Dans l’angoisse nous “sommes en suspens”. Plus précisément : l’angoisse nous tient en suspens, parce qu’elle porte à la dérive l’étant dans son ensemble. D’où vient que nous-mêmes — nous, ces hommes étant — glissons dans cette dérive au coeur de l’étant. C’est pourquoi ce n’est au fond, ni “toi”, ni “moi”, qu’un malaise gagne, mais un “nous” [NT: einem : un “nous” impersonnel.]. Seul est encore là, dans l’ébranlement de ce suspens où l’on ne peut se tenir à rien, le pur être “là”. QQMETA: L’élaboration de la question
C’est maintenant seulement que doit enfin s’introduire une réflexion trop longtemps différée. Si l’être-là ne peut se rapporter à de l’étant, et ainsi exister, qu’en se tenant instant dans le rien, et si le rien originellement ne devient manifeste que dans l’angoisse, ne nous faut-il pas, dès lors, être constamment en suspens dans cette angoisse, pour pouvoir simplement exister ? Mais n’avons-nous pas nous-mêmes reconnu que cette angoisse originelle est rare ? Avant toute chose nous tous existons bien pourtant et nous rapportons à de l’étant, celui que nous ne sommes pas et celui que nous sommes nous-mêmes — sans cette angoisse. Celle-ci n’est-elle pas une invention arbitraire et le rien qu’on lui attribue une exagération ? QQMETA: La réponse à la question
L’angoisse originelle peut, à tout instant, se réveiller dans l’être-là. Elle n’a nul besoin, pour cela, qu’un événement insolite lui donne éveil. À la profondeur de son règne correspond l’insignifiance de son possible prétexte ; Elle est constamment prête à percer et pourtant ne vient que rarement à surgir, pour nous entraîner dans le suspens. QQMETA: La réponse à la question
Si la question portant sur le rien qui vient d’être déployée, nous l’avons réellement prise à notre compte, alors ce n’est pas du dehors que nous nous sommes présentés la métaphysique. Nous ne nous sommes pas non plus “transportés” seulement en elle. Nous ne saurions d’ailleurs nous transporter en elle, parce que — dans la mesure où nous existons — nous nous tenons déjà toujours en elle. Physei gár, o phíle, énestí tis philosophía te tou andrós diánoia (Platon, Phèdre, 279 a). Dans la mesure où l’homme existe advient, d’une certaine manière, le philosopher. La philosophie — ce qu’ainsi nous appelons — est la mise en marche de la métaphysique, en laquelle métaphysique la philosophie vient à elle-même et à ses tâches explicites. La philosophie ne se met en marche que par un saut spécifique de l’existence propre dans les possibilités fondamentales de l’être-là dans son ensemble. Décisif est, pour ce saut, de rendre d’abord le champ libre à l’étant dans son ensemble : ensuite, de se laisser gagner au rien, c’est-à-dire de se libérer des idoles que chacun porte en soi et vers lesquelles il a coutume de chercher furtivement refuge ; enfin de laisser s’apaiser les vibrations de ce suspens pour constamment remonter, à travers elles, à la question fondamentale de la métaphysique, qui va droit au rien lui-même : Pourquoi est-il en somme de l’étant et non pas plutôt rien ? QQMETA: La réponse à la question