phénomène de la conscience

Mais ce que la conscience [Gewissen] atteste ne peut parvenir à sa pleine déterminité [Bestimmtheit] qu’à condition qu’ait été délimité avec une clarté suffisante le caractère que doit nécessairement et originairement présenter l’entendre qui correspond nativement à l’appeler. En effet, le comprendre authentique, celui qui « suit » l’appel, n’est pas un simple supplément qui s’annexerait au phénomène de la conscience [Gewissen], un processus qui se déclencherait ou non. C’est seulement à partir de la compréhension de l’ad-vocation [An-ruf] et tout uniment avec elle que le vécu plein de la conscience [Gewissen] peut se laisser saisir. Si c’est le Dasein à chaque fois propre qui est lui-même tout à la fois l’appelant et l’ad-voqué, alors il y a dans toute més-entente de l’appel, dans toute mécompréhension de soi un mode d’être déterminé du Dasein. Un appel flottant en l’air, dont « rien ne résulterait », n’est, du point de vue existential, qu’une fiction impossible. « Que rien n’en résulte », cela signifie, à la mesure du Dasein [Daseinsmässig], quelque chose de positif. EtreTemps57

Bien que l’appel n’offre rien à la connaissance, il n’est pourtant pas seulement critique, mais positif, il ouvre le pouvoir-être le plus originaire du Dasein en tant qu’être-en-dette. La conscience [Gewissen], par suite, se manifeste comme une attestation appartenant à l’être du Dasein, où elle appelle celui-ci même devant son pouvoir-être le plus propre. Est-il possible de déterminer existentialement de façon plus concrète le pouvoir-être authentique ainsi attesté ? Au préalable s’élève cette question : le dégagement – que nous avons accompli – d’un pouvoir-être attesté dans le Dasein lui-même peut-il revendiquer une évidence suffisante, tant que n’a pas disparu l’étonnement de voir la conscience [Gewissen] interprétée ici unilatéralement par rapport à la constitution du Dasein, et précipitamment omises toutes les données qui sont familières à l’explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen] ? Dans notre interprétation antérieure du phénomène de la conscience [Gewissen], celui-ci se laisse-t-il en général encore reconnaître comme il est [289] « effectivement » ? Ne nous sommes-nous pas bornés à déduire, avec une franchise excessive, une idée de la conscience [Gewissen] de la constitution d’être du Dasein ? EtreTemps58

Dès lors, si l’on se tourne du côté du mode d’être vulgaire du Dasein lui-même, rien ne garantit que l’explicitation de la conscience [Gewissen] issue de lui et les théories de la conscience [Gewissen] orientées sur lui soient en possession de l’horizon ontologique adéquat nécessaire à leur interprétation. Et pourtant, il faut aussi que l’expérience vulgaire de la conscience [Gewissen] touche en quelque manière – préontologique – le phénomène. Or il résulte de là deux données : l’explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen], d’un côté, ne saurait valoir comme critère ultime de l’« objectivité » d’une analyse ontologique ; mais celle-ci, d’un autre côté, n’a pas le droit de [290] s’élever au-dessus de la compréhension quotidienne [alltäglich] de la conscience [Gewissen] et de passer à côté des théories anthropologiques, psychologiques et théologiques de la conscience [Gewissen] fondées sur elle. Si l’analyse existentiale a libéré le phénomène de la conscience [Gewissen] en son enracinement ontologique, c’est alors justement que les explicitations vulgaires doivent devenir intelligibles à partir d’elle, y compris dans la mesure où elles manquent le phénomène, et dans les raisons qui le lui font recouvrir. Comme cependant l’analyse de la conscience [Gewissen], dans le cadre problématique du présent essai, ne se tient qu’au service de la question ontologique fondamentale, la caractérisation de la connexion entre interprétation existentiale de la conscience [Gewissen] et explicitation vulgaire de la conscience [Gewissen] devra se contenter d’une indication des problèmes essentiels. EtreTemps59

Cependant, ce « fait » de la postériorité de la voix de conscience [Gewissen] exclut-il que l’appel soit pourtant, en son fond, un pro-voquer ? Que la voix soit saisie comme mouvement subséquent de la conscience [Gewissen], cela ne prouve pas encore une compréhension originaire du phénomène de la conscience [Gewissen]. Et si l’endettement factice était seulement l’occasion de l’appeler factice de la conscience [Gewissen] ? Si l’interprétation citée de la « mauvaise » conscience [Gewissen] s’arrêtait à la moitié du chemin ? Qu’il en soit bien ainsi, cela appert de la préacquisition ontologique où le phénomène se trouve porté par l’interprétation en question. La voix est quelque chose qui surgit, qui a sa place dans la séquence [Abfolge] des vécus sous-la-main et qui fait [291] suite au vécu de l’acte. Seulement, ni l’appel, ni l’acte accompli, ni la dette contractée ne sont des événements, munis du caractère d’un sous-la-main qui se déroule. L’appel a le mode d’être du souci. En lui, le Dasein « est » en-avant-de-soi, et cela de telle manière qu’il s’oriente en même temps en retour vers son être-jeté. Seule la position spontanée du Dasein comme enchaînement d’une succession de vécus peut permettre de prendre la voix pour quelque chose de subséquent, de postérieur, donc de nécessairement rétrospectif. Certes la voix rappelle, mais si elle rappelle, c’est, par delà l’acte accompli, à l’être-en-dette jeté, qui est « plus ancien » que tout endettement. Mais en même temps, le rappel pro-voque à l’être-en-dette en tant qu’il est à saisir dans l’existence propre, de telle sorte que l’être-en-dette existentiel authentique « succède » précisément à l’appel, et non pas l’inverse. La mauvaise conscience [Gewissen], au fond, se réduit si peu à une réprimande rétrospective qu’elle rappelle au contraire pro-spectivement à l’être-jeté. L’ordre de succession d’un déroulement de vécus est incapable de livrer la structure phénoménale de l’exister. EtreTemps59

Pour échapper à la conséquence [Abfolge] citée, on a interprété la « bonne » conscience [Gewissen] comme privation de la « mauvaise » et on l’a déterminée comme « le défaut vécu de la mauvaise conscience [Gewissen] » [NA: Cf. M. SCHELER, Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik, IIème partie, dans le présent Jahrbuch, t. II, 1916, p. 192. (NT: Cf. la trad. M. de Gandillac déjà citée.)]. Du coup, elle serait une expérience du non-surgissement de l’appel, c’est-à-dire du fait que l’appel n’a rien à me reprocher. Mais comment ce « défaut » est-il « vécu »? Ce prétendu vécu n’est absolument pas l’expérience d’un appel, mais une manière de s’assurer qu’un acte imputé au Dasein n’a pas été commis par lui et que pour cette raison il n’est pas [292] en-dette. Mais se rendre certain que l’on n’a pas fait quelque chose, c’est là une opération qui n’a absolument pas le caractère d’un phénomène de la conscience [Gewissen]. Au contraire : cette certification peut signifier plutôt un oubli de la conscience [Gewissen], autrement dit la sortie hors de la possibilité de pouvoir être ad-voqué. La « certitude » en question abrite en soi le refoulement rassurant du vouloir-avoir-conscience [Gewissen], c’est-à-dire de la compréhension de l’être-en-dette le plus propre et constant. La « bonne » conscience [Gewissen] n’est ni une forme autonome, ni une forme dérivée de conscience [Gewissen] – elle n’est absolument pas un phénomène de la conscience [Gewissen]. EtreTemps59