Richir (2000:14-15) – piscar fenomenológico

(Richir2000)

Reprenons tous les fils car il se joue ici quelque chose de tout à fait crucial pour le statut philosophique (et architectonique) du phénomène, et donc de la phénoménologie. Tout tient à une nuance subtile que nous allons précisément tenter d’accentuer: l’articulation entre l’Ueberschwingung du Dasein et la Schwingung de toute la temporalité dans la temporalisation. Si, d’un côté, le Dasein, par la vibration en débordement, est poussé, par un irrésistible élan, au-delà de l’étant, dans l’horizon de transcendance de l’unité ekstatique-ekstématique de la temporalité, il n’y est pas poussé pour n’en plus revenir, car, de son côté, cette unité, qui est celle des trois ekstases du temps, ne se tient en elle-même que dans la vibration unitaire ek-statique de la temporalité. Cela est phénoménologique, procède même d’une épochè phénoménologique radicale, ainsi que l’atteste l’usage, par Heidegger, du terme Ausschaltung pour toute chose présente et pour tout sujet (ou ego) présent. Si l’on veut comprendre cette articulation autrement que comme une pure construction intellectuelle dont il n’y aurait plus qu’à saluer l’extrême habileté, il faut comprendre la Schwingung de façon phénoménologique comme un «tremblement», un «bougé», ou ce que nous nommons un clignotement phénoménologique où se phénoménalise, pour ainsi dire, la temporalité elle-même, le temps lui-même, c’est-à-dire où le temps lui-même devient phénomène — par clignotement, nous entendons quelque chose d’analogue au clignotement d’une étoile: si l’on ne savait, par les dispositifs scientifiques (appareils et théories) qu’une étoile est une corps céleste, l’hésitation serait incessante sur la question de savoir si ce qui est vu est l’apparence d’une source lumineuse matérielle ou l’apparence d’une lumière sans support, et il faut bien entendu étendre la métaphore au-delà de ce qui ne relève que de l’optique.

Que se passe-t-il, ici, en effet? D’un côté, le Dasein vibre, tremble, clignote, entre d’une part ce qui s’est déjà, par l’élan, «déposé» ou «jeté» comme monde de ses possibilités (d’être et de comprendre) — donc ce qui s’est déjà temporalisé de ses possibilités qui dès lors sont —, et d’autre part l’excès sur ces possibilités qui vibre, tremble, ou clignote, en débordement, et qui garde la ressource indéfinie de projets possibles, mais seulement ou purement possibles, nous l’avons dit, puisque la vibration, le clignotement est instable, mieux, immaîtrisable. De l’autre côté, donc, ce qui tient cette vibration en débordement du Dasein est une vibration, un clignotement en écho, et c’est la vibration, le clignotement de la temporalisation elle-même, entre ce que nous avons nommé la mise en vibration (erschwingen: l’entrée en clignotement) et la prise en vibration (verschwingen: où c’est la temporalité originaire dans son entier qui clignote dans la temporalisation se faisant). Telle est en réalité la pointe ultime de la transcendance, puisque dès lors, du premier côté, celui du Dasein, c’est bien plus que ce qui est chosal-présent et «subjectif» qui est mis hors circuit: c’est aussi le jet toujours déjà facticement fait, l’ensemble des possibilités qui sont du Dasein, à partir desquelles le monde se tient à l’encontre (Widerhalt) comme le monde auquel le Dasein est toujours déjà jeté ; et puisque, de l’autre côté, celui de la temporalité, ce qui est du même coup mis hors circuit, c’est tel ou tel mode de temporalisation du temps, la mise hors circuit ne laissant clignoter que la temporalité originaire dans son ensemble dans le clignotement indéfini et in-fini de sa temporalisation. A ce lieu, que Heidegger ne dégage cependant pas comme tel, toute temporalisation concrète se trouve suspendue, en épochè, dans le double jeu de Verschwingen et du verschwingen, c’est-à-dire aussitôt disparue qu’apparue, demeurant à l’état inchoatif, apparaissant dans son disparaître, et disparaissant dans son apparaître, l’apparaître et le disparaître étant les deux pôles instables du clignotement comme phénoménalisation. De la même manière, à ce même lieu, le Dasein se trouve à la pointe extrême de possibilités (de temporalisations, donc de modes d’être) qui débordent en clignotement toute possibilité reconnaissable (dans le coup d’œil de l’Augenblick), qui donc disparaissent aussitôt qu’elles apparaissent, et apparaissent en retour dans leur disparition même — apparaître et disparaître étant pareillement les deux pôles instables de la phénoménalisation. Elles ne font que clignoter dans le clignotement même de la temporalisation elle-même suspendue, en clignotement, de la temporalité.

Il se produit donc ici un renversement, qui évoque la Kehre heideggerienne, mais qui, en réalité, est bien plus profond, si du moins l’on prend en compte le fait qu’au lieu même du clignotement ou de la Schwingung, ce sont les prémisses philosophiques (les déterminations doctrinales) ayant permis d’y accéder qui se trouvent elles-mêmes suspendues, mises en épochè. Au lieu du clignotement, il n’y a plus que clignotement de l’apparaître et du disparaître, sans que rien n’indique, en toute rigueur phénoménologique, de quoi il y a apparaître et disparaître. Ce qui s’y phénoménalise est le phénomène comme rien que phénomène. Notre thèse est donc que ce suspens, cette épochè, est phénoménologique, et même, plus précisément, phénoménologique-hyperbolique, et que cette propriété qu’a le clignotement phénoménologique, pris en lui-même, de suspendre les prémisses qui ont permis d’y accéder, correspond à ce qui est la phénoménalisation du phénomène comme rien que phénomène, le clignotement étant le schème le plus élémentaire de la phénoménalisation, comme schème, non pas de l’apparaître ou du disparaître, mais du revirement incessant, instable, et réciproque, qui est la phénoménalisation elle-même, de l’apparaître dans le disparaître et du disparaître dans l’apparaître. Il s’agit, dans le vif même de l’expérience du penser, de l’autonomisation transcendantale radicale du phénomène comme rien que phénomène. Celui-ci comprend implicitement tout cela, mais bien d’autres choses encore.

Excertos de

Heidegger – Fenomenologia e Hermenêutica

Responsáveis: João e Murilo Cardoso de Castro

Twenty Twenty-Five

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