« mauvaise » conscience

Néanmoins, on ne manquera pas d’opposer à notre interprétation de la conscience (Gewissen) (279) comme appel du souci la contre-question suivante : une interprétation de la conscience (Gewissen) qui s’éloigne à tel point de l’« expérience naturelle » peut-elle encore être probante ? Comment la conscience (Gewissen) pourrait-elle fonctionner comme con-vocatrice au pouvoir-être le plus propre alors que, de prime abord et le plus souvent, elle se borne à réprimander et à avertir ? La conscience (Gewissen) parle-t-elle avec cette indétermination vide d’un pouvoir-être authentique, et non pas bien plutôt, de façon précise et concrète, des fautes et des omissions que nous avons commises ou allons commettre ? L’ad-vocation (An-ruf) par nous affirmée provient-elle de la « mauvaise » conscience (Gewissen), ou de la « bonne » ? La conscience (Gewissen) livre-t-elle en général quelque chose de positif, ou ne fonctionne-t-elle pas plutôt de manière simplement critique ? EtreTemps57

Commençons notre élucidation par la dernière des réserves citées. Dans toutes les explicitations de la conscience (Gewissen), c’est la « mauvaise » conscience (Gewissen) qui a la primauté. La conscience (Gewissen) est primairement « mauvaise ». Ce qui s’annonce ici, c’est que toute expérience de la conscience (Gewissen) commence par expérimenter quelque chose comme un « en-dette ». Mais comment, suivant cette idée de la mauvaise conscience (Gewissen), l’attestation de l’être-méchant est-elle comprise ? Le « vécu de conscience (Gewissen) » surgit après l’acte – ou l’omission – qui a été commis. La voix de la conscience (Gewissen) fait suite à l’exécution et elle renvoie à l’événement survenu par lequel le Dasein s’est chargé d’une dette. Si la conscience (Gewissen) annonce une « dette », alors elle ne peut accomplir cela en tant que con-vocation (Aufruf) à…, mais en tant que renvoi qui rappelle la dette contractée. EtreTemps59

Cependant, ce « fait » de la postériorité de la voix de conscience (Gewissen) exclut-il que l’appel soit pourtant, en son fond, un pro-voquer ? Que la voix soit saisie comme mouvement subséquent de la conscience (Gewissen), cela ne prouve pas encore une compréhension originaire du phénomène de la conscience (Gewissen). Et si l’endettement factice était seulement l’occasion de l’appeler factice de la conscience (Gewissen) ? Si l’interprétation citée de la « mauvaise » conscience (Gewissen) s’arrêtait à la moitié du chemin ? Qu’il en soit bien ainsi, cela appert de la préacquisition ontologique où le phénomène se trouve porté par l’interprétation en question. La voix est quelque chose qui surgit, qui a sa place dans la séquence (Abfolge) des vécus sous-la-main et qui fait (291) suite au vécu de l’acte. Seulement, ni l’appel, ni l’acte accompli, ni la dette contractée ne sont des événements, munis du caractère d’un sous-la-main qui se déroule. L’appel a le mode d’être du souci. En lui, le Dasein « est » en-avant-de-soi, et cela de telle manière qu’il s’oriente en même temps en retour vers son être-jeté. Seule la position spontanée du Dasein comme enchaînement d’une succession de vécus peut permettre de prendre la voix pour quelque chose de subséquent, de postérieur, donc de nécessairement rétrospectif. Certes la voix rappelle, mais si elle rappelle, c’est, par delà l’acte accompli, à l’être-en-dette jeté, qui est « plus ancien » que tout endettement. Mais en même temps, le rappel pro-voque à l’être-en-dette en tant qu’il est à saisir dans l’existence propre, de telle sorte que l’être-en-dette existentiel authentique « succède » précisément à l’appel, et non pas l’inverse. La mauvaise conscience (Gewissen), au fond, se réduit si peu à une réprimande rétrospective qu’elle rappelle au contraire pro-spectivement à l’être-jeté. L’ordre de succession d’un déroulement de vécus est incapable de livrer la structure phénoménale de l’exister. EtreTemps59

Si la caractérisation citée de la « mauvaise » conscience (Gewissen) échoue déjà à atteindre le phénomène originaire, cela vaut encore davantage de celle de la « bonne » conscience (Gewissen), que l’on considère celle-ci comme une forme autonome de conscience (Gewissen) ou comme une forme essentiellement fondée dans la « mauvaise ». Or cette « bonne » conscience (Gewissen) devrait, tout comme la « mauvaise » annonce un « être-mauvais », annoncer l’« être-bon » du Dasein. Mais l’on constate aisément que la conscience (Gewissen) auparavant déterminée comme une « émanation de la puissance divine », devient maintenant la servante du pharisaïsme. En effet, elle doit faire dire de lui-même à l’homme : « je suis bon » – mais qui peut dire cela, et qui justement moins que l’homme bon voudrait se le confirmer ? Tout ce que cette conséquence (Abfolge) impossible de l’idée de bonne conscience (Gewissen) contribue à montrer, c’est que la conscience (Gewissen) appelle un être-en-dette. EtreTemps59

Tout ce que révèle le fait que l’expression « bonne conscience (Gewissen) » provienne de l’expérience de la conscience (Gewissen) du Dasein quotidien (alltäglich), c’est que celui-ci, même lorsqu’il parle de « mauvaise » conscience (Gewissen), manque fondamentalement le phénomène. Car facticement, l’idée de « mauvaise » conscience (Gewissen) s’oriente sur celle de « bonne » conscience (Gewissen). L’explicitation quotidienne (alltäglich) se tient dans la dimension du calcul et du compromis préoccupé de la « faute » et de l’« innocence », et c’est dans cet horizon que la voix de la conscience (Gewissen) est alors « vécue ». EtreTemps59

Du même coup, la deuxième objection, selon laquelle l’interprétation existentiale méconnaîtrait que l’appel de la conscience (Gewissen) se rapporte toujours à un acte déterminé, « effectif » ou voulu, perd également toute force. Certes, que l’appel soit couramment expérimenté suivant cette tendance, on ne saurait derechef le nier. La question reste seulement de savoir si cette expérience de l’appel laisse l’appel complètement « retentir ». L’explicitation du simple entendement peut bien s’imaginer qu’elle s’en tient aux seuls « faits », finalement, de par son entente propre, elle a toujours déjà restreint la portée d’ouverture de l’appel. Aussi peu la « bonne » conscience (Gewissen) se laisse mettre au service d’un « pharisaïsme », aussi peu la fonction de la « mauvaise » conscience (Gewissen) peut être réduite à simplement indiquer des endettements sous-la-main ou à en refouler (abdrängen) de possibles – un peu comme si le Dasein était un « ménage » dont il n’y aurait qu’à équilibrer les comptes pour que le Soi-même pût prendre place, spectateur non engagé, « à côté » de ces déroulements de vécus. EtreTemps59