Nous appelons l’ensemble cohérent de ces structures l’existentialité. L’analytique de celle-ci a (13) le caractère d’un comprendre non pas existentiel, mais existential. La tâche d’une analytique existentiale du Dasein est pré-dessinée, du point de vue de sa possibilité et de sa nécessité, dans la constitution ontique du Dasein. EtreTemps4
Mais dans la mesure où l’existence détermine le Dasein, l’analytique ontologique de cet étant a toujours déjà besoin d’une prise de perspective préalable sur l’existentialité. Or nous comprenons celle-ci comme la constitution d’être de l’étant qui existe. Mais dans l’idée d’une telle constitution d’être est déjà contenue l’idée d’être. Ainsi même la possibilité d’accomplissement de l’analytique du Dasein dépend de l’élaboration préalable de la question du sens de l’être en général. EtreTemps4
Mais l’analytique existentiale, de son côté, est en dernière instance enracinée existentiellement, c’est-à-dire ontiquement. C’est seulement si le questionnement comme recherche philosophique est saisi lui-même existentiellement en tant que possibilité d’être du Dasein à chaque fois existant que subsiste la possibilité d’une mise à découvert de l’existentialité de l’existence, et ainsi la possibilité de s’emparer d’une problématique (14) ontologique en général suffisamment fondée. Mais du coup, c’est aussi la primauté ontique de la question de l’être qui s’est dégagée. EtreTemps4
Si par ailleurs le Dasein a saisi la possibilité qui est en lui non seulement de se rendre transparente son existence, mais encore de questionner proprement le sens de l’existentialité, autrement dit et préalablement le sens de l’être, si, en un tel questionnement, son regard s’est ouvert pour l’historialité essentielle du Dasein, alors l’aperçu suivant ne peut pas ne pas s’imposer : le questionnement de l’être, tel qu’il a été déterminé du point de vue de sa nécessité ontico-ontologique, est lui-même caractérisé par l’historialité. L’élaboration de la question de l’être doit ainsi recueillir du sens d’être le plus propre du questionnement en tant (21) que questionnement historial l’assignation à se mettre en quête de sa propre histoire, c’est-à-dire à devenir historique, afin de se mettre par une appropriation positive du passé en pleine possession des possibilités les plus propres de questionnement. Conformément au mode d’accomplissement qui lui appartient, c’est-à-dire en tant qu’explication préalable du Dasein en sa temporalité et historialité, la question du sens de l’être est portée par elle-même à se comprendre comme historique. EtreTemps6
Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant – l’ontologie. Lors de notre éclaircissement des tâches de l’ontologie, nous est apparue la nécessité d’une ontologie-fondamentale ayant pour thème l’étant ontologico-ontiquement privilégié, le Dasein, mais aussi pour intention de se convoquer devant le problème cardinal, à savoir la question du sens de l’être en général. Or la recherche même nous montrera que le sens méthodique de la description phénoménologique est l’explicitation. Le logos de la phénoménologie du Dasein a le caractère de l’hermeneuein par lequel sont annoncés à la compréhension d’être qui appartient au Dasein lui-même le sens authentique de l’être et les structures fondamentales de son propre être. La phénoménologie du Dasein est herméneutique au sens originel du mot, d’après lequel il désigne le travail de l’explicitation. Cependant, dans la mesure où par la mise à découvert du sens de l’être et des structures fondamentales du Dasein en général est ouvert l’horizon de toute recherche ontologique ultérieure sur l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), cette herméneutique devient en même temps « herméneutique » au sens de l’élaboration des conditions de possibilité de toute recherche ontologique. Et pour autant, enfin, que le Dasein a la primauté ontologique sur tout étant – en tant qu’il est dans la possibilité de l’existence -, l’herméneutique en tant qu’explicitation (38) de l’être du Dasein reçoit un troisième sens spécifique, à savoir le sens, philosophiquement premier, d’une analytique de l’existentialité, de l’existence. Dans cette herméneutique, en tant qu’elle élabore ontologiquement l’historialité du Dasein comme la condition ontique de possibilité de la recherche historique, s’enracine par conséquent ce qui n’est nommé que dérivativement « herméneutique » : la méthodologie des sciences historiques de l’esprit. EtreTemps7
Le Dasein se détermine à chaque fois en tant qu’étant à partir d’une possibilité qu’il est et qu’en son être il comprend d’une manière ou d’une autre. Tel est le sens formel de la constitution d’existence du Dasein. Or il en résulte, pour l’interprétation ontologique de cet étant, la consigne de développer la problématique de son être à partir de l’existentialité de son existence. Ce qui toutefois ne peut pas signifier une construction du Dasein à partir d’une idée concrète possible de l’existence. Le Dasein ne doit justement pas, au départ de l’analyse, être interprété selon la différenciation caractéristique d’un exister déterminé, mais mis à découvert dans l’indifférence de son de-prime-abord-et-le-plus-souvent. Cette indifférence de la quotidienneté (Alltäglichkeit) du Dasein n’est pas rien, mais un caractère phénoménal positif de cet étant. C’est en provenance de ce mode d’être et en retournant à lui que tout exister est comme il est. Cette indifférence quotidienne (alltäglich) du Dasein, nous l’appelons médiocrité. EtreTemps9
Mais la quotidienneté (Alltäglichkeit) médiocre du Dasein ne doit pas être prise pour un simple « aspect ». Même en elle, et même dans le mode de l’inauthenticité, se trouve a priori la structure de l’existentialité. Même en elle il y va pour le Dasein, selon une guise déterminée, de son être, auquel il se rapporte sur le mode de la quotidienneté (Alltäglichkeit) médiocre, fût-ce seulement sur le mode de la fuite devant et de l’oubli de cet être. EtreTemps9
Tous les éléments d’explication apportés par l’analytique du Dasein sont conquis du point de vue de sa structure d’existence. Comme ils se déterminent à partir de l’existentialité, nous appelons les caractères d’être du Dasein des existentiaux. Ils doivent être nettement séparés des déterminations d’être propres à l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig), et que nous nommons catégories. Cette dernière expression est alors reprise et maintenue dans sa signification ontologique primaire. L’ontologie antique prend pour sol exemplaire de son explicitation de l’être l’étant qui fait encontre à l’intérieur du monde. Le mode d’accès à cet étant est le noein, ou le logos. C’est en lui que l’étant fait encontre. Mais l’être de cet étant doit devenir saisissable en un legein (faire-voir) privilégié, de telle manière que cet être devienne d’emblée intelligible comme ce qu’il est – ce qu’il est déjà en tout étant. EtreTemps9
Dans un langage ontique, nous prenons parfois l’expression « comprendre quelque chose » au sens de : « s’entendre à quelque chose », c’est-à-dire « pouvoir y faire face », « savoir se tirer d’affaire ». Or ce qui est ainsi « pu » ou « su » dans le comprendre en tant qu’existential, ce n’est pas un « quelque chose », c’est l’être comme exister. Le comprendre inclut existentialement le mode d’être du Dasein comme pouvoir-être. Le Dasein n’est pas un sous-la-main qui posséderait de surcroît le don de pouvoir quelque chose, mais il est primairement possibilité. Le Dasein est à chaque fois ce qu’il peut être et la manière même dont il est sa possibilité. L’être-possible essentiel du Dasein concerne les guises – plus haut caractérisées – de la préoccupation (Besorgen) pour le « monde », de la sollicitude (Fürsorge) envers les autres, et, toujours déjà impliqué dans tout cela, le pouvoir-être pour lui-même, vers lui-même, en-vue-de lui-même. L’être-possible que le Dasein est à chaque fois existentialement se distingue aussi bien de la possibilité vide, logique que de la contingence d’un sous-la-main considéré selon que ceci ou cela peut lui « arriver ». En tant que catégorie modale de l’être-sous-la-main, la possibilité signifie ce qui n’est pas encore effectif et pas toujours nécessaire. Une telle possibilité caractérise le seulement possible. Ontologiquement, elle est inférieure à l’effectivité et à la nécessité. La possibilité comme existential, au contraire, est la déterminité (Bestimmtheit) (144) ontologique positive la plus originaire et ultime du Dasein. De prime abord, comme l’existentialité en général, elle ne peut qu’être préparée en tant que problème. Or justement, ce qui offre le sol phénoménal sur lequel il est en général possible de l’apercevoir, c’est le comprendre comme pouvoir-être ouvrant. EtreTemps31
En tant que constitution existentiale de l’ouverture du Dasein, le parler est constitutif de son existence. À la parole en tant que parler (redenden Sprechen) appartiennent à titre de possibilités l’entendre et le faire-silence. C’est dans ces phénomènes que la fonction constitutive du parler pour l’existentialité de l’existence achève de se manifester complètement. Mais pour l’instant, il nous incombe de dégager la structure du parler en tant que tel. EtreTemps34
Toutefois, cette mise en lumière de l’échéance ne dégage-t-elle pas un phénomène contraire à la détermination qui nous a servi à indiquer l’idée formelle d’existence ? Le Dasein peut-il être conçu comme l’étant dans l’être duquel il y va du pouvoir-être si cet étant, en sa quotidienneté (Alltäglichkeit), s’est précisément perdu, et si, dans l’échéance, il « vit » écarté de soi ? Réponse : l’échéance sur le monde ne peut devenir une « preuve » phénoménale contre l’existentialité du Dasein que si celui-ci est posé comme Moi-sujet isolé, comme un point d’identité dont il s’écarterait. Car le monde devient alors un objet ; alors, l’échéance sur lui est ontologiquement mésinterprétée en être-sous-la-main selon la guise propre à un étant intramondain. Si au contraire nous maintenons l’être du Dasein dans sa constitution d’être-au-monde (In-der-Welt-sein), il devient manifeste que l’échéance, comme mode d’être de cet être-à, apporte bien plutôt la preuve la plus élémentaire à l’appui de l’existentialité du Dasein. Dans l’échéance, il n’y va de rien d’autre que du pouvoir-être-au-monde (In-der-Welt-sein), même si c’est sur le mode de l’inauthenticité. Le Dasein ne peut échoir (verfallen) que parce qu’il y va pour lui de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) compréhensif et affecté. Inversement, l’existence authentique n’est pas quelque chose qui flotte au-dessus de la quotidienneté (Alltäglichkeit) échéante : existentialement, elle n’est qu’une saisie modifiée de celle-ci. EtreTemps38
Le Dasein existe facticement. Le questionnement porte sur l’unité ontologique de l’existentialité et de la facticité, ou sur l’appartenance essentielle de celle-ci à celle-là. Le Dasein, sur la base de l’affection qui lui appartient essentiellement, a un mode d’être où il est placé devant lui-même et où son être-jeté lui est ouvert. Mais l’être-jeté est le mode d’être d’un étant qui est à chaque fois lui-même ses possibilités, de telle manière qu’il se comprend dans et partir d’elles (se projette vers elles). L’être-au-monde (In-der-Welt-sein), auquel l’être auprès de l’à-portée-de-la-main appartient tout aussi originairement que l’être-avec (Mitsein) avec autrui, est à chaque fois en-vue-de lui-même. Mais le Soi-même est de prime abord et le plus souvent inauthentique – le On (das Man)-même. L’être-au-monde (In-der-Welt-sein) est toujours déjà échu. La quotidienneté (Alltäglichkeit) médiocre du Dasein peut par conséquent être déterminée comme l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) échéant-ouvert, jeté-projetant, pour lequel il y va, en son être auprès du « monde » et en l’être-avec (Mitsein) avec autrui, du pouvoir-être le plus propre lui-même. EtreTemps39
Pour saisir ontologiquement la totalité du tout structurel du Dasein, nous devons d’abord poser la question suivante : le phénomène de l’angoisse, avec ce qui s’ouvre en lui, est-il capable de nous donner phénoménalement le tout du Dasein de manière suffisamment cooriginaire pour que le regard qui en cherche la totalité puisse se remplir dans cette donnée ? La réalité globale de ce que cette donnée inclut peut être enregistrée dans l’énumération formelle suivante : le s’angoisser est, en tant qu’affection, une guise de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) ; le devant-quoi de l’angoisse est l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) jeté; le en-vue-de-quoi de l’angoisse est le pouvoir-être-au-monde (In-der-Welt-sein). Par suite, le phénomène plein de l’angoisse manifeste le Dasein comme être-au-monde (In-der-Welt-sein) existant facticement. Les caractères ontologiques fondamentaux de cet étant sont l’existentialité, la facticité et l’être-échu. Ces déterminations existentiales n’appartiennent pas comme des morceaux à une totalité à laquelle l’un d’entre eux pourrait parfois faire défaut, mais en elles règne une connexion originaire qui constitue la totalité cherchée du tout structurel. Dans l’unité des déterminations d’être citées du Dasein, l’être de celui-ci devient comme tel ontologiquement saisissable. Comment cette unité elle-même doit-elle être caractérisée ? EtreTemps41
(193) Que l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) soit essentiellement souci, c’est la raison pour laquelle, dans des analyses antérieures, nous avons pu saisir l’être auprès de l’à-portée-de-la-main comme préoccupation (Besorgen) et l’être avec l’être-Là-avec (Mitdasein) d’autrui tel qu’il fait encontre à l’intérieur du monde comme sollicitude (Fürsorge). Si l’être-auprès… est préoccupation (Besorgen), c’est parce que, en tant que guise de l’être-à, il est déterminé par la structure fondamentale de celui-ci, par le souci. Le souci ne caractérise pas simplement, par exemple, l’existentialité coupée de la facticité et de l’échéance, mais il embrasse l’unité de ces déterminations d’être. Par suite, le souci ne désigne pas non plus primairement et exclusivement un comportement isolé du Moi vis-à-vis de lui-même. Parler de « souci de soi » par analogie à la préoccupation (Besorgen) et à la sollicitude (Fürsorge) serait une tautologie. Le souci ne peut pas désigner un comportement particulier vis-à-vis du Soi-même, parce que celui-ci est déjà caractérisé ontologiquement par l’être-en-avant-de-soi, mais, dans cette détermination, les deux autres moments structurels du souci, l’être-déjà-dans… et l’être-auprès… sont eux aussi conjointement posés. EtreTemps41
La dépendance citée de l’être, non pas de l’étant, vis-à-vis de la compréhension de l’être, autrement dit la dépendance de la réalité, non pas du réel, vis-à-vis du souci, préserve la suite de l’analytique du Dasein d’une interprétation non critique, et pourtant constamment tentante, du Dasein au fil conducteur de l’idée de réalité. Seule l’orientation sur l’existentialité interprétée ontologiquement de façon positive apporte la garantie qu’un quelconque sens, fût-il indifférent, de la réalité ne sera pas replacé au fondement lors du cours factice de l’analyse de la « conscience (Gewissen) » ou de la « vie ». EtreTemps43
Que l’étant qui a le mode d’être du Dasein ne puisse être conçu à partir de la réalité et de la substantialité, nous l’avons exprimé dans cette thèse : la substance de l’homme est l’existence. Toutefois, l’interprétation de l’existentialité comme souci et la délimitation de celle-ci par rapport à la réalité ne signifient pas que l’analytique existentiale est finie, mais ne font ressortir qu’avec plus d’acuité les enchevêtrements problématiques contenus dans la question de l’être et de ses modes possibles, et du sens de telles modifications : c’est seulement si la compréhension d’être est que de l’étant devient accessible comme étant ; c’est seulement si est un étant ayant le mode d’être du Dasein que la compréhension d’être est possible en tant qu’étant. EtreTemps43
Qu’en est-il donc de la pré-vision (Vor-sicht) qui a guidé jusqu’ici la démarche ontologique ? Nous avons déterminé l’idée d’existence comme pouvoir-être compréhensif pour lequel il y va de son être même. Mais, en tant qu’à chaque fois mien, le pouvoir-être est libre pour l’authenticité ou l’inauthenticité ou l’indifférence modale des deux (NA: Cf. supra, §9 (EtreTemps9), p. 41 sq.). L’interprétation antérieure, qui prenait son point de départ dans la quotidienneté (Alltäglichkeit) médiocre, s’en est tenue à l’analyse de l’exister indifférent ou inauthentique. Sans doute, sur ce chemin déjà, il a été possible et même nécessaire d’atteindre une détermination concrète de l’existentialité de (233) l’existence. Néanmoins la caractérisation ontologique de la constitution de l’existence demeurait grevée d’un défaut essentiel. Car existence signifie pouvoir-être – mais aussi pouvoir-être authentique. Tant que la structure existentiale du pouvoir-être authentique n’est pas reprise dans l’idée d’existence, la pré-vision (Vor-sicht) guidant une interprétation existentiale manque encore et toujours d’originarité. EtreTemps45
Or le fondement ontologique originaire de l’existentialité du Dasein est la temporalité. EtreTemps45
La conscience (Gewissen) con-voque le Soi-même du Dasein hors de la perte dans le On (das Man). Le Soi-même ad-voqué demeure indéterminé et vide en son « quid ». Comme quoi le Dasein se comprend-il de prime abord et le plus souvent dans son explicitation à partir de ce dont il se préoccupe, cela, l’appel le passe. Et pourtant, le Soi-même n’en est pas moins univoquement, directement atteint. Non seulement l’ad-voqué est visé par l’appel « sans acception de personne », mais l’appelant lui-même se tient dans une indétermination frappante. Aux questions concernant le nom, l’état, la provenance, la considération, non seulement il refuse toute réponse, mais encore, bien qu’il ne se déguise nullement dans l’appel, il ne livre pas la moindre possibilité de le rendre familier à une compréhension du Dasein qui est orientée de façon « mondaine ». L’appelant de l’appel – ceci appartient à son caractère phénoménal – tient absolument éloignée de lui toute familiarité. Il est contraire à la modalité de son être de (275) se laisser attirer dans le champ d’une considération et d’une discussion. L’indéterminité (Bestimmtheit) et l’indéterminabilité spécifique de l’appelant n’est pas rien, mais un privilège positif. Elle annonce que l’appelant ne surgit que dans le con-voquer à…, qu’il ne veut être entendu, sans supplément de bavardage (Gerede), que comme tel. Dès lors, n’est-il pas conforme au phénomène que la question même de savoir qui est l’appelant demeure tue ? Certes, en ce qui concerne l’entendre existentiel de l’appel factice de la conscience (Gewissen), mais non pas cependant pour l’analyse existentiale de la facticité de l’appeler et de l’existentialité de l’entendre. EtreTemps57
Le pour-quoi de la résolution est ontologiquement pré-dessiné dans l’existentialité du Dasein en général comme pouvoir-être selon la guise de la sollicitude (Fürsorge) préoccupée. Mais en tant que souci, le Dasein est déterminé par la facticité et par l’échéance. Ouvert en son « Là », il se tient cooriginairement dans la vérité et la non-vérité (NA: Cf. supra, §44 (EtreTemps44), p. 222.). Or autant vaut justement « à (299) proprement parler » de la résolution comme vérité authentique. Elle s’approprie authentiquement la non-vérité. Le Dasein est à chaque fois déjà, et par suite il est peut-être de nouveau dans l’ir-résolution. Ce dernier titre exprime seulement le phénomène qui a été auparavant interprété comme être-livré à l’explicitation régnante du On. Le Dasein en tant que On-même est « porté » par l’équivoque d’entendement de la publicité, où personne ne se résout, et qui pourtant a toujours déjà tranché. La résolution veut dire : se-laisser-con-voquer hors de la perte dans le On (das Man). L’ir-résolution du On, néanmoins, demeure souveraine – à ceci près qu’elle ne peut plus entamer l’existence résolue. L’ir-résolution, en tant que contre-concept de la résolution comprise existentialement, ne désigne pas une propriété ontico-psychique, une charge d’inhibitions par exemple. Même la décision demeure assignée au On et à son monde. Comprendre cela appartient également à ce qu’elle ouvre, dans la mesure où la résolution est ce qui donne pour la première fois au Dasein sa translucidité authentique. Dans la résolution, il y va pour le Dasein de son pouvoir-être le plus propre, lequel, en tant que jeté, ne peut se projeter que vers des possibilités factices déterminées. La décision ne se soustrait pas à l’« effectivité », mais découvre pour la première fois le possible factice, et cela en s’en emparant de la manière dont elle le peut en tant que pouvoir-être le plus propre dans le On (das Man). La déterminité (Bestimmtheit) existentiale du Dasein résolu à chaque fois possible embrasse les moments constitutifs de ce phénomène existential – omis jusqu’ici – que nous appelons la situation. EtreTemps60
Avec la résolution devançante, le Dasein a été rendu visible phénoménalement quant à son authenticité et totalité possibles. La situation herméneutique où nous nous trouvions auparavant (NA: Cf. supra, §45 (EtreTemps45), p. 232.), et qui demeurait insuffisante pour l’explicitation du sens d’être du souci, a obtenu maintenant l’originarité requise. Le Dasein est désormais porté originairement, c’est-(311) à-dire en son pouvoir-être-tout authentique, à la pré-acquisition ; la pré-vision (Vor-sicht) directrice, l’idée d’existence, a reçu de la clarification du pouvoir-être le plus propre sa déterminité (Bestimmtheit) ; avec la structure d’être concrètement élaborée du Dasein, sa spécificité ontologique par rapport à tout étant sous-la-main est devenue si nette que l’anti-cipation de l’existentialité du Dasein possède une articulation suffisante pour guider avec sûreté l’élaboration conceptuelle des existentiaux. EtreTemps63
Certes, mais où faut-il aller chercher ce qui constitue l’existence « authentique » du Dasein ? Sans une compréhension existentielle, toute analyse de l’existentialité demeure bel et bien dépourvue de sol. N’y a-t-il pas, à la base de l’interprétation exposée de l’authenticité et de la totalité du Dasein, une conception ontique de l’existence, qui, en tout état de cause, ne saurait être obligatoire pour tout un chacun ? Jamais l’interprétation existentiale ne prétendra faire acte d’autorité sur des possibilités et des obligations existentielles – mais n’est-elle pas quand même tenue de se justifier quant aux possibilités existentielles qui lui servent à fournir à l’interprétation ontologique son sol ontique ? Si l’être du Dasein est essentiellement pouvoir-être et être-libre pour ses possibilités les plus propres, et s’il n’existe jamais que dans la liberté pour elles – ou dans la non-liberté vis-à-vis d’elles -, l’interprétation ontologique peut-elle faire autrement que de poser à son fondement des possibilités ontiques (des guises du pouvoir-être) et de projeter celles-ci vers leur possibilité ontologique ? Et s’il est vrai que le Dasein, le plus souvent, s’explicite à partir de sa perte dans la préoccupation (Besorgen) pour le « monde », la détermination des possibilités ontico-existentielles conquise à contre-courant de cette tendance et l’analyse existentiale fondée sur cette détermination n’est-elle pas la seule (313) manière d’ouvrir cet étant qui lui soit adéquate ? La violence du projet ne devient-elle pas alors libération de la réalité phénoménale non-déguisée du Dasein ? EtreTemps63
Voilà qui peut suffire pour clarifier le sens existential de la situation herméneutique d’une analytique originaire du Dasein. Grâce au dégagement de la résolution devançante, le Dasein a été porté à la pré-acquisition du point de vue de sa totalité authentique. L’authenticité du pouvoir-être-Soi-même procure la pré-vision (Vor-sicht) sur l’existentialité originaire, et celle-ci assure la formation de la conceptualité existentiale adéquate. EtreTemps63
L’unité des moments constitutifs du souci, c’est-à-dire de l’existentialité, de la facticité et de l’être-échu, a rendu possible la première délimitation ontologique de la totalité du tout structurel du Dasein. La structure du souci a été portée à la formule existentiale suivante : (317) être-déjà-en-avant-de-soi-dans (un monde) en tant qu’être-auprès (de l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde). La totalité de la structure du souci ne procède nullement d’un accouplement de ces deux éléments, et pourtant elle est articulée (NA: Cf. supra, §41 (EtreTemps41), p. 191 sq.). Nous avons dû apprécier en quelle mesure ce résultat ontologique satisfaisait aux requêtes d’une interprétation originaire du Dasein (NA: Cf. supra, §45 (EtreTemps45), p. 231 sq.). Et ce qu’a établi cette méditation, c’est que ni le Dasein en son tout ni son pouvoir-être authentique n’avait encore été pris pour thème. Néanmoins, notre tentative de saisir phénoménalement le Dasein total a semblé justement échouer sur la structure du souci. Le en-avant-de-soi se donnait à nous comme un ne-pas-encore. Le en-avant-de-soi caractérisé au sens d’un excédent, cependant, s’est dévoilé à la considération authentiquement existentiale comme être pour la fin que tout Dasein est dans le fond de son être. De même, nous avons montré que le souci, dans l’appel de la conscience (Gewissen), con-voque le Dasein à son pouvoir-être le plus propre. La compréhension de l’ad-vocation (An-ruf) s’est manifestée – comprise originairement – comme résolution devançante, laquelle renferme en soi un pouvoir-être-tout authentique du Dasein. La structure du souci ne parle pas contre un être-tout possible, mais elle est la condition de possibilité d’un tel pouvoir-être existentiel. Au cours de l’analyse, il est apparu clairement que dans le phénomène du souci sont ancrés les phénomènes existentiaux de la mort, de la conscience (Gewissen) et de la dette. L’articulation de la totalité du tout structurel est devenue encore plus riche, et, du même coup, la question existentiale de l’unité de cette totalité encore plus urgente. EtreTemps64
L’éclaircissement de l’existentialité du Soi-même prendra son point de départ « naturel » dans l’auto-explicitation quotidienne (alltäglich) du Dasein, qui s’ex-prime sur « soi-même » dans le dire-Je. Un ébruitement phonique n’est alors nullement nécessaire. Par « Je », cet étant se vise lui-même. La teneur de cette expression passe pour absolument simple. Ce qu’elle désigne, c’est à chaque fois moi, et rien d’autre. Muni de cette simplicité, le « Je » n’est pas non plus la détermination d’autres choses, il n’est pas lui-même prédicat, mais le « sujet » absolu. Ce qui est ex-primé et interpellé dans le dire-Je est toujours rencontré comme se maintenant le même. Les caractères de la « simplicité », de la « substantialité », et de la « personnalité », que Kant, par exemple, met à la base de sa doctrine des « Paralogismes de la raison pure » (NA: Cf. Kritik der reinen Vernunft, B 399, et surtout la version de la première édition, A 348 sq.) procèdent d’une expérience pré-phénoménologique authentique. La question reste seulement de savoir si ce qui est ainsi ontiquement expérimenté peut être ontologiquement interprété à l’aide des « catégories » citées. EtreTemps64
Du reste, l’interprétation ontologique du « Je » ne saurait obtenir la solution du problème en se bornant à refuser de suivre le dire-Je quotidien (alltäglich) : bien plutôt doit-elle pré-dessiner tout d’abord la direction dans laquelle le questionnement doit se poursuivre. Le Je désigne l’étant que l’on est en « étant-au-monde ». Mais l’être-déjà-dans-un-monde en tant qu’être-auprès-de-l’à-portée-de-la-main intramondain signifie cooriginairement un en-avant-de-soi. « Je » désigne l’étant pour lequel il y va de l’être de l’étant qu’il est. Avec le « Je », c’est le souci qui s’exprime – de prime abord et le plus souvent dans le dire-Je « fugace » de la préoccupation (Besorgen). Si le On (das Man)-même dit le plus bruyamment et le plus fréquemment Je-Je, c’est parce que fondamentalement il n’est pas authentiquement lui-même, et qu’il se dérobe au pouvoir-être authentique. Cependant, si la constitution ontologique du Soi-même ne se laisse reconduire ni à un Moi-substance, ni à un « sujet », et si c’est à l’inverse le dire-Je-Je quotidien (alltäglich)-fugace qui doit être compris à partir du pouvoir-être authentique, de là ne suit pas encore la thèse selon laquelle le Soi-même serait le fondement constamment sous-la-main du souci. L’ipséité ne peut être déchiffrée existentialement que sur le pouvoir-être-Soi-même authentique, c’est-à-dire sur l’authenticité de l’être du Dasein comme souci. C’est de celle-ci que la constance propre au Soi-même, en tant que prétendue permanence du sujet, reçoit son éclaircissement. Mais en même temps le phénomène du pouvoir-être authentique ouvre le regard au maintien du Soi-même au sens de l’avoir-conquis-sa-tenue. Le maintien du Soi-même au double sens de la solidité et de la « constance » est la contre-possibilité authentique de l’absence de maintien de l’échéance ir-résolue. Le maintien du Soi-même (autonomie) ne signifie existentialement rien d’autre que la résolution devançante. La structure ontologique de celle-ci dévoile l’existentialité de l’ipséité du Soi-même. EtreTemps64
Bien loin que le souci ait besoin d’être fondé dans un Soi-même, c’est l’existentialité comme constituant du souci qui livre la constitution ontologique du maintien du Soi-même du Dasein, à laquelle, conformément à la pleine teneur structurelle du souci, appartient l’être-échu factice dans l’absence de maintien du Soi-même. La structure du souci pleinement conçue inclut le phénomène de l’ipséité. La clarification de ce phénomène s’accomplira sous la forme d’une interprétation du sens de ce souci qui nous a servi à déterminer la totalité d’être du Dasein. EtreTemps64
Le en-avant-de-soi se fonde dans l’avenir. L’être-déjà-dans annonce en lui-même l’être-été. L’être-auprès… est rendu possible dans le présentifier. Néanmoins il nous est ici interdit, d’après ce qui vient d’être dit, de saisir le « avant » du « en-avant » et le « déjà » à partir de la compréhension vulgaire du temps. Le « en-avant » ne désigne pas un « devant » au sens du « maintenant-pas-encore… mais plus tard »; tout aussi peu le « déjà » signifie-t-il un « plus-maintenant… mais plus tôt ». Si les expressions « en-avant » et « déjà » avaient cette signification temporelle – que du reste elles peuvent aussi avoir -, parler de temporalité du souci reviendrait à dire qu’il est quelque chose qui est tout à la fois « plus tôt » et « plus tard », « pas encore » et « plus ». Le souci serait alors conçu comme un étant qui survient et se déroule « dans le temps ». L’être d’un étant avant le caractère du Dasein deviendrait un sous-la-main. Or si c’est là chose impossible, il faut que la signification temporelle des expressions citées soit autre. Le « avant » du « en-avant » indique l’avenir tel qu’il rend en général pour la première fois possible que le Dasein soit de telle manière qu’il y aille pour lui de son pouvoir-être. Le se-projeter, fondé dans l’avenir, vers le « en-vue-de soi-même » est un caractère d’essence de l’existentialité. Le sens primaire de celle-ci est l’avenir. (328) De même, le « déjà » désigne le sens d’être temporel existential de l’étant qui, pour autant qu’il est, est à chaque fois déjà jeté. C’est seulement parce que le souci se fonde dans l’être-été que le Dasein peut exister comme l’étant jeté qu’il est. « Aussi longtemps que » le Dasein existe facticement, il n’est jamais passé, mais il est bel et bien toujours déjà été au sens du «je suis-été ». Et il ne peut être été qu’aussi longtemps qu’il est. Nous qualifions au contraire de passé un étant qui n’est plus sous-la-main. Par suite, le Dasein, tandis qu’il existe, ne peut jamais se constater comme un fait sous-la-main qui naît et passe « avec le temps » et qui est déjà partiellement passé. Le Dasein ne « se trouve » jamais que comme fait jeté. Dans l’affection, le Dasein est assailli par lui-même comme l’étant que, étant encore, il était déjà, c’est-à-dire qui est constamment été. Le sens existential primaire de la facticité réside dans l’être-été. Par les expressions « en-avant » et « déjà », notre formulation de la structure du souci indique le sens temporel de l’existentialité et de la facticité. EtreTemps65