Des concepts fondamentaux sont les déterminations où le domaine réal fondamental à tous les objets thématiques d’une science accède à une compréhension préalable et directrice pour toute recherche positive. Leur assignation et leur « légitimation » authentique, ces concepts ne la reçoivent donc que d’une exploration non moins préalable du domaine réal lui-même. Mais dans la mesure où chacun de ces domaines est conquis à partir de la région de l’étant lui-même, une telle recherche préalable et créatrice de concepts fondamentaux ne signifie rien d’autre que l’interprétation de cet étant quant à la constitution fondamentale de son être. Une telle recherche doit nécessairement devancer les sciences positives, et elle le peut. Le travail de Platon et d’Aristote en est la preuve. Une telle fondation des sciences se distingue fondamentalement de cette « logique » après coup qui examine un état fortuit de telle ou telle science du point de vue de sa « méthode ». Elle est logique productrice en ce sens qu’elle se jette pour ainsi dire en un domaine déterminé de l’être, qu’elle l’ouvre (erschliesst) pour la première fois en sa constitution d’être, et qu’elle met les structures obtenues à la disposition des sciences positives comme autant de règles transparentes pour leur questionnement. C’est ainsi par exemple que le travail philosophiquement premier n’est pas une théorie de la formation des concepts en histoire, pas davantage la théorie de la connaissance historique, ni même la théorie de l’histoire comme objet de la science historique, mais l’interprétation de l’étant proprement historique en son historicité. C’est ainsi encore que la contribution positive de la Critique de la raison pure de Kant consiste dans le (11) coup d’envoi qu’elle donne à l’élaboration de ce qui appartient en général à une nature, et non point dans une « théorie » de la connaissance. La logique transcendantale de Kant est une logique apriorique réale du domaine d’être « nature ». EtreTemps3
L’idée de l’être à laquelle reconduit cette caractérisation ontologique de la res extensa est la substantialité. « Per substantiam nihil aliud intelligere possumus, quam rem quae ita existit, ut nulla alla te indigeat ad existendum » : « par substance, nous ne pouvons rien comprendre d’autre qu’un étant qui est ainsi que, pour être, il n’a besoin d’aucun autre étant » (NA: Id., I, 51, p. 24.)). L’être d’une « substance » est caractérisé par une absence de besoin. Ce qui, en son être, n’a absolument aucun besoin d’un autre étant, cela satisfait au sens propre à l’idée de substance – cet étant est l’ens perfectissimum. « Substantia quae nulla plane re indigeat, unica tantum potest intelligi, nempe Deus » (NA: Ibid. NT: (« La substance qui n’a absolument pas besoin d’une autre chose ne peut être conçue que comme unique, et c’est Dieu. »)). « Dieu » est ici un titre strictement ontologique, lorsqu’il est compris comme ens perfectissimum. En même temps, ce qui est co-visé de manière « évidente » avec le concept de Dieu rend possible une explicitation ontologique du moment constitutif de la substantialité, l’autarcie. « Alias vero omnes (res), non nisi ope concursus Dei existere percipimus » (NA: Ibid. NT: (« Pour toutes les autres choses, nous nous représentons qu’elles ne peuvent exister que grâce au concours de Dieu. »)). Tout étant qui n’est pas Dieu a besoin d’être produit au sens le plus large du terme, et d’être conservé. La production comme être sous-la-main (ou l’absence du besoin d’être produit), voilà ce qui constitue l’horizon au sein duquel l’« être » est compris. Tout étant qui n’est pas Dieu est ens creatum. Entre l’un et l’autre type d’étant existe une différence « infinie » d’être, et pourtant nous appelons le créé aussi bien que le créateur des étants. Nous employons donc le mot « être » dans une extension telle que son sens embrasse une différence « infinie ». Ainsi pouvons-nous même nommer avec un certain droit l’étant créé une substance. Relativement à Dieu, cet étant est sans doute en besoin de production et de conservation, mais à l’intérieur de la région de l’étant créé, du « monde » au sens de l’ens creatum, il y a de l’étant qui, relativement à une création ou une conservation créaturelles, à celles de l’homme par exemple, « n’a pas besoin d’un autre étant ». Des substances de cette sorte sont au nombre de deux : la res cogitans et la res extensa. EtreTemps20
En outre, l’histoire désigne le tout de l’étant qui se meut « dans le temps », plus précisément, à la différence de la nature qui, elle aussi, se meut « dans le temps », les vicissitudes et les destinées d’hommes, d’associations d’hommes et de leur « culture ». L’histoire, dans ce cas, ne désigne pas tant le mode d’être, le provenir lui-même, que la région de l’étant que l’on distingue de la nature en considération de la détermination essentielle de l’existence de l’homme par l’« esprit » et la « culture », quand bien même la nature appartient elle aussi d’une certaine façon à l’histoire ainsi comprise. EtreTemps73
L’idée de l’enquête historique comme science implique qu’elle se soit saisie de l’ouverture de l’étant historial comme d’une tâche propre. Toute science se constitue primairement par la thématisation. Ce qui, dans le Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) ouvert, est connu préscientifiquement est projeté vers son être spécifique. Avec un tel projet se délimite la région de l’étant considéré. Les accès à lui reçoivent ainsi leur « direction » méthodique, la structure de la conceptualité de l’explicitation obtient ainsi sa pré-esquisse. Si, réservant la question de la possibilité d’une « histoire du présent », nous assignons pour tâche à l’enquête historique l’ouverture du « passé », la thématisation historique de l’histoire n’est alors possible que si en général du « passé » est à chaque fois déjà ouvert. Même abstraction faite de la question de savoir si sont disponibles des sources suffisantes pour une re-présentation du passé, il faut bel et bien qu’en général le chemin vers lui soit en général ouvert pour que le retour historique vers lui soit possible. Or le sens de telles requêtes et la possibilité d’y satisfaire sont rien moins qu’évidents. EtreTemps76