En tant que la Mémoire, comme assemblement de l’âme, comme recueillement auprès …. ne se désiste pas de cela sur quoi elle est assemblée, le trait qui domine dans la Mémoire n’est pas seulement une essentielle pensée fidèle, mais du même coup c’est aussi un « retenir » qui ne se dé-siste ni ne lâche prise. C’est alors que l’âme, du sein de la Mémoire et à l’intérieur de celle-ci, répand le trésor des images, c’est à dire des vues dont elle est elle-même regardée. Ce n’est que d’ici que s’élève, intérieurement à l’être de la Mémoire comprise dans un sens large et profond, ce « tenir ferme » opposé au « glissement » que les Latins désignent par memoria tenere. Tenir ferme par la memoria se rattache aussi bien au passé qu’au présent et qu’à l’avenir. C’est avant tout le passé qui donne de la peine à tenir ferme parce qu’il s’en est allé, et que d’une certaine manière il n’offre plus aucune prise. C’est pourquoi le sens de « retenir » est dans la suite réservé au passé, qui par la Mémoire est exhumé toujours de nouveau. Mais, en tant que cet aspect restreint ne fait pas originellement la seule essence de la Mémoire, on a dû, pour exprimer particulièrement l’action de retenir le passé et la ré-pétition du passé, forger le mot de re-mémoration.
Dans le mot « Gedanc » initial règne l’être originel de la Mémoire le rassemblement dans la croyance constante de tout ce que l’âme laisse être pré-sent. « Croyance » (meinen) est entendue ici dans la signification de « Minne » : la tendresse qui porte le plus profond de l’âme vers ce qui est, laquelle n’est pas concertée, et n’a donc pas non plus besoin d’être accomplie.
Comme Mémoire ainsi comprise le « Gedanc » est du même coup déjà ce que désigne le mot « reconnaissance » (Dank). Par la reconnaissance, l’âme commémore ce qu’elle a et ce qu’elle est. Dans cette commémoration, et par conséquent en tant que Mémoire, l’âme dans sa pensée se tourne vers Cela qui est son partage. Elle se pense comme obéissante, non pas au sens de la simple sujétion, mais obéissante par son audience recueillie. La reconnaissance originelle est de devoir reconnaissance de soi même. Celle ci est la première et la seule d’où provient ce que nous appelons esprit de compensation et de rétribution, au mauvais comme au bon sens du terme. Mais, pratiquée pour elle même, la reconnaissance comme compensation et rétribution risque de rester embourbée dans des limites purement conventionnelles telles que « ne pas être en reste » si ce n’est même dans celles du commerce. [GA8 146]