être-oeuvre

Ainsi la tâche de notre première partie préparatoire est-elle remplie. Le chemin du questionnement de l’origine de l’oeuvre d’art est un cours circulaire. “Origine” signifie le fondement qui rend possible et nécessaire l’oeuvre d’art en son essence. Le point de départ de la question doit être pris dans l’être-oeuvre de l’oeuvre, non pas dans son être-produit par l’artiste ou dans son être-objet pour l’exploitation organisée de l’art. OOA1935 I

Quelle tâche la partie principale de cette conférence doit-elle maintenant accomplir ? C’est ce qui sera devenu clair à partir de ce qui précède : 1° caractériser suffisamment l’être-oeuvre de l’oeuvre ; 2° mettre en lumière le fondement de cet être-oeuvre (l’origine) ; 3° en revenir de l’origine vers l’oeuvre. OOA1935 II

Dans le co-accomplissement de ce mouvement circulaire de notre questionner, nous ne pouvons entrer que par un saut. Le saut est la guise unique du juste co-savoir de l’origine. Ainsi, tout dépend de ceci : que nous prenions l’élan convenable pour ce saut. Pour ce faire, nous commencerons par faire signe de manière immédiate, apparemment arbitraire, et même grossière vers les traits essentiels de l’être-oeuvre de l’oeuvre. OOA1935 II

Mais justement, ce se-tenir-là-en-soi de l’oeuvre — l’être-oeuvre —, comment doit-il être saisi ? Il est indispensable de déterminer et de délimiter de manière satisfaisante les traits essentiels de l’être-oeuvre si la question de l’origine de l’oeuvre ne doit pas rester dépourvue de son nécessaire point d’appui. OOA1935 II

Nous allons maintenant dégager, en nous remémorant constamment les exemples cités, deux traits dans l’être-oeuvre de l’oeuvre. Ces deux traits sont rapportés l’un à l’autre et ils s’enracinent en commun dans un troisième trait. OOA1935 II

Tandis qu’une oeuvre est oeuvre, elle porte un monde à son émergence ouverte. L’installation d’un monde — que nous appelons l’installation tout court — est le premier trait essentiel dans l’être-oeuvre de l’oeuvre (Hw. 34). OOA1935 II

Ce litige est comme tel ouvert, c’est-à-dire soutenu dans l’oeuvre. L’oeuvre ne doit ni réprimer ce litige, ni le surmonter. Elle doit nécessairement elle-même être ce litige, l’accomplir, c’est-à-dire le disputer. La tenue en soi de l’oeuvre ne dit rien d’autre que la disputation de ce litige. Or tel est le trait fondamental de l’être-oeuvre (Hw. 38). OOA1935 II

Le litige entre monde et terre instauré dans l’art comme poésie — l’oeuvre se tenant en soi — est toujours un créé. Nous nommons ainsi ce trait essentiel dans l’être-oeuvre de l’oeuvre que nous avons jusqu’ici laissé de côté. L’être-créé appartient à l’être-oeuvre lui-même ; car que pourrait sinon vouloir dire le mot “oeuvre” ? OOA1935 II

Dans l’essence de l’être-oeuvre comme disputation du litige se trouve le fondement de la nécessité du trait qui ouvre et en général du tracer, c’est-à-dire de ce que nous appelons la “forme” à laquelle est ensuite porté tout ce qui par rapport à elle devient “matériau”. Cependant, la formation artisanale du matériau, son apprêtement n’est rien d’indifférent, précisément parce que le produire est requis par l’essence du créer. Cet ouvragement du “matériau” a sa grandeur propre, qui consiste en ce que, dans l’oeuvre se-tenant-là, il fait silence sur la peine et le désespoir, mais aussi sur l’impétuosité et le plaisir qui lui sont propres ; en revanche le simple apprêtement ne saurait en aucun cas devenir par lui-même un création sous prétexte (par exemple) que le produit, à partir d’un certain degré de “qualité”, se transformerait en oeuvre d’art. Car ici encore est le saut. OOA1935 II