être-ensemble-sous-la-main

Tout ce qui importe dans un premier temps est d’apercevoir la différence ontologique séparant l’être-à… comme existential de l’« intériorité » réciproque d’étants sous-la-main comme catégorie. Mais si nous délimitons ainsi l’être-à…, toute forme de « spatialité » n’est pas pour autant déniée au Dasein, au contraire : le Dasein a lui-même un « être-à-l’espace » propre, mais qui n’est possible quant à lui que sur la base de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme tel. Il est donc exclu de préciser ontologiquement l’être-à… à l’aide d’une caractérisation ontique, en disant par exemple : l’être-à dans un monde est une propriété spirituelle et la « spatialité » de l’homme est une propriété de sa corporéité [propre], laquelle est toujours en même temps « fondée » par la corporéité [en général]. En effet, parier ainsi serait en revenir à un être-ensemble-sous-la-main d’une chose spirituelle ainsi constituée et d’une chose corporelle, l’être de l’étant ainsi composé n’en demeurant que plus obscur. Seule la compréhension de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme structure d’essence du Dasein permet de prendre un aperçu sur la spatialité existentiale du Dasein. Elle seule préserve de manquer, ou d’annuler d’avance cette structure, laquelle annulation est motivée, non certes ontologiquement, mais bel et bien « métaphysiquement » par l’opinion naïve selon laquelle l’homme serait d’abord une chose spirituelle qui serait transportée après coup « dans » un espace. [EtreTemps12]

Pour la considération philosophique, le logos est lui-même un étant, et même, [159] conformément à l’orientation de l’ontologie antique, un étant sous-la-main. Les mots et la suite de mots où il se trouve son ex-pression sont de prime abord sous-la-main, c’est-à-dire trouvables comme des choses. Cette première recherche de la structure du logos ainsi considéré comme sous-la-main rencontre un être-ensemble-sous-la-main d’une pluralité de mots. Qu’est-ce qui fonde l’unité de cet ensemble ? Elle consiste, comme l’avait vu Platon, en ce que le logos est toujours logos tinos. Dans la perspective de l’étant manifeste dans le logos, les mots sont composés en une totalité verbale. Plus radicale cependant est la vision d’Aristote : tout logos, pour lui, est à la fois synthesis et diairesis, il n’est pas l’une (par exemple en tant que « jugement positif ») ou l’autre (par exemple en tant que « jugement négatif »), mais, qu’il soit positif ou négatif, vrai ou faux, il est synthesis et diairesis cooriginairement. La mise en lumière prend ensemble ou sépare. Sinon, Aristote n’a pas déployé la question analytique jusqu’à soulever le problème suivant : quel est le phénomène qui, à l’intérieur de la structure du logos, permet et même requiert de caractériser tout énoncé comme synthèse et diérèse ? 587 § 33

Lorsque nous avons pour la première fois renvoyé à l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] comme constitution fondamentale du Dasein, puis caractérisé ses moments structurels constitutifs, nous n’avons pas poussé au-delà de l’analyse de la constitution d’être, jusqu’à la considération phénoménale du mode d’être de celle-ci. Sans doute les modes fondamentaux possibles de l’être-à, la préoccupation [Besorgen] et la sollicitude [Fürsorge], ont-ils été décrits. Toutefois la question du mode d’être quotidien [alltäglich] de ces guises d’être est demeurée inélucidée. De plus, il est apparu que l’être-à est tout autre chose qu’un simple face-à-face considératif ou actif [avec le monde], c’est-à-dire qu’un être-ensemble-sous-la-main d’un sujet et d’un objet. Et pourtant, l’apparence devait forcément subsister que l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] fonctionnât comme un cadre fixe à l’intérieur duquel se déroulent — sans affecter elle-même ontologiquement ce « cadre » — les possibles comportements du Dasein par rapport à son monde. Néanmoins, ce soi-disant « cadre » co-constitue lui-même le mode d’être du Dasein. Un mode existential de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] s’atteste dans le phénomène de l’échéance. 664 § 38

Seulement, même si la primauté ontique du sujet isolé et de l’expérience interne était abandonnée, la position de Descartes n’en serait pas moins ontologiquement maintenue. Car ce que Kant prouve — la légitimité de la preuve et de sa base étant en général admise —, c’est le nécessaire être-ensemble-sous-la-main d’un étant changeant et d’un étant permanent. Mais cette coordination de deux sous-la-main ne signifie même pas encore elle-même l’être-ensemble-sous-la-main d’un sujet et d’un objet. De plus, cela serait-il même prouvé que resterait encore recouvert ce qui est ontologiquement décisif : la constitution du « sujet », du Dasein, comme être-au-monde [In-der-Welt-sein]. L’être-ensemble-sous-la-main d’un étant physique et d’un étant psychique est totalement différent, tant ontiquement qu’ontologiquement, du phénomène de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. 775 § 43

Le « scandale de la philosophie » ne consiste pas en ce que cette preuve se fait encore désirer, mais en ce que de telles preuves sont encore et toujours attendues et tentées. De telles attentes, visées et exigences proviennent d’une position ontologiquement non-satisfaisante de ce vis-à-vis de quoi l’on doit montrer qu’un « monde » sous-la-main est indépendant et « extérieur ». Ce ne sont pas les preuves qui sont insuffisantes, c’est le mode d’être de l’étant qui formule et qui réclame ces preuves qui est sous-déterminé. Par suite, l’illusion peut naître qu’en montrant le nécessaire être-ensemble-sous-la-main de deux sous-la-main, l’on établirait, ou même l’on pourrait établir quelque chose sur le Dasein en tant qu’être-au-monde [In-der-Welt-sein]. Mais le Dasein bien compris répugne à de telles preuves, parce qu’il est à chaque fois déjà en son être ce dont des preuves apportées après-coup tiennent la démonstration pour nécessaire. 777 § 43

Même si l’on voulait alléguer le fait que le sujet doit présupposer — et, inconsciemment, présuppose toujours déjà — que le « monde extérieur » est sous-la-main, la position purement constructive d’un sujet isolé n’en resterait pas moins encore en jeu. Le phénomène de l’être-au-monde [In-der-Welt-sein] serait alors tout aussi peu atteint qu’il ne l’est par la monstration d’un être-ensemble-sous-la-main du physique et du psychique. Avec de telles présuppositions, le Dasein arrive toujours déjà « trop tard » s’il est vrai que, s’il accomplit cette présupposition en tant qu’étant — et comment serait-elle possible autrement ? —, en tant qu’étant il est à chaque fois déjà dans un monde. « Plus ancienne » que toute présupposition et attitude du Dasein est l’« a priori » de sa constitution d’être selon le mode d’être du souci. 780 § 43

Mais ces représentations, pour lui, sont l’« empirique » qui est « accompagné » par le Je, les phénomènes auxquels il s’« annexe ». Mais Kant ne montre nulle part quel est le mode d’être de cette « annexion » et de cet « accompagnement ». Au fond, ils sont compris comme un être-ensemble-sous-la-main constant du Moi et de ses représentations. Kant, sans doute, a su éviter de couper le Moi de la pensée, mais sans cependant poser le « Je pense » lui-même en sa pleine réalité essentielle comme « Je pense quelque chose », et, surtout, sans reconnaître dans la « présupposition » ontologique du « Je pense quelque chose » la déterminité [Bestimmtheit] fondamentale du Soi-même. Car même la position initiale du « Je pense quelque chose » demeure ontologiquement sous-déterminée, parce que le « quelque chose » demeure indéterminé. Est-ce un étant intramondain qui est entendu par là ? Mais c’est alors le monde qui se trouve tacitement présupposé : or justement, ce phénomène co-détermine la constitution d’être du Je, si tant est qu’il doive être quelque chose comme un « Je pense quelque chose ». Le dire-Je vise l’étant que je suis à chaque fois en tant que « Je-suis-dans-un-monde ». Mais Kant n’aperçut pas le phénomène du monde, et c’est pourquoi il fut parfaitement conséquent en tenant les « représentations » à distance de la teneur « apriorique » du « Je pense ». Seulement, le Je s’en trouva de nouveau réduit à un sujet isolé, accompagnant les représentations selon une guise tout à fait indéterminée ontologiquement [NA: Cf. notre critique phénoménologique de la « réfutation de l’idéalisme » par Kant, supra, § 43 a, p. [202] sq.]. [EtreTemps64]