Un outil (Zeug), en toute rigueur cela n’existe pas. À l’être de l’outil (Zeug) appartient toujours un complexe d’outils au sein duquel il peut être cet outil (Zeug) qu’il est. L’outil (Zeug) est essentiellement « quelque chose pour… ». Les diverses guises du « pour… » comme le service, l’utilité, l’employabilité ou la maniabilité constituent une totalité d’outils. Dans la structure du « pour… » est contenu un renvoi de quelque chose à quelque chose. Le phénomène indiqué par ce terme ne pourra être manifesté en sa genèse ontologique qu’au cours des analyses qui suivent. Provisoirement, il convient de porter phénoménalement sous le regard une multiplicité de renvois. L’outil (Zeug), conformément à son ustensilité, est toujours par son appartenance à un autre outil (Zeug) : l’écritoire, la plume, l’encre, le papier, le sous-main, la table, la lampe, les meubles, les fenêtres, les portes, la chambre. Ces « choses » ne commencent pas par se montrer pour elles-mêmes, pour constituer ensuite une somme de réalité propre à remplir une chambre. Ce qui fait de prime abord encontre, sans être saisi thématiquement, c’est la chambre, et encore celle-ci n’est-elle pas non plus l’« intervalle de quatre murs » dans un sens spatial géométrique – mais un outil (Zeug) d’habitation. C’est à partir de lui que se montre (69) l’« aménagement », et c’est en celui-ci qu’apparaît à chaque fois tel outil (Zeug) « singulier ». Avant tel ou tel outil (Zeug), une totalité d’outils est à chaque fois déjà découverte. EtreTemps15
Ce rôle prééminent que les signes, au sein de la préoccupation (Besorgen) quotidienne (alltäglich), jouent dans la compréhension du monde, on pourrait être tenté de l’illustrer à partir de l’emploi abondant que le Dasein primitif fait de « signes », par exemple de fétiches et de sorts. Assurément l’institution de signes qui est à la base d’un tel emploi ne s’accomplit point dans une intention théorique, ni par le moyen d’une spéculation théorique. L’emploi des signes demeure alors complètement intérieur à un être-au-monde (In-der-Welt-sein) « immédiat ». Toutefois, à y regarder de plus près, il apparaît qu’une interprétation du fétiche et des sorts qui prendrait pour fil conducteur l’idée de signe ne peut absolument pas suffire pour saisir le mode d’« être-à-portée-de-la-main » (82) propre à l’étant qui fait encontre dans le monde primitif. Du point de vue du phénomène du signe, c’est plutôt l’interprétation suivante qui s’imposerait : pour l’homme primitif, le signe coïncide avec le montré. Le signe peut lui-même représenter le montré, non pas seulement en le remplaçant, mais en ce sens que le signe est lui-même toujours le montré. Toutefois, cette coïncidence remarquable du signe avec le montré ne provient nullement de ce que la chose-signe aurait déjà subi une certaine « objectivation », de ce qu’elle serait expérimentée comme pure chose et transportée dans la même région d’être du sous-la-main que le montré. La « coïncidence » en question n’est point l’identification de choses auparavant isolées, elle suppose plutôt que le signe ne s’est pas encore libéré du désigné. Un tel emploi de signes s’identifie encore totalement à l’être du montré, à tel point qu’un signe comme tel ne peut encore absolument pas se dégager. La coïncidence ne se fonde point dans une objectivation première, mais dans son absence totale. Or cela signifie que le signe n’est absolument pas découvert comme outil (Zeug), et, en fin de compte, que l’« à-portée-de-la-main » intramondain n’a absolument pas le mode d’être de l’outil (Zeug). Peut-être même un tel fil conducteur – nous voulons dire l’être-à-portée-de-la-main, l’outil (Zeug) – est-il de nul profit pour une interprétation du monde primitif, et pas davantage du reste l’ontologie de la choséité (Dinglichkeit). Si cependant il demeure vrai qu’une compréhension de l’être est constitutive du Dasein et du monde primitifs, alors le besoin ne s’en fait que plus vivement sentir d’élaborer l’idée « formelle » de la mondanéité (Weltlichkeit), autrement dit d’un phénomène qui soit modifiable en un sens tel que tous les énoncés ontologiques qui prétendent que, dans tel contexte phénoménal prédonné, quelque chose n’est pas encore ou n’est plus ceci ou cela, puissent recevoir un sens phénoménal positif à partir de ce que cette chose n’est pas. EtreTemps17
Si l’être-Là-avec (Mitdasein) demeure existentialement constitutif de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), il doit alors, tout comme l’usage circon-spect de l’à-portée-de-la-main intramondain, que nous caractérisions anticipativement comme préoccupation (Besorgen), être interprété à partir du phénomène du souci, par lequel l’être du Dasein est en général déterminé (cf. le chapitre VI de cette section). Le caractère d’être de la préoccupation (Besorgen) ne peut échoir (verfallen) à l’être-avec (Mitsein), quand bien même ce mode d’être est, comme la préoccupation (Besorgen), un être pour l’étant faisant encontre à l’intérieur du monde. Cependant, l’étant « pour » (envers) lequel le Dasein se comporte en tant qu’être-avec (Mitsein) n’a pas le mode d’être de l’outil (Zeug) à-portée-de-la-main, il est lui-même Dasein. Cet étant n’appelle pas la préoccupation (Besorgen), mais la sollicitude (Fürsorge) (NT: BW traduisaient « assistance ». Mais quoique ce mot Fürsorge soit en effet utilisé couramment en allemand quand on parle d’assistance publique ou sociale, on va voir qu’il n’a pas ici ce sens, étroitement « transitif ». De plus, souci et sollicitude (Fürsorge), ayant même étymologie, reflètent mieux la parenté entre Sorge et Fürsorge. Cette parenté, malheureusement, le français ne nous permettait pas de l’exprimer aussi bien entre souci et préoccupation (Besorgen) (Besorgen).). EtreTemps26
Ce pour-quoi (en-vue-de-quoi) NT: Pour-quoi, en effet, c’est ici Worum, c’est-à-dire le « pour » qui se rapporte au Dasein lui-même, non pas Wozu, le pour-quoi constituant l’être de l’outil (Zeug) ou du rapport à l’outil (Zeug). Le français ne peut ici recourir à deux prépositions différentes, mais les contextes, heureusement, interdisent la confusion. la peur a peur, c’est l’étant même qui a peur : le Dasein. Seul un étant pour lequel en son être il y va de cet être même peut prendre-peur. L’avoir-peur ouvre cet étant dans sa précarité, dans son abandon à lui-même. La peur dévoile toujours, même si c’est avec une netteté variable, le Dasein en l’être de son Là. Que nous puissions avoir peur pour notre maison et nos biens, cela ne constitue point une instance contre la détermination donnée à l’instant du pour-quoi de la peur. Car le Dasein en tant qu’être-au-monde (In-der-Welt-sein) est à chaque fois être-auprès préoccupé. De prime abord et le plus souvent, le Dasein est à partir de ce dont il se préoccupe. La mise en péril de celui-ci est menace sur l’être-auprès. La peur ouvre le plus souvent le Dasein selon une guise privative. Elle égare et fait « perdre la tête ». La peur referme l’être-à mis en péril lors même qu’elle le fait voir, de telle sorte que le Dasein, lorsque la peur a reculé, doit commencer par se retrouver. EtreTemps30