Que le monde ne « consiste » pas en de l’étant-à-portée-de-la-main, c’est ce que montre entre autres le fait que la lueur du monde dans les modes de préoccupation (Besorgen) qu’on vient d’interpréter ne va jamais sans une dé-mondanéisation de l’à-portée-de-la-main, où vient alors au paraître son être-sans-plus-sous-la-main. Pour que l’outil (Zeug) à-portée-de-la-main puisse, dans la préoccupation (Besorgen) quotidienne (alltäglich) pour le « monde ambiant », faire encontre (begegnen) en son « être-en-soi », il faut que les renvois et les totalités de renvois auxquels la circon-spection s’« identifie » demeurent pour elle non thématiques, et le soient aussi et surtout pour toute saisie in-circon-specte, « thématisante ». Le ne-pas-s’annoncer du monde est la condition de possibilité permettant à l’étant à-portée-de-la-main de ne pas ressortir hors de sa non-imposition. En cela se constitue la structure phénoménale de l’être-en-soi de cet étant. EtreTemps16
Cependant, ce « fait » de la postériorité de la voix de conscience (Gewissen) exclut-il que l’appel soit pourtant, en son fond, un pro-voquer ? Que la voix soit saisie comme mouvement subséquent de la conscience (Gewissen), cela ne prouve pas encore une compréhension originaire du phénomène de la conscience (Gewissen). Et si l’endettement factice était seulement l’occasion de l’appeler factice de la conscience (Gewissen) ? Si l’interprétation citée de la « mauvaise » conscience (Gewissen) s’arrêtait à la moitié du chemin ? Qu’il en soit bien ainsi, cela appert de la préacquisition ontologique où le phénomène se trouve porté par l’interprétation en question. La voix est quelque chose qui surgit, qui a sa place dans la séquence (Abfolge) des vécus sous-la-main et qui fait (291) suite au vécu de l’acte. Seulement, ni l’appel, ni l’acte accompli, ni la dette contractée ne sont des événements, munis du caractère d’un sous-la-main qui se déroule. L’appel a le mode d’être du souci. En lui, le Dasein « est » en-avant-de-soi, et cela de telle manière qu’il s’oriente en même temps en retour vers son être-jeté. Seule la position spontanée du Dasein comme enchaînement d’une succession de vécus peut permettre de prendre la voix pour quelque chose de subséquent, de postérieur, donc de nécessairement rétrospectif. Certes la voix rappelle, mais si elle rappelle, c’est, par delà l’acte accompli, à l’être-en-dette jeté, qui est « plus ancien » que tout endettement. Mais en même temps, le rappel pro-voque à l’être-en-dette en tant qu’il est à saisir dans l’existence propre, de telle sorte que l’être-en-dette existentiel authentique « succède » précisément à l’appel, et non pas l’inverse. La mauvaise conscience (Gewissen), au fond, se réduit si peu à une réprimande rétrospective qu’elle rappelle au contraire pro-spectivement à l’être-jeté. L’ordre de succession d’un déroulement de vécus est incapable de livrer la structure phénoménale de l’exister. EtreTemps59
Comment obtenir l’orientation du regard requise par l’analyse de la temporalité de la préoccupation (Besorgen) ? Nous avons appelé l’être préoccupé auprès du « monde » l’usage dans et avec le monde ambiant (NA: Cf. supra, §15 (EtreTemps15), p. 66 sq.). Comme phénomènes exemplaires de l’être auprès…, nous avions choisi l’utilisation, le maniement, la production de l’à-portée-de-la-main et leurs modes déficients et indifférents, autrement dit l’être auprès de ce qui appartient au besoin quotidien (alltäglich) (NA: Cf. supra, §12 (EtreTemps12), p. 56 sq.). Même l’existence authentique du Dasein se tient en une telle préoccupation (Besorgen) – et cela même lorsque celle-ci lui demeure « indifférente ». Ce n’est point l’à-portée-de-la-main dont le Dasein se préoccupe qui cause la préoccupation (Besorgen), de telle manière que celle-ci ne prendrait naissance que sous l’influence de l’étant intramondain. Il n’est pas plus possible d’expliquer ontiquement l’être-auprès de l’à-portée-de-la-main à partir de celui-ci que de dériver inversement celui-ci à partir de celui-là. Toutefois, la préoccupation (Besorgen) en tant que mode d’être du Dasein et l’étant dont il se préoccupe en tant qu’à-portée-de-la-main intramondain ne sont pas non plus simplement ensemble sous-la-main, ce qui n’empêche qu’il existe entre eux une « connexion ». Le avec-quoi bien compris de l’usage jette sur l’usage préoccupé lui-même une lumière. Inversement, le manquement de la structure phénoménale de l’avec-quoi de l’usage a pour conséquence (Abfolge) une méconnaissance de la constitution existentiale de celui-ci. Certes, pour l’analyse de l’étant qui fait de prime abord encontre, cela représente un gain essentiel que de ne pas passer par-dessus le caractère spécifique d’outil (Zeug) de cet étant. Mais il est plus important encore de comprendre que l’usage préoccupé ne séjourne jamais auprès d’un outil (Zeug) isolé. L’utilisation, le maniement d’un outil (Zeug) déterminé demeure comme tel orienté sur un complexe d’outils. Supposons par exemple que nous cherchions un outil (Zeug) « égaré » : bien loin que la chose cherchée soit alors simplement ou primairement visée dans un « acte » isolé, c’est tout l’orbe du complexe d’outils qui est déjà pré-découvert. Tout « procéder », tout « s’emparer » ne se heurte pas de but en blanc à un outil (Zeug) prédonné isolément, mais il revient toujours du monde d’ouvrage à chaque fois déjà ouvert dans cet emparement vers un outil (Zeug) particulier. EtreTemps69