L’être-au-monde (In-der-Welt-sein) du Dasein, avec la facticité qui lui est propre, s’est toujours déjà dispersé ou même disséminé dans des guises déterminées de l’être-à… Il est possible d’illustrer la multiplicité de ces guises de l’être-à… à l’aide de l’énumération suivante : avoir affaire avec quelque chose, produire quelque chose, prendre soin de quelque chose, employer quelque chose, abandonner quelque chose et le laisser perdre, entreprendre, imposer, (57) rechercher, interroger, considérer, discuter, déterminer… À ces guises de l’être-à… est commun un mode d’être qu’il nous faudra déterminer plus précisément : la préoccupation (Besorgen). EtreTemps12
L’histoire sémantique du concept ontique de « cura » permet encore d’apercevoir d’autres structures fondamentales du Dasein. Burdach (NA: Op. cit., p. 49. Dans le stoïcisme déjà, merimna était un terme fixé, qui revient dans le Nouveau Testament, traduit dans la Vulgate par sollicitudo. – Si l’auteur de ce livre en est venu à adopter cette perspective prédominante sur le « souci » qui gouverne l’analytique précédente du Dasein, c’est dans le cadre de ses tentatives pour interpréter l’anthropologie augustinienne – c’est-à-dire gréco-chrétienne – par rapport aux fondements posés dans l’ontologie d’Aristote.) attire l’attention sur une équivoque du terme « cura », selon laquelle il ne signifie pas seulement « effort anxieux », mais aussi « soin », « dévouement ». C’est ainsi que Sénèque écrit dans sa dernière lettre (Epist. CXXIV) : « Parmi les quatre natures existantes (arbres, animal, homme, Dieu), les deux dernières, qui seules sont douées de raison, se distinguent par ceci que le dieu est immortel, l’homme mortel. Or chez eux, ce qui achève le bien de l’un, à savoir du dieu, c’est sa nature, ce qui achève le bien de l’autre, à savoir de l’homme, c’est le souci (cura) » : « unius bonum natura perficit, dei scilicet, alterius cura, hominis. » EtreTemps42
Mais en même temps qu’il procure ce rassurement propre à repousser le Dasein loin de sa mort, le On (das Man) obtient légitimité et considération grâce à la régulation silencieuse de la manière dont on doit se comporter en général par rapport à la mort. Déjà la « pensée de la mort » vaut publiquement comme une peur lâche, un manque d’assurance du Dasein, une obscure fuite du monde. Le On interdit au courage de l’angoisse de la mort de se faire jour. Aussi bien, la souveraineté de l’être-explicité public du On a déjà décidé de l’affection à partir de laquelle la position vis-à-vis de la mort doit se déterminer. Dans l’angoisse de la mort, le Dasein est transporté devant lui-même en tant que remis à la possibilité indépassable. Or le On (das Man) prend soin d’inverser cette angoisse en une peur d’un événement qui arrive. L’angoisse rendue équivoque comme peur, de surcroît, passera pour une faiblesse qu’un Dasein sûr de lui-même ne saurait connaître. Ce qui « sied », conformément au décret tacite du On, c’est le calme indifférent face au « fait » que l’on meurt. La formation d’une telle indifférence « supérieure » aliène le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, absolu. EtreTemps51