mauvaise conscience

« mauvaise » conscience [Gewissen]

Commençons notre élucidation par la dernière des réserves citées. Dans toutes les explicitations de la conscience [Gewissen], c’est la « mauvaise » conscience [Gewissen] qui a la primauté. La conscience [Gewissen] est primairement « mauvaise ». Ce qui s’annonce ici, c’est que toute expérience de la conscience [Gewissen] commence par expérimenter quelque chose comme un « en-dette ». Mais comment, suivant cette idée de la mauvaise conscience [Gewissen], l’attestation de l’être-méchant est-elle comprise ? Le « vécu de conscience [Gewissen] » surgit après l’acte – ou l’omission – qui a été commis. La voix de la conscience [Gewissen] fait suite à l’exécution et elle renvoie à l’événement survenu par lequel le Dasein s’est chargé d’une dette. Si la conscience [Gewissen] annonce une « dette », alors elle ne peut accomplir cela en tant que con-vocation [Aufruf] à…, mais en tant que renvoi qui rappelle la dette contractée. EtreTemps59

Cependant, ce « fait » de la postériorité de la voix de conscience [Gewissen] exclut-il que l’appel soit pourtant, en son fond, un pro-voquer ? Que la voix soit saisie comme mouvement subséquent de la conscience [Gewissen], cela ne prouve pas encore une compréhension originaire du phénomène de la conscience [Gewissen]. Et si l’endettement factice était seulement l’occasion de l’appeler factice de la conscience [Gewissen] ? Si l’interprétation citée de la « mauvaise » conscience [Gewissen] s’arrêtait à la moitié du chemin ? Qu’il en soit bien ainsi, cela appert de la préacquisition ontologique où le phénomène se trouve porté par l’interprétation en question. La voix est quelque chose qui surgit, qui a sa place dans la séquence [Abfolge] des vécus sous-la-main et qui fait [291] suite au vécu de l’acte. Seulement, ni l’appel, ni l’acte accompli, ni la dette contractée ne sont des événements, munis du caractère d’un sous-la-main qui se déroule. L’appel a le mode d’être du souci. En lui, le Dasein « est » en-avant-de-soi, et cela de telle manière qu’il s’oriente en même temps en retour vers son être-jeté. Seule la position spontanée du Dasein comme enchaînement d’une succession de vécus peut permettre de prendre la voix pour quelque chose de subséquent, de postérieur, donc de nécessairement rétrospectif. Certes la voix rappelle, mais si elle rappelle, c’est, par delà l’acte accompli, à l’être-en-dette jeté, qui est « plus ancien » que tout endettement. Mais en même temps, le rappel pro-voque à l’être-en-dette en tant qu’il est à saisir dans l’existence propre, de telle sorte que l’être-en-dette existentiel authentique « succède » précisément à l’appel, et non pas l’inverse. La mauvaise conscience [Gewissen], au fond, se réduit si peu à une réprimande rétrospective qu’elle rappelle au contraire pro-spectivement à l’être-jeté. L’ordre de succession d’un déroulement de vécus est incapable de livrer la structure phénoménale de l’exister. EtreTemps59

Pour échapper à la conséquence [Abfolge] citée, on a interprété la « bonne » conscience [Gewissen] comme privation de la « mauvaise » et on l’a déterminée comme « le défaut vécu de la mauvaise conscience [Gewissen] » [NA: Cf. M. SCHELER, Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik, IIème partie, dans le présent Jahrbuch, t. II, 1916, p. 192. (NT: Cf. la trad. M. de Gandillac déjà citée.)]. Du coup, elle serait une expérience du non-surgissement de l’appel, c’est-à-dire du fait que l’appel n’a rien à me reprocher. Mais comment ce « défaut » est-il « vécu »? Ce prétendu vécu n’est absolument pas l’expérience d’un appel, mais une manière de s’assurer qu’un acte imputé au Dasein n’a pas été commis par lui et que pour cette raison il n’est pas [292] en-dette. Mais se rendre certain que l’on n’a pas fait quelque chose, c’est là une opération qui n’a absolument pas le caractère d’un phénomène de la conscience [Gewissen]. Au contraire : cette certification peut signifier plutôt un oubli de la conscience [Gewissen], autrement dit la sortie hors de la possibilité de pouvoir être ad-voqué. La « certitude » en question abrite en soi le refoulement rassurant du vouloir-avoir-conscience [Gewissen], c’est-à-dire de la compréhension de l’être-en-dette le plus propre et constant. La « bonne » conscience [Gewissen] n’est ni une forme autonome, ni une forme dérivée de conscience [Gewissen] – elle n’est absolument pas un phénomène de la conscience [Gewissen]. EtreTemps59