Mais si la « vérité » a ce sens et si le logos est un mode déterminé du faire-voir, alors le logos ne saurait justement pas être considéré comme le « lieu » primaire de la vérité. Lorsque l’on détermine, comme c’est devenu aujourd’hui chose tout à fait courante, la vérité comme ce qui appartient « proprement » au jugement, et que de surcroît on invoque Aristote à l’appui de cette thèse, une telle invocation est tout aussi illégitime que, surtout, le concept grec de la vérité est incompris. Est « vraie » au sens grec, et certes plus originellement que le logos cité, aisthesis, l’accueil pur et simple, sensible de quelque chose. Tandis qu’une aisthesis vise ses idia, c’est-à-dire l’étant qui essentiellement n’est accessible que par elle et pour elle, par exemple le voir des couleurs, alors cet accueil est toujours vrai. Ce qui veut dire que le voir découvre toujours des couleurs, l’entendre toujours des sons. Mais est « vrai » au sens le plus pur et le plus originel – autrement dit découvre sans jamais pouvoir recouvrir – le pur noein, l’accueil purement et simplement considératif des déterminations d’être les plus simples de l’étant comme tel. Ce noein ne peut jamais recouvrir, jamais être faux, il peut tout au plus être non-accueil, agnoein, ne pas suffire à l’accès pur et simple, adéquat. EtreTemps7
Si l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) est une constitution fondamentale du Dasein, où il se meut non pas seulement en général, mais – sur le mode de la quotidienneté (Alltäglichkeit) – de façon privilégiée, il doit donc également être toujours déjà expérimenté ontiquement. Un voilement total du phénomène serait d’autant plus inintelligible que le Dasein dispose d’une compréhension (60) d’être de lui-même, si indéterminée soit-elle. Néanmoins, dès l’instant que le « phénomène de la connaissance du monde » a été lui-même saisi, il a été soumis à une interprétation « extérieure », formelle. Un signe en est la position, encore usuelle aujourd’hui de la connaissance comme une « relation entre sujet et objet », qui contient en elle autant de « vérité » que de vide. Sujet et objet, cependant, ne coïncident point avec Dasein et monde. EtreTemps13
De tous temps, la philosophie a rapproché vérité et être. La première découverte de l’être de l’étant chez Parménide « identifie » l’être avec la compréhension ac-cueillante de l’être : to gar auto noein estin te kai einai (NA: Fragment 5, Diels (= 3, Diels-Kranz).). Dans son esquisse de l’histoire de la découverte des archai (NA: Met., A.), Aristote souligne que c’est guidés par « les choses mêmes » que les (213) philosophes antérieurs à lui furent contraints de questionner plus avant : auto to pragma hodopoiesen autois kai sunenagkase zetein (NA: Id., 984 a 18 sq.). Il caractérise encore ce même fait par ces mots : anagkazomenos d’akolouthei tois phainomenois (NA: Id., 986 b 31); il (Parménide) fut contraint de suivre ce qui se montrait en lui-même. Dans un autre passage, nous lisons : hup’ autes tes aletheias anagkazomenoi (NA: Id., 984 b 10.), c’est contraints par la « vérité » elle-même qu’ils menèrent la recherche. Cette recherche, Aristote la caractérise comme philosophein peri tes aletheias (NA: Id., 983 b 2 ; cf. 988 a 20.), « philosopher » sur la « vérité », ou encore apophainesthia peri tes aletheias (NA: Id., ? 1, 993 b 17.), comme un faire-voir qui met en lumière eu égard à et dans l’orbe de la « vérité ». La philosophie elle-même est déterminée comme episteme tis tes aletheias (NA: Id., 993 b 20.), une science de la « vérité ». Mais en même temps, elle est caractérisée comme une episteme, he theorei to on he on (NA: Id., . 1, 1003 a 21.), une science qui considère l’étant en tant qu’étant, c’est-à-dire eu égard à son être. EtreTemps44
Que signifient ces mots : « Faire une recherche sur la “vérité” », science de la « vérité » ? La « vérité », dans cette recherche, est-elle prise pour thème par une théorie de la connaissance ou du jugement ? Manifestement non, puisque « vérité » signifie la même chose que la « chose », que « ce qui se montre soi-même ». Quel est alors le sens de l’expression « vérité », si elle peut être utilisée terminologiquement pour nommer un « étant » et un « être » ? EtreTemps44
Mais si la vérité se tient à juste titre dans une connexion originaire avec l’être, le phénomène de la vérité entre dans la sphère de la problématique fondamental-ontologique. Mais si tel est le cas, n’est-il pas inévitable que ce phénomène fasse d’ores et déjà encontre à l’intérieur de l’analyse fondamentale préparatoire, de l’analytique du Dasein ? Dans quelle connexion ontico-ontologique la « vérité » se tient-elle avec le Dasein et la déterminité (Bestimmtheit) ontique de celui-ci que nous appelons la compréhension d’être ? Est-il possible, à partir de celle-ci, de mettre au jour la raison pour laquelle l’être va nécessairement ensemble avec la vérité, et celle-ci avec celui-là ? EtreTemps44
D’abord, que signifie en général le terme d’« accord » ? L’accord de quelque chose avec quelque chose a le caractère formel de la relation de quelque chose à quelque chose. Tout accord, donc toute « vérité », est une relation. Pourtant, toute relation n’est pas accord. Un signe fait signe vers ce qu’il montre. Le signe est une relation, mais il n’est pas un accord du signe et du montré. D’autre part, tout accord ne désigne manifestement pas non plus quelque chose comme la convenientia fixée dans la définition de la vérité. Le nombre 6 s’accorde avec 16 – 10. Les nombres s’accordent, ils sont égaux du point de vue du combien. L’égalité est (216) une guise de l’accord. À celui-ci appartient structurellement quelque chose comme un « point de vue », un « rapport à… ». Par rapport à quoi ce qui est mis en relation dans l’adaequatio s’accorde-t-il ? La clarification de la « relation de vérité » exige de considérer conjointement la spécificité des membres relatifs. Par rapport à quoi intellectus et res, s’accordent-ils ? Est-ce qu’en leur mode d’être, en leur teneur d’essence, ils apportent en général avec eux quelque chose par rapport à quoi ils puissent s’accorder ? Si une identité des deux est rendue impossible par leur hétérogénéité, tous deux, intellectus et res sont-ils cependant peut-être semblables ? Mais la connaissance doit pourtant « donner » la chose telle qu’elle est. L’« accord » a donc le caractère de relation du « tel – tel ». Selon quelle guise cette relation est-elle possible en tant que relation entre intellectus et res ? On le voit clairement par toutes ces questions : pour tirer au clair la structure de la vérité, il ne suffit point de présupposer simplement ce tout relationnel, il faut que le questionnement s’en retourne jusqu’à la connexion d’être qui porte ce tout comme tel. EtreTemps44
Être-vrai (vérité) veut dire être-découvrant. Mais n’est-ce pas là une définition suprêmement arbitraire de la vérité ? Et même si des déterminations conceptuelles aussi violentes peuvent permettre de mettre l’idée d’accord hors circuit du concept de la vérité, ce gain douteux n’est-il pas payé du prix d’une annulation de la « bonne » vieille tradition ? Réponse : notre définition apparemment arbitraire ne contient que l’interprétation nécessaire de ce que la plus ancienne tradition de la philosophie antique a originairement pressenti, et même préphénoménologiquement compris. L’être-vrai du logos comme apophansis est l’aletheuein selon la guise de l’apophainesthai : faire voir, en le dégageant de son retrait, l’étant en son hors-retrait (Unverborgenheit) (être-découvert). L’aletheia, qui est identifiée par Aristote, d’après les textes cités plus haut, avec le pragma, les phainomena signifie les « choses mêmes » , ce qui se montre, l’étant dans le comment de son être-découvert. Est-ce d’autre part un hasard si, dans l’un des fragments d’Héraclite (NA: Fragment 1, Diels (= 1, Diels-Kanz).), qui constituent les témoignages doctrinaux les plus anciens de la philosophie qui traitent expressément du logos, perce le phénomène de la vérité au sens d’être-découvert (hors-retrait (Unverborgenheit)) que nous venons de dégager ? Au logos et à celui qui le dit et le comprend, sont opposés les hommes sans entente. Le logos est phrazon hokos echei, il dit comment l’étant se comporte. Aux hommes sans entente, au contraire, échappe (lanthanei), demeure retiré ce qu’ils font : epilanthanontai, ils oublient, autrement dit cela sombre à nouveau pour eux dans le retrait. Ainsi, au logos, appartient le hors-retrait (Unverborgenheit), aletheia. La traduction par le mot « vérité », pour ne rien dire des déterminations conceptuelles théoriques de cette expression, recouvre le sens de ce que les Grecs placèrent « tout naturellement » en fait de précompréhension préphilosophique à la base de l’usage terminologique d’aletheia. EtreTemps44
La condition ontologico-existentiale requise pour que l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) soit déterminé par la « vérité » et la « non-vérité » réside dans la constitution d’être du Dasein que nous avons caractérisée comme projet jeté. Elle est un constituant de la structure du souci. EtreTemps44
Ce qui cependant est dernier dans l’ordre des connexions ontologico-existentiales de dérivation vaut du point de vue ontico-factice comme le terme premier et le plus proche. Mais ce fait, considéré en sa nécessité propre, se fonde à son tour sur le mode d’être du Dasein lui-même. Dans l’identification préoccupée, le Dasein se comprend à partir de l’étant rencontré à l’intérieur du monde. L’être-découvert appartenant au découvrir est de prime abord trouvé de manière intramondaine dans l’ex-primé. Mais ce n’est pas seulement la vérité qui fait alors encontre comme du sous-la-main, mais encore la compréhension d’être en général comprend de prime abord tout étant comme sous-la-main. La méditation ontologique immédiate sur la « vérité » de prime abord rencontrée ontiquement comprend le logos (énoncé) comme logos tinos (énoncé sur…, être-découvert de…), mais interprète le phénomène en tant que sous-la-main du point de vue de son être-sous-la-main possible. Mais comme celui-ci a été identifié au sens de l’être en général, la question de savoir si ce mode d’être de la vérité et sa structure de prime abord rencontrée sont originaires ou non ne peut même pas s’éveiller. La compréhension d’être du Dasein de prime abord régissante, et qui aujourd’hui encore n’a été ni FONDAMENTALEMENT ni EXPRESSÉMENT dépassée, recouvre elle-même le phénomène originaire de la vérité. EtreTemps44
Aristote, en effet, n’a jamais défendu la thèse que le « lieu » originaire de la vérité est le (226) jugement. Bien plutôt dit-il que le logos est la guise d’être du Dasein qui peut être découvrante ou recouvrante. Cette double possibilité, voilà ce qui détermine de manière insigne l’être-vrai du logos : il est le comportement qui peut aussi recouvrir. Et comme Aristote n’a jamais affirmé la thèse citée, il ne s’est j.amais non plus trouvé dans la situation d’« élargir » le concept de vérité du logos au pur noein. La « vérité » de l’aisthesis et de la vision des « idées » est le découvrir originaire. Et c’est seulement parce que la noesis découvre primairement que le logos comme dianoein peut aussi avoir une fonction de découverte. EtreTemps44
Non seulement la thèse selon laquelle le « lieu » natif de la vérité est le jugement invoque en vain l’autorité d’Aristote, mais encore elle représente, en sa teneur même, une méconnaissance de la structure de la vérité. Loin d’être le « lieu » primaire de la vérité, l’énoncé, en tant que mode d’appropriation de l’être-découvert et que guise de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) se fonde au contraire dans le découvrir, ou dans l’ouverture du Dasein. La « vérité » la plus originaire est le « lieu » de l’énoncé et la condition ontologique de possibilité pour que des énoncés puissent être vrais ou faux (découvrants ou recouvrants). EtreTemps44
Les lois de Newton, avant lui, n’étaient ni vraies, ni fausses : cette proposition ne peut pas signifier que l’étant qu’elles mettent au jour en le découvrant n’était pas avant elles. Ces lois devinrent vraies grâce à Newton, avec elles de l’étant devint en lui-même accessible pour le Dasein. Avec l’être-découvert de l’étant, celui-ci se montre justement comme l’étant qui était déjà auparavant. Découvrir ainsi, tel est le mode d’être de la « vérité ». EtreTemps44
Toute vérité, conformément à son mode d’être essentiel, par lequel elle est à mesure du Dasein, est relative à l’être de celui-ci. Cette relativité signifie-t-elle autant que : toute vérité est « subjective » ? Sûrement pas si l’on interprète « subjectif » au sens de « livré au bon gré du sujet ». Car le découvrir, en son sens le plus propre, soustrait l’énoncer à l’arbitraire « subjectif » et place le Dasein découvrant devant l’étant lui-même. Et c’est seulement parce que la « vérité » comme découvrir est un mode d’être du Dasein qu’elle peut être soustraite à son arbitraire. Même la « validité universelle » de la vérité est simplement enracinée dans le fait que le Dasein peut découvrir et libérer de l’étant en lui-même. C’est ainsi seulement que cet étant peut lier en lui-même tout énoncé possible, c’est-à-dire toute mise-au-jour de lui. La vérité bien comprise est-elle le moins du monde compromise par le fait qu’elle n’est ontiquement possible que dans le « sujet », et apparaît et disparaît avec l’être de ce sujet ? EtreTemps44
À la lumière du mode d’être existentialement conçu de la vérité, le sens de la présupposition de la vérité devient également compréhensible. Pourquoi devons-nous nécessairement présupposer qu’il y a de la vérité ? Que veut dire « présupposer » ? Que signifient ces mots : « devoir nécessairement », « nous » ? Et l’expression : « il y a de la vérité » ? « Nous » présupposons de la vérité parce que, étant sur le mode d’être du Dasein, « nous » sommes « dans la vérité ». Nous ne la présupposons pas comme quelque chose d’« extérieur » et « supérieur » à nous, par rapport à quoi nous nous comporterions, à côté d’autres « valeurs ». Ce n’est pas nous qui présupposons la « vérité », c’est elle qui en général rend ontologiquement possible que nous puissions être de telle manière que nous (228) « présupposions » quelque chose. La vérité possibilise la première quelque chose comme de la présupposition. EtreTemps44
Que veut dire « présupposer » ? Comprendre quelque chose comme le fondement de l’être d’un autre étant. Une telle compréhension de l’étant en ses connexions d’être n’est possible que sur la base de l’ouverture, c’est-à-dire de l’être-découvrant du Dasein. Présupposer de la « vérité » signifie alors la comprendre comme quelque chose en-vue-de quoi le Dasein est. Mais le Dasein – ceci est impliqué dans la constitution d’être comme souci – est à chaque fois en avant de soi. Il est l’étant pour lequel, en son être, il y va de son pouvoir-être le plus propre. À l’être et au pouvoir-être du Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) appartient essentiellement l’ouverture et le découvrir. Pour le Dasein, il y va de son pouvoir-être-au-monde (In-der-Welt-sein), et, conjointement, de la préoccupation (Besorgen) circon-specte découvrante de l’étant intramondain. Dans la constitution d’être du Dasein comme souci, dans l’être-en-avant-de-soi, est inclus le « présupposer » le plus originaire. C’est parce qu’à l’être du Dasein appartient une telle auto-présupposition que « nous » devons nécessairement aussi « nous » présupposer, en tant que déterminés par l’ouverture. Ce « présupposer » inhérent à l’être du Dasein ne se rapporte pas à de l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), et qui est de surcroît, mais uniquement à lui-même. La vérité présupposée, ou le « il y a » par lequel son être doit être déterminé a le mode ou le sens d’être du Dasein lui-même. Si nous devons nécessairement « faire » la présupposition de la vérité, c’est parce qu’elle est déjà « faite » avec l’être du « nous ». EtreTemps44
Nous devons nécessairement présupposer la vérité, elle doit nécessairement être en tant qu’ouverture du Dasein, tout comme celui-ci même doit nécessairement être en tant qu’à chaque fois mien et tel : cela appartient à l’être-jeté essentiel du Dasein dans le monde. Le Dasein a-t-il à chaque fois par lui-même librement décidé, pourra-t-il à chaque fois décider s’il veut ou non advenir au « Dasein » ? « En soi » il est impossible d’apercevoir pourquoi de l’étant doit être découvert, pourquoi de la vérité et du Dasein doit nécessairement être. La réfutation ordinaire du scepticisme, c’est-à-dire de la négation de l’être ou de la cognoscibilité de la « vérité » reste toujours à la moitié du chemin. Tout ce qu’elle montre dans une argumentation formelle, c’est que, si l’on juge, de la vérité est présupposée. Il y a là une manière d’indiquer qu’à l’énoncé de la « vérité » appartient, autrement dit que la mise au jour est en son sens d’être un découvrir. Seulement, reste alors non clarifiée la raison pour laquelle il doit nécessairement en aller ainsi, et où se trouve le fondement ontologique de cette connexion nécessaire d’être de l’énoncé et de la vérité. De même, le mode d’être de la vérité et le sens du présupposer et de son fondement ontologique dans le Dasein lui-même restent dans une totale obscurité. En outre, l’on méconnaît alors que même si personne ne juge, la (229) vérité n’en est pas moins déjà présupposée pour autant qu’en général le Dasein est. EtreTemps44
Pas plus que l’être de la « vérité » ne peut être « prouvé », pas plus un « sceptique » ne peut être réfuté. Du reste, le sceptique, s’il est facticement, selon la guise de la négation de la vérité, n’a pas non plus besoin d’être réfuté. Pour autant qu’il est et qu’il s’est compris dans cet être, il a éteint le Dasein, et avec lui la vérité, dans le désespoir du suicide. La vérité ne se laisse pas prouver dans sa nécessité, parce que le Dasein, le premier, ne saurait être pour lui-même soumis à une preuve. Aussi peu il est montré qu’il y a des « vérités éternelles », tout aussi peu il est montré qu’il y ait jamais eu – contrairement à ce que croient au fond, en dépit de leur entreprise même, les réfutations du scepticisme – un « vrai » sceptique. Et pourtant, il y en a eu peut-être plus souvent que ne voudrait le croire l’ingénuité des tentatives formalo-dialectiques pour confondre le scepticisme. EtreTemps44
Être-certain d’un étant, cela veut dire : le tenir pour vrai en tant qu’il est vrai. Mais la vérité signifie l’être-découvert de l’étant. Or tout être-découvert se fonde ontologiquement dans la vérité la plus originaire, l’ouverture du Dasein (NA: Cf. supra, §44 (EtreTemps44), p. 212 sq., spécialement p. 219 sq.). Le Dasein, en tant qu’étant ouvert-ouvrant et découvrant, est essentiellement « dans la vérité ». Or la certitude se fonde dans la vérité ou lui appartient cooriginairement. L’expression « certitude », tout comme le terme « vérité », a une double signification. Originairement, vérité veut dire autant qu’être-ouvrant, en tant que comportement du Dasein. La signification dérivée de celle-ci désigne l’être-découvert de l’étant. De manière correspondante, la certitude signifie originairement autant que l’être-certain comme mode d’être du Dasein. Suivant la signification dérivée, cependant, même l’étant dont le Dasein peut être certain est nommé « certain ». EtreTemps52
En même temps, l’analyse de la résolution devançante nous a conduit vers le phénomène de la vérité originaire et authentique. Antérieurement, il avait été montré comment la compréhension de prime abord et le plus souvent régnante de l’être conçoit l’être au sens de l’être-sous-la-main et recouvre ainsi le phénomène originaire de la vérité (NA: Cf. supra, §44 (EtreTemps44), b, p. 219 sq.). Or s’« il » n’« y a » de l’être que pour autant que la vérité « est », et si la compréhension de l’être se modifie à chaque fois selon la modalité de la vérité, alors il faut que la vérité originaire et authentique garantisse la compréhension de l’être du Dasein et de l’être en général. La « vérité » ontologique de l’analyse existentiale se configure sur le fondement de la vérité existentielle originaire. Celle-ci, néanmoins, n’a pas nécessairement besoin de celle-là. La vérité existentiale la plus originaire, fondamentale à laquelle aspire la problématique fondamental-ontologique – préparatoire à la question de l’être en général – est l’ouverture du sens d’être du souci. Pour libérer ce sens, il est besoin d’une pré-élaboration intégrale de la pleine réalité structurelle du souci. EtreTemps63
Le projet scientifique de l’étant qui fait à chaque fois déjà encontre d’une manière ou d’une autre fait comprendre son mode d’être expressément, et cela de telle sorte que du même coup deviennent manifestes les voies possibles conduisant à la pure découverte de l’étant intramondain. Le tout de ce projeter, auquel appartiennent l’articulation de la compréhension d’être, la délimitation – guidée par elle – du domaine réal et la pré-esquisse de la conceptualité adéquate à l’étant, nous le nommons la thématisation. Elle vise à une libération de l’étant rencontré à l’intérieur du monde permettant à celui-ci de s’« ob-jeter » à un pur découvrir, c’est-à-dire de devenir objet. La thématisation objective. Elle ne « pose » pas tout d’abord l’étant, mais le libère de telle manière qu’il devient « objectivement » interrogeable et déterminable. L’être objectivant auprès du sous-la-main intramondain a le caractère d’une présentification privilégiée (NA: La thèse selon laquelle toute connaissance tend à l’« intuition » a le sens temporel suivant : tout connaître est présentifier. Toute science, ou même toute connaissance philosophique tend-elle à un présentifier ? La question doit demeurer encore indécise. – HUSSERL utilise l’expression « présentifier » pour caractériser la perception sensible : cf. Recherches logiques, 1ère éd., 1901, t. II, p. 588 et 620. Une telle détermination « temporelle » du phénomène ne pouvait pas ne pas s’imposer à l’analyse intentionnelle de la perception et de l’intuition. Que et comment l’intentionnalité de la « conscience (Gewissen) » se fonde sinon à son tour dans la temporalité ekstatique du Dasein, c’est ce que montrera notre prochaine section.). Celle-ci se distingue avant tout du présent de la circon-spection en ceci que la découverte de la science concernée est uniquement attentive à l’être-découvert du sous-la-main. Ce s’attendre à l’être-découvert se fonde existentiellement en une résolution du Dasein par laquelle il se projette vers le pouvoir-être dans la « vérité ». Ce projet est possible parce que l’être-dans-la-vérité constitue une détermination d’existence du Dasein. Nous n’avons pas à poursuivre ici plus avant l’origine de la science à partir de l’existence authentique. Tout ce qu’il convient actuellement de comprendre, c’est que, et comment la thématisation de l’étant intramondain a pour présupposition la constitution fondamentale du Dasein, l’être-au-monde (In-der-Welt-sein). EtreTemps69
L’ouverture historique, fondée dans la répétition destinale, du « passé » est si peu « subjective » que c’est elle seule au contraire qui garantit l’« objectivité » de l’enquête historique. Car l’objectivité d’une science se règle primairement sur ce critère : est-elle capable d’ap-porter à découvert au comprendre l’étant thématique concerné selon l’originarité de son être. Il n’est point de science où la « validité universelle » des normes et les revendications d’« universalité » élevées par le On (das Man) et son entente puissent moins s’imposer comme critères de la « vérité » que dans l’enquête historique authentique. EtreTemps76
La présentation concrète de l’origine historialo-existentiale de l’enquête historique s’accomplit dans l’analyse de la thématisation qui constitue cette science. La thématisation historique a sa pièce essentielle dans l’élaboration de la situation herméneutique qui s’ouvre, avec la décision du Dasein historialement existant, à l’ouverture répétitrice de ce qui a-été-Là. C’est à partir de l’ouverture (« vérité ») authentique de l’existence historiale que doit être exposée la possibilité et la structure de la vérité historique. Mais comme les concepts fondamentaux des sciences historiques, qu’ils concernent leurs objets ou leurs modes de traitement, sont des concept d’existence, la théorie des sciences de l’esprit a pour présupposé une interprétation thématiquement existentiale de l’historialité du Dasein. Tel est le but constant dont tente de se rapprocher le travail de recherche de W. Dilthey, et qui est éclairé d’un jour plus vif par les idées du comte Yorck von Wartenburg. EtreTemps76
Bien que Hegel associe l’espace et le temps, il ne se borne pas pour autant à les juxtaposer de manière extérieure : l’espace « et aussi le temps ». « La philosophie combat cet aussi », dit-il. Le passage de l’espace au temps ne signifie pas le simple ajointement des paragraphes qui leur sont respectivement consacrés ; au contraire, c’est « l’espace lui-même qui passe ». L’espace « est » temps, c’est-à-dire que le temps est la « vérité » de l’espace (NA: Id., §25 (EtreTemps25)7, addition.). Que l’espace soit dialectiquement pensé en ce qu’il est, et alors cet être de l’espace, selon Hegel, se dévoile comme temps. Comment faut-il alors penser l’espace ? EtreTemps82