort. Dans l’expression accentuée : le temps passe, est contenu le reflet public de l’avenance finie de la temporalité du Dasein. Et c’est parce que la mort, même dans l’expression : le temps passe, peut demeurer recouverte, que le temps se montre comme un passage « en soi ». EtreTemps81
La caractérisation vulgaire du temps comme suite sans-fin, passagère, irréversible de maintenant jaillit de la temporalité du Dasein échéant. La représentation vulgaire du temps a son droit naturel. Elle appartient au mode d’être quotidien (alltäglich) du Dasein et à la compréhension de l’être de prime abord régnante. C’est pourquoi aussi l’histoire, de prime abord et le plus souvent, est publiquement comprise comme devenir intratemporel. Cette explicitation du temps ne perd son droit exclusif et éminent qu’à partir du moment où elle prétend pouvoir procurer le « vrai » concept du temps et pré-dessiner à l’interprétation du temps son seul horizon possible. Comme nous l’avons en effet établi : c’est seulement à partir de la temporalité du Dasein et de sa temporalisation qu’il devient compréhensible pourquoi et comment le temps du monde lui appartient. Seule l’interprétation de la pleine structure du temps du monde puisée dans la temporalité fournit le fil conducteur permettant en général d’« apercevoir » le recouvrement contenu dans le concept vulgaire du temps et d’apprécier le nivellement de la constitution ekstatico-horizontale de la temporalité. Mais en même temps, l’orientation sur la temporalité du Dasein apporte la possibilité de mettre en lumière la provenance et la nécessité factice de ce recouvrement nivelant et d’examiner en sa légitimité la thèse vulgaire sur le temps. EtreTemps81
Bien que l’expérience vulgaire du temps ne connaisse de prime abord et le plus souvent que le « temps du monde », elle ne lui en attribue pas moins en même temps et toujours un rapport privilégié à l’« âme » et à l’« esprit ». Et cela n’est pas moins vrai lorsque le questionnement philosophique se tient encore éloigné de toute orientation expresse et primaire sur le « sujet ». Deux témoignages caractéristiques suffiront à le montrer : Aristote dit : ei de meden allo pephuken arthmein e psyche kai psyches nous, adunaton einai chronon psyches me ouses (NA: Physique, ?, 14, 223 a 25-26 ; cf. ibid., 11, 218 b 29-219 a 1, 219 a 4-6.). Et Augustin écrit : « Inde mihi visum est, nihil esse aliud tempus quam distensionem ; sed cujus rei nescio ; et mirum si non ipsius animi » (NA: Confessiones, XI, XXVI, 33, (NT: p. 287, Skutella : « Par suite, il m’est apparu que le temps n’est pas autre chose qu’une distention, mais de quoi ? Je ne sais, et il serait surprenant que ce ne fût pas de l’esprit lui-même. »)) Ainsi donc même l’interprétation du Dasein comme temporalité n’est pas fondamentalement extérieure à l’horizon du concept vulgaire du temps. Et Hegel a déjà fait la tentative expresse de dégager la connexion entre le temps vulgaire compris et l’esprit, tandis que chez Kant le temps est certes « subjectif », mais se tient sans lien « à côté », du « Je pense » (NA: Dans quelle mesure, chez Kant, émerge pourtant par ailleurs une compréhension plus radicale du temps que chez Hegel, c’est ce que montrera la section 1 de la deuxième partie du présent essai. (NT: Cf. le plan général indiqué supra, p. 40.)). La fondation (428) hegélienne de la connexion entre temps et esprit est spécialement appropriée pour préciser indirectement, par voie de confrontation, l’interprétation du Dasein comme temporalité et la mise en lumière de l’origine du temps du monde qui viennent d’être accomplies. EtreTemps81
§82 (EtreTemps82)-. Dissociation de la connexion ontologico-existentiale entre temporalité, Dasein et temps du monde par rapport à la conception hegélienne de la relation entre temps et esprit. EtreTemps82
L’analytique existentiale qui précède s’installe au contraire d’emblée dans la « concrétion » de l’existence facticement jetée, afin de dévoiler la temporalité comme sa (436) possibilisation originaire. L’« esprit » ne tombe pas tout d’abord dans le temps, mais il existe comme temporalisation originaire de la temporalité. Celle-ci temporalise le temps du monde, dans l’horizon duquel l’« histoire » peut « apparaître » comme provenir intratemporel. Loin que l’« esprit » tombe dans le temps, c’est l’existence factice qui, en temps qu’échéance, « choit » de la temporalité originaire, authentique. Mais ce « choir » a lui-même sa possibilité existentiale dans un mode de temporalisation de la temporalité inhérent à celle-ci. EtreTemps82