Lavelle: Le langage est le corps de la pensée

Le langage est le corps de la pensée. C’est par lui que la pensée entre dans le monde, mais de telle manière pourtant qu’elle garde son indépendance et recouvre le réel sans jamais s’identifier avec lui. Il est l’instrument par lequel la pensée appréhende les choses, qui, comme tous les instruments, semble être une chose parmi les choses et qui est, non point comme les autres instruments le véhicule de notre action sur elles, mais le véhicule, par leur intermédiaire, de notre action sur les autres hommes. Le langage est un témoin de l’esprit et un moyen de communication entre les esprits: sans lui, chacun d’eux demeure cloître à la fois dans l’impuissance et dans la solitude. Mais le langage les révèle perpétuellement l’un à l’autre: il leur découvre ce qu’il y a entre eux de commun, qui est aussi, sans qu’ils le sachent, leur intimité la plus profonde, et ce qu’il y a de différent, qui ne les oppose qu’en apparence et pour qu’ils s’enrichissent mutuellement. Ainsi le langage atteste qu’il n’y a qu’un esprit auquel tous les esprits participent, chacun d’eux étant pour tous les autres, au cours de leur itinéraire, un auxiliaire et un soutien. Il n’y a qu’un esprit comme il n’y a qu’un monde. Et le langage qui va de l’un à l’autre calque l’identité des pensées sur l’identité des choses.

Le langage est donc l’épreuve de la vérité qu’il oblige à se produire de manière que tout le monde la puisse saisir. Mais cela ne va pas sans effort: car c’est l’œuvre de l’individu séparé qui essaie de vaincre sa séparation. (Louis Lavelle)