L’expression « bavardage [Gerede] » ne doit pas être prise ici dans un sens dépréciatif. Elle signifie terminologiquement un phénomène positif qui constitue le mode d’être du comprendre et de l’expliciter du Dasein quotidien [alltäglich]. Le parler, la plupart du temps, s’ex-prime et s’est toujours déjà ex-primé. Il est parole. Mais dans l’ex-primé sont alors à chaque fois déjà inclus la compréhension et l’explication. La langue comme être-ex-primé abrite en soi un être-explicité du Dasein. Cet être-explicité est tout aussi peu que la parole sans plus sous-la-main, au contraire son être est lui-même à la mesure du Dasein [Daseinsmässig]. Le Dasein, de prime abord et dans certaines limites, lui est constamment remis – il règle et distribue les possibilités du comprendre moyen et de l’affection qui lui appartient. L’être-ex-primé, dans la totalité de ses [168] complexes articulés de signification, préserve un comprendre du monde ouvert et, cooriginairement, de l’être-Là-avec [Mitdasein] d’autrui et de l’être-à à chaque fois propre. La compréhension déjà déposée ainsi dans l’être-ex-primé concerne aussi bien l’être-découvert de l’étant à chaque fois atteint et transmis que, aussi, la compréhension à chaque fois prise de l’être et les possibilités et horizons disponibles d’une explicitation et d’une articulation conceptuelle renouvelées. Cependant, au-delà de cette simple référence au fait de l’être-explicité du Dasein, il convient de s’enquérir du mode d’être existential du parler ex-primé et s’ex-primant. S’il ne peut être conçu comme sous-la-main, quel est son être, et que nous dit fondamentalement cet être sur le mode d’être quotidien [alltäglich] du Dasein ? EtreTemps35
Ce que nous avons été obligés de dire de l’indéterminité [Bestimmtheit] ontologique des fondements chez Dilthey s’applique fondamentalement à cette théorie. L’analyse fondamentale de la « vie » ne saurait non plus être introduite subrepticement après coup à titre d’infrastructure. C’est elle qui porte et conditionne l’analyse de la réalité, l’explication pleine de la résistivité et de ses présupposés phénoménaux. La résistance fait encontre dans un ne-pas-pouvoir-passer, comme empêchement d’un vouloir-passer. Mais avec celui-ci est d’ores et déjà ouvert quelque chose vers quoi pulsion et volonté sont exposées. Or l’indétermination ontique de ce « vers-quoi » ne saurait ontologiquement passer inaperçue, ou même être saisie comme un rien. L’exposition vers… qui se heurte à la résistance et peut seule s’y « heurter » est elle-même déjà auprès d’une totalité de tournure [Bewandtnis]. Mais la découverte de celle-ci se fonde dans l’ouverture du tout de renvois de la significativité [Bedeutsamkeit]. L’expérience de la résistance, autrement dit la découverte tendue de ce qui résiste, n’est ontologiquement possible que sur la base de l’ouverture du monde. La résistivité caractérise l’être de l’étant intramondain. Des expériences de résistance ne déterminent facticement que l’ampleur et la direction de la découverte de l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Leur sommation, bien loin de pouvoir produire seulement l’acte d’ouverture du monde, le présuppose au contraire. Le « contre » est porté en sa possibilité ontologique par l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] ouvert. EtreTemps43
Le sens, entendu rigoureusement, signifie le vers-quoi du projet primaire de la compréhension de l’être. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] ouvert pour lui-même comprend, cooriginairement à l’être de l’étant qu’il est lui-même, l’être de l’étant découvert à l’intérieur du monde, même si c’est encore de manière non thématique et sans différenciation de ses modes primaires, qui sont l’existence et la réalité. Toute expérience ontique de l’étant, le calcul circon-spect de l’à-portée-de-la-main aussi bien que le connaître positivement scientifique du sous-la-main, se fondent dans des projets à chaque fois plus ou moins transparents de l’être de l’étant considéré. Mais ces projets abritent en eux un vers-quoi, dont le comprendre de l’être se nourrit pour ainsi dire. EtreTemps65
L’in-signifiance du monde ouverte dans l’angoisse dévoile la nullité [Nichtigkeit] de l’étant de la préoccupation [Besorgen], c’est-à-dire l’impossibilité de se projeter vers un pouvoir-être de l’existence qui serait primairement fondé en lui. Mais le dévoilement de cette impossibilité laisse en même temps luire la possibilité d’un pouvoir-être authentique. Or quel sens temporel ce dévoilement a-t-il ? L’angoisse s’angoisse pour le Dasein nu, en tant que jeté dans l’étrang(èr)eté. Elle reporte au pur « que » de l’être-jeté isolé le plus propre. Ce re-port ne présente pas le caractère d’un oubli qui esquive, mais pas non plus celui d’un souvenir. D’autre part, l’angoisse inclut tout aussi peu déjà une assomption répétitrice de l’existence dans la décision. En revanche, l’angoisse re-porte à l’être-jeté comme être-jeté répétable possible. Et de ce fait, elle dévoile conjointement la possibilité d’un pouvoir-être authentique qui, dans la répétition, doit revenir en tant qu’ad-venant vers le Là jeté. Transporter devant la répétabilité, telle est la modalité ekstatique spécifique de l’être-été qui constitue l’affection de l’angoisse. EtreTemps68
L’unité des schèmes horizontaux de l’avenir, de l’être-été et du présent se fonde dans l’unité ekstatique de la temporalité. L’horizon de la temporalité totale détermine ce vers-quoi l’étant facticement existant est essentiellement ouvert. Avec le Da-sein factice est à chaque fois projeté dans l’horizon de l’avenir un pouvoir-être, ouvert dans l’horizon de l’être-été l’« être-déjà » et découvert dans l’horizon du présent de l’étant offert à la préoccupation [Besorgen]. L’unité horizontale des schèmes des ekstases possibilise la connexion originaire des rapports de pour… avec le en-vue-de… Ce qui implique ceci : sur la base de la constitution horizontale de l’unité ekstatique de la temporalité, appartient à l’étant qui est à chaque fois son Là quelque chose comme un monde ouvert. EtreTemps69
Le s’aménager du Dasein est constitué par l’orientation et l’é-loignement [Entfernung]. Comment ceux-ci sont-ils existentialement possibles sur la base de la temporalité du Dasein ? Il ne nous incombe ici d’indiquer brièvement la fonction fondatrice de la temporalité pour la spatialité du Dasein qu’autant qu’il est nécessaire pour nos élucidations ultérieures de l’« accouplement » de l’espace et du temps. À l’aménagement du Dasein appartient la découverte orientée de quelque chose comme une contrée. Par cette expression, nous visons de prime abord le vers-où de la possible pertinence de l’outil [Zeug] à-portée-de-la-main dans le monde ambiant emplaçable. Tandis qu’un outil [Zeug] est trouvé, manié, déplacé, évacué, une contrée est déjà découverte. L’être-au-monde [In-der-Welt-sein] préoccupé est orienté – s’orientant. La pertinence a un rapport essentiel à la tournure [Bewandtnis]. Elle se détermine toujours facticement à partir du complexe de tournure [Bewandtnis] de l’étant offert à la préoccupation [Besorgen]. Les rapports de tournure [Bewandtnis] ne sont compréhensibles que dans l’horizon du monde ouvert. De même, c’est seulement son caractère d’horizon qui possibilise l’horizon spécifique du vers-où de la pertinence au sein d’une contrée. La découverte s’orientant de la contrée se fonde dans un s’attendre ekstatiquement conservant du vers-là-bas et du vers-ici possible. Le s’aménager, en tant que s’attendre orienté à une contrée, est cooriginairement un rapprocher (é-loigner) d’étant à-portée-de-la-main et sous-la-main. C’est depuis la contrée pré-découverte que la [369] préoccupation [Besorgen], en é-loignant, revient vers le plus proche. L’approchement, ainsi que l’appréciation et la mesure des distances à l’intérieur du sous-la-main intramondain é-loigné, se fondent dans un présentifier qui appartient à l’unité de la temporalité en laquelle également l’orientation est possible. EtreTemps70