finitude du temps

La tentation de perdre de vue la finitude (Endlichkeit) de l’avenir – donc de la temporalitéoriginaire et authentique, ou de la tenir « a priori » pour impossible, résulte de la constante pression de la compréhension vulgaire du temps. Mais que celle-ci connaisse – et à bon droit – un temps sans fin, et même ne connaisse que lui, ne prouve pas encore qu’elle comprenne pour autant encore ce temps et son « infinité ». Qu’est-ce que cela veut dire, en effet : le temps « continue » – « continue de passer » ? Que signifient le « dans le temps » en général, et, en particulier, le « dans l’avenir » et le « à partir de l’avenir » ? En quel sens « le temps » est-il sans fin ? Autant de questions qui méritent éclaircissement, si tant est que les objections vulgaires contre la finitude (Endlichkeit) du temps originaire ne veuillent pas rester privées de sol. Or cet éclaircissement, il n’est possible de le mettre en œuvre qu’à condition qu’ait été conquis un questionnement adéquat au sujet des concepts de finité (ou de finitude (Endlichkeit)) et d’in-finité. Mais ce questionnement ne peut provenir que du regard compréhensif sur le phénomène originaire du temps. Le problème ne peut pas être : comment le temps « dérivé » infini « où » (331) le sous-la-main naît et périt devient-il temps originaire fini, mais seulement : comment la temporalité inauthentique provient-elle de la temporalité authentique finie, et comment celle-là temporalise-t-elle, comme inauthentique, un temps in-fini à partir du temps fini ? C’est seulement parce que le temps originaire est fini que le temps « dérivé » peut se temporaliser comme in-fini. Dans l’ordre de la saisie compréhensive, la finitude (Endlichkeit) du temps ne peut devenir totalement visible que si le « temps sans fin » est dégagé, afin de lui être opposé. EtreTemps65

Mais où se fonde ce nivellement du temps du monde et ce recouvrement de la temporalité ? Réponse : dans l’être du Dasein lui-même, que nous interprétions provisoirement comme souci (NA: Cf. supra, §41 (EtreTemps41), pp. 191 sq.). Jeté-échéant, le Dasein est de prime abord et le plus souvent perdu dans ce dont il se préoccupe. Mais dans cette perte s’annonce la fuite recouvrante du Dasein devant son existence authentique, qui a été caractérisée comme résolution devançante. Dans la fuite préoccupée est impliquée la fuite devant la mort, c’est-à-dire un détournement du regard de la fin de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) (NA: Cf. supra, §51 (EtreTemps51), pp. 252 sq.). Ce détournement du regard de… est en lui-même un mode de l’être ekstatiquement avenant pour la fin. La temporalité inauthentique du Dasein échéant-quotidien (alltäglich) doit nécessairement, en un tel détournement de la finitude (Endlichkeit), méconnaître l’avenance authentique et, avec elle, la temporalité en général. Et c’est même lorsque la compréhension vulgaire du Dasein est guidée par le On (das Man) que la « représentation » oublieuse de soi de « l’infinité » du temps public peut pour la première fois se consolider. Le On ne meurt jamais, parce qu’il ne peut pas mourir, dans la mesure où la mort est mienne et n’est (425) existentiellement comprise de manière authentique que dans la résolution devançante. Le On, qui ne meurt jamais et mé-comprend l’être pour la fin, n’offre pas moins à la fuite devant la mort une explicitation caractéristique. Jusqu’à la fin, « on a encore le temps ». Ici s’annonce un avoir-le-temps au sens du pouvoir de le perdre « d’abord encore cela, et ensuite… ; plus que cela, et ensuite… » Ici, cependant, ce n’est nullement la finitude (Endlichkeit) du temps qui est comprise : tout au contraire, la préoccupation (Besorgen) s’applique à capturer la plus grande part possible du temps qui vient encore et qui « continue ». Le temps, du point de vue public, est quelque chose que chacun prend et peut prendre. La suite nivelée des maintenant demeure totalement méconnaissable du point de vue de sa provenance à partir de la temporalité du Dasein singulier dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich). Et du reste, comment cela affecterait-il le moins du monde « le temps » en son cours qu’un homme sous-la-main « dans le temps » vienne à ne plus exister ? Le temps suit son cours, tel qu’il « était » aussi déjà lorsqu’un homme est « entré dans la vie ». On ne connaît que le temps public, qui, nivelé, appartient à tous, autant dire à personne. EtreTemps81