Mais l’avoir-peur-pour peut aussi concerner les autres, et nous parlons alors en effet d’une peur de sollicitude (Fürsorge), disant : j’ai peur pour lui. Ce mode de l’avoir-peur n’ôte pas sa peur à l’autre. Cela est déjà exclu du simple fait que l’autre pour lequel nous avons peur n’a pas besoin d’avoir peur lui-même. Nous craignons justement le plus pour l’autre lorsqu’il ne (142) prend pas peur et se jette témérairement au devant de la menace. L’avoir-peur-pour (de sollicitude (Fürsorge)) est une guise de la co-affection avec les autres, mais il ne consiste pas nécessairement à prendre-peur-avec (à partager la peur) ou les-uns-avec-les-autres (à ressentir une peur commune). On peut avoir-peur-pour… (en-vue-de…) sans prendre-peur. Et pourtant, à y regarder de plus près, l’avoir-peur-pour… (en-vue-de…) est un prendre-peur-pour-soi (NT: Le verbe que nous traduisons par « prendre peur » est en effet en allemand un réfléchi : sich fürchten. Loin de prendre égoïstement peur pour lui-même à travers autrui, le Dasein prend la peur « à son compte » en ce sens qu’elle menace l’être-avec (Mitsein) comme tel. La katharsis d’Aristote supposait-elle un tel aperçu ? Le fait que H. fasse allusion à la Rhétorique, non à la Poétique, invite à laisser la question ouverte.). Ce qui est alors « redouté », c’est l’être-avec (Mitsein) avec autrui, en tant qu’il pourrait nous être arraché. Le redoutable ne se dirige pas directement sur celui qui a peur-avec. L’avoir-peur-pour (en-vue-de) se sait d’une certaine manière intouché, et pourtant il est conjointement atteint dans cette atteinte de l’être-Là-avec (Mitdasein) pour lequel il a peur. Par suite, l’avoir-peur-pour (en-vue-de) n’est point un prendre-peur atténué. Ce qui importe ici, ce ne sont pas des degrés de « tonalités de sentiment », mais des modes existentiaux. De même, l’avoir-peur-pour (en-vue-de) ne perd pas davantage son authenticité spécifique sous prétexte qu’il n’a pas « vraiment » peur. (EtreTemps 30)