La « préoccupation (Besorgen) » pour la nourriture et le vêtement, les soins donnés au corps malade sont eux aussi sollicitude (Fürsorge). Toutefois, nous comprenons cette expression, comme c’était le cas pour notre usage terminologique de la « préoccupation (Besorgen) », comme un existential. La sollicitude (Fürsorge) sous la forme factice et sociale de l’« assistance », par exemple, se fonde dans la constitution d’être du Dasein comme être-avec (Mitsein). Son urgence factice est motivée par le fait que le Dasein se tient de prime abord et le plus souvent dans les modes déficients de la sollicitude (Fürsorge). Être pour, contre, sans… les uns les autres, passer indifféremment les uns à côté des autres, ce sont là des guises possibles de la sollicitude (Fürsorge). Et précisément, les modes cités en dernier lieu de la déficience et de l’indifférence caractérisent l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich) et moyen. Ces modes d’être manifestent derechef le caractère de non-imposition et d’« évidence » qui échoit tout aussi bien à l’être-Là-avec (Mitdasein) quotidien (alltäglich) intramondain d’autrui qu’à l’être-à-portée-de-la-main de l’outil (Zeug) dont on se préoccupe chaque jour. Ces modes indifférents de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) peuvent aisément conduire l’interprétation ontologique à expliciter de prime abord cet être au sens du pur être-sous-la-main de plusieurs sujets. Apparemment, il ne s’agit que de variantes infimes de ce même mode d’être, et pourtant, entre la survenance ensemble « indifférente » de choses quelconques et l’indifférence propre à des étants qui sont l’un avec (122) l’autre, la différence est essentielle. EtreTemps26
C’est entre ces deux extrêmes de la sollicitude (Fürsorge) positive – la sollicitude (Fürsorge) substitutive-dominatrice et la sollicitude (Fürsorge) devançante-libérante – que se tient l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich) ; en ce qui concerne les diverses formes mixtes qu’il peut présenter, leur description et leur classification déborde les limites de notre recherche. (123) De même que la circon-spection appartient à la préoccupation (Besorgen) comme modalité de la découverte de l’à-portée-de-la-main, de même la sollicitude (Fürsorge) est guidée par l’égard et par l’indulgence. Tous deux peuvent, conjointement à la sollicitude (Fürsorge), parcourir les modes déficients et indifférents correspondants, jusqu’à atteindre l’indiscrétion ou une tolérance faite de pure indifférence. EtreTemps26
Le Dasein propre aussi bien que l’être-Là-avec (Mitdasein) d’autrui fait encontre de prime abord et le plus souvent à partir du monde commun (Mitwelt) tel qu’il est objet de préoccupation (Besorgen) dans le monde ambiant. Dans son identification au monde de la préoccupation (Besorgen), autrement dit en même temps à l’être-avec (Mitsein) pour les autres, le Dasein n’est pas lui-même. Qui est-ce alors qui a assumé l’être en tant qu’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich) ? EtreTemps26
Or ce distancement (Abständigkeit) inhérent à l’être-avec (Mitsein) implique ceci : le Dasein, en tant qu’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich), se tient sous l’emprise d’autrui. Ce n’est pas lui-même qui est, les autres lui ont ôté l’être. La discrétion des autres dispose des possibilités quotidiennes (alltäglich) d’être du Dasein. Ces autres ne sont pas alors des autres déterminés. Au contraire, tout autre peut les représenter. L’essentiel, c’est seulement cette domination d’autrui, qui, sans s’imposer a toujours déjà été secrètement acquise par le Dasein comme être-avec (Mitsein). L’on appartient soi-même aux autres, et l’on consolide leur puissance. Ce sont « les autres », comme on les appelle pour masquer sa propre appartenance essentielle à eux, qui, de prime abord et le plus souvent, « sont-là » dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich). Le qui n’est alors ni celui-ci, ni celui-là, ni soi-même, ni quelques-uns, ni la somme de tous. Le « qui » est le neutre, le On (das Man). EtreTemps27
Si l’être de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich), qui apparemment se rapproche ontologiquement du pur être-sous-la-main, s’en distingue en réalité fondamentalement, il sera encore plus impossible de comprendre l’être du Soi-même authentique comme être-sous-la-main. L’être-Soi-même authentique ne repose pas sur un état d’exception du sujet dégagé du On, mais il est une modification existentielle du On comme existential essentiel. EtreTemps27
Au fur et à mesure que fait encontre, dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich), ce qui est accessible à tous et sur quoi tout le monde peut dire quelque chose, il devient de plus en plus impossible de décider ce qui est ouvert dans un comprendre authentique et ce qui ne l’est pas. Cette équivoque ne s’étend pas seulement au monde, mais tout aussi bien à l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) comme tel, et même à l’être du Dasein pour (zu) lui-même. EtreTemps37
La publicité de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich) « connaît » la mort comme un accident (253) survenant constamment, comme décès (Ableben) (Ableben) annoncé. Tel ou tel, proche ou éloigné, « meurt ». Des inconnus « meurent » chaque jour, à chaque heure. « La mort » fait encontre comme un événement bien connu, survenant à l’intérieur du monde. Comme telle, elle demeure dans la non-imposition (NA: Cf. supra, §16 (EtreTemps16), p. 72 sq.) caractéristique de tout ce qui fait quotidienne (alltäglich)ment encontre. Et le On (das Man) s’est toujours déjà assuré d’une explicitation de cet événement. Ce que veut dire à ce sujet le discours « passager », qu’il soit explicite, ou, comme le plus souvent, retenu, c’est : on finit toujours par mourir un jour, mais de prime abord, le On (das Man)-même demeure hors d’atteinte. EtreTemps51
En tant qu’ouvert, le Dasein existe facticement selon la guise de l’être-avec (Mitsein) avec autrui. Il se tient dans une compréhensivité publique, médiocre. Les « maintenant que… » et les « alors que… » explicités et ex-primés dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich) sont fondamentalement compris, même s’ils ne sont univoquement datés que dans certaines (411) limites. Dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) « prochain », plusieurs peuvent dire ensemble « maintenant », chacun datant alors différemment le « maintenant » qu’il ex-prime maintenant que ceci ou cela se produit. Le « maintenant » ex-primé est dit par chacun dans la publicité de l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein)-au-monde. Le temps explicité, ex-primé de chaque Dasein est par suite aussi à chaque fois déjà publié comme tel sur la base de son être-au-monde (In-der-Welt-sein) ekstatique. Or dans la mesure où la préoccupation (Besorgen) quotidienne (alltäglich) se comprend à partir du « monde » dont elle se préoccupe, elle ne connaît pas le « temps » qu’elle prend comme sien, mais, préoccupée qu’elle est de lui, elle se sert du temps qu’« il y a », avec lequel on compte. Mais la publicité du « temps », au fur et à mesure que le Dasein factice se préoccupe expressément de lui, ne va devenir que plus insistante lorsque celui-ci en tiendra proprement compte. EtreTemps79
Mais où se fonde ce nivellement du temps du monde et ce recouvrement de la temporalité ? Réponse : dans l’être du Dasein lui-même, que nous interprétions provisoirement comme souci (NA: Cf. supra, §41 (EtreTemps41), pp. 191 sq.). Jeté-échéant, le Dasein est de prime abord et le plus souvent perdu dans ce dont il se préoccupe. Mais dans cette perte s’annonce la fuite recouvrante du Dasein devant son existence authentique, qui a été caractérisée comme résolution devançante. Dans la fuite préoccupée est impliquée la fuite devant la mort, c’est-à-dire un détournement du regard de la fin de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) (NA: Cf. supra, §51 (EtreTemps51), pp. 252 sq.). Ce détournement du regard de… est en lui-même un mode de l’être ekstatiquement avenant pour la fin. La temporalité inauthentique du Dasein échéant-quotidien (alltäglich) doit nécessairement, en un tel détournement de la finitude (Endlichkeit), méconnaître l’avenance authentique et, avec elle, la temporalité en général. Et c’est même lorsque la compréhension vulgaire du Dasein est guidée par le On (das Man) que la « représentation » oublieuse de soi de « l’infinité » du temps public peut pour la première fois se consolider. Le On ne meurt jamais, parce qu’il ne peut pas mourir, dans la mesure où la mort est mienne et n’est (425) existentiellement comprise de manière authentique que dans la résolution devançante. Le On, qui ne meurt jamais et mé-comprend l’être pour la fin, n’offre pas moins à la fuite devant la mort une explicitation caractéristique. Jusqu’à la fin, « on a encore le temps ». Ici s’annonce un avoir-le-temps au sens du pouvoir de le perdre « d’abord encore cela, et ensuite… ; plus que cela, et ensuite… » Ici, cependant, ce n’est nullement la finitude (Endlichkeit) du temps qui est comprise : tout au contraire, la préoccupation (Besorgen) s’applique à capturer la plus grande part possible du temps qui vient encore et qui « continue ». Le temps, du point de vue public, est quelque chose que chacun prend et peut prendre. La suite nivelée des maintenant demeure totalement méconnaissable du point de vue de sa provenance à partir de la temporalité du Dasein singulier dans l’être-l’un-avec-l’autre (Miteinandersein) quotidien (alltäglich). Et du reste, comment cela affecterait-il le moins du monde « le temps » en son cours qu’un homme sous-la-main « dans le temps » vienne à ne plus exister ? Le temps suit son cours, tel qu’il « était » aussi déjà lorsqu’un homme est « entré dans la vie ». On ne connaît que le temps public, qui, nivelé, appartient à tous, autant dire à personne. EtreTemps81