Joly: Platon et la médecine

Tout lecteur de Platon connaît l’habitude de Socrate, qui, voulant faire admettre une proposition générale, fait appel à des exemples pris dans les arts, les techniques de son temps. Ainsi, dans l’Hippias mineur, quand il veut montrer que l’erreur volontaire est préférable à l’erreur involontaire, Socrate invoque le cas de l’archer, du médecin et du cithariste 1. Il est très rare que de tels passages ne mentionnent pas la médecine 2 ; il arrive même que la médecine soit seule envisagée, comme dans le Criton 3, le Charmide 4, le Lysis 5, le Protagoras 6, le Gorgias 7. Dans d’autres textes encore, la médecine est citée en même temps qu’un autre art, mais elle bénéficie d’un traitement privilégié et le développement qui lui est consacré est le plus ample, comme dans le Charmide encore 8, le Lâchés 9, le Protagoras 10, mais aussi la République 11 et les Lois 12. Car ce privilège de la médecine subsiste chez Platon jusque dans ces Lois où les références médicales sont assez nombreuses 13. Le trait est si visible qu’il n’a pas échappé aux imitateurs, que ce soit l’auteur du second Alcibiade 14 ou celui des Rivaux 15.

Pour Platon, la médecine apparaît de prime abord comme la τέχνη par excellence, pourvue d’une méthode ferme, maîtresse (437) d’un savoir éprouvé, comme le proclament déjà si fièrement certains traités hippocratiques.

Mais ce n’est pas uniquement pour cela que la médecine intéresse notre philosophe.

Lui qui allait concevoir,un jour du moins, l’Univers comme un Vivant, avait des raisons particulières d’être attentif à la science du corps humain.

Et ici, il faut se garder de limiter le platonisme au dualisme qui s’exprime dans le Phédon et dans quelques passages postérieurs. Ce n’est là qu’une note extrême dans la symphonie platonicienne. Si le corps s’oppose bien d’une certaine manière à l’âme, s’il est moins réel que l’âme, plus près du non-être, s’il est parfois comparé à un tombeau, à une prison, à la coquille de l’huître 16, il est aussi capable de se laisser bien diriger par l’âme, d’être en harmonie avec elle, d’être digne d’elle. Dans les Lois, il vient au troisième rang des choses dignes d’estime, après les dieux et l’âme 17.

De là, les fréquents parallèles entre le corps et l’âme, qui entraînent ceux de la médecine et de la morale, de la politique, comme dit Platon.

  1. Hippias mineur, 375b.[]
  2. Cf. Lachès, 185b1.[]
  3. Criton, 47b.[]
  4. Charmide, 164a-b.[]
  5. Lysis, 218e sq.[]
  6. Protagoras, 322c.[]
  7. Gorgias, 459b.[]
  8. Charmide, 170b-e.[]
  9. Lachès, 195b.[]
  10. Protagoras, 345a-b.[]
  11. République, I, 341c.[]
  12. Lois, X, 902d.[]
  13. Voici les principaux passages qui font allusion à la médecine. Vol. I (éd. Les Belles Lettres) : 628d ; 638c ; 646c ; 660a ; 661b ; vol. II : 684c-d ; 720a-e ; 722b ; 734b ; vol. III : 798a ; 857c sq. ; 902d ; vol. IV : 916a-b ; 919b ; 932e; 933c-d ; 945c ; Epinomis, 987d.[]
  14. Alcibiade II 139e sq.[]
  15. Rivaux, 134b sq.[]
  16. Gorgias, 493a ; Phédon, 66b ; Phèdre, 250c.[]
  17. Lois, V, 728d.[]