Capelle (2001:245-246) – Teologia e Filosofia

(Capelle2001)

À la fin de son ouvrage De l’esprit, J. Derrida « imagine » une scène entre Heidegger et les théologiens chrétiens : « Mais ce que vous appelez, diraient ces derniers, l’esprit archi-originaire et que vous prétendez étranger au christianisme, c’est bien le plus essentiel au christianisme. Comme vous, c’est ce que nous voudrions réveiller sous des théo-logoumènes, des philosophèmes ou des représentations courantes. »1 Derrida veut éprouver, jusqu’en ses plus fortes tentations, le geste de réappropriation chrétienne du dispositif central de Heidegger : « Nous vous rendons grâce, fait-il dire aux théologiens, de ce que vous dites […], c’est justement ce que nous cherchons depuis toujours […]. Nous pensons que vous allez à l’essentiel de ce que nous voulons penser, réveiller, restaurer dans notre foi […]. Vous dites ce qu’on peut dire de plus radical quand on est chrétien aujourd’hui. »2 Le point de vue examiné vaut d’ailleurs autant pour le juif et le musulman : « A ce point, surtout lorsque vous parlez de Dieu, de retrait, de flamme et d’écriture de feu dans la promesse […], il n’est pas sûr que vous ne receviez pas une réponse analogue et un écho semblable de mon ami et coreligionnaire, le juif messianique. Je ne suis pas sûr que le musulman et quelques autres ne se joindraient pas au concert ou à l’hymne. »3 Après avoir ainsi parcouru l’argumentation théologique de la réappropriation religieuse de Heidegger, J. Derrida conçoit la réponse de celui-ci : « En affirmant que le Gedicht de Trakl — et tout ce que je dis avec lui — n’est ni métaphysique ni chrétien, je ne m’oppose à rien du tout, surtout pas au christianisme, ni à tous les discours de la chute, de la malédiction, de la promesse, du salut, de la résurrection, ni aux discours sur pneuma et spiritus, ni même, j’avais oublié, sur la ruah. J’essaie seulement, modestement, discrètement de penser ce “à partir de quoi” tout cela est possible. »4 Le penser de Heidegger n’assume pas le discours du théologien, à la manière d’une Aufhebung; il s’installe dans un site de « pré-archi-originarité » où le théologique chrétien, le religieux et la métaphysique reçoivent un statut de dérivation. Tel est le premier moment d’une réponse élaborée selon la logique du « pas en arrière » et de la « répétition ».

Second moment : « Si, explique Derrida, on lui disait que cette répétition n’ajoute, n’invente ou ne découvre rien […], Heidegger, j’imagine, répondrait : dans ce que vous appelez le chemin de la répétition qui n’ajoute rien […], la pensée de cette Frühe à venir, tout en s’avançant ainsi vers la possibilité de ce que vous croyez reconnaître, va vers ce qui est tout autre que ce que vous croyez reconnaître. Ce n’est pas un nouveau contenu en effet. Mais l’accès à la pensée, l’accès pensant à la possibilité des métaphysiques ou des religions pneumato-spiritualistes, ouvre sur tout autre chose que ce que la possibilité rend possible 5. » Le penser heideggerien fait en réalité plus et autre chose qu’accomplir philosophiquement les contenus théologiques, plus et autre chose que revendiquer une originalité plus originaire que celle de la théologie et des religions. Car dans le pas qui rétrocède, l’« originaire » est lui-même dépassé. Telle est la portée de l’expression : « pré-archi-originaire », forgée par Derrida. Le « penser » n’est « originaire » que lorsqu’il répond à l’appel et à la tâche de penser « sans arrêt » : pas plus arrêt de la fondation théologique ou métaphysique qu’arrêt d’un point d’origine. D’où le devoir incessant de la conversation : « Il suffit de continuer à parler, de ne pas interrompre entre le poète et vous, c’est-à-dire aussi bien entre vous et nous, cette Zwiesprache. »6 Le penser en retrait donne à comprendre que la conquête de toute originalité doit s’effacer, se retirer elle-même devant ce qui est là en tant que ce là est accessible à la pensée, « hétérogène à l’origine »7. Tel est le « tout autre » irréductible à la théologie, aux religions et à la métaphysique : aucune d’elles ne saurait récapituler, intégrer, accomplir le penser qui, dans la « répétition », ouvre à ce qui n’a jamais été pris en compte.

  1. J. Derrida, De l’esprit, p. 179.[↩]
  2. J. Derrida, p. 179-181.[↩]
  3. Ibid., p. 181.[↩]
  4. Ibid., p. 182.[↩]
  5. Ibid., p. 183-184.[↩]
  6. Ibid., p. 184.[↩]
  7. Ibid.[↩]
Excertos de

Heidegger – Fenomenologia e Hermenêutica

Responsáveis: João e Murilo Cardoso de Castro

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