être-à-la-portée-de-la-main

Zuhandenheit

manualidade(SZ)
handiness (BT)

À la quotidienneté (Alltäglichkeit) de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) appartiennent des modes de préoccupation (Besorgen) qui (73) font apparaître l’étant dont le Dasein se préoccupe de manière telle que c’est alors la mondialité (Weltmässigkeit) (NT: « Mondialité » : le mot allemand dit littéralement : conformité au monde, propriété d’être à la mesure du monde. On ne confondra pas cette détermination avec la mondanéité (Weltlichkeit) du Dasein, ou du monde « lui-même ».) de l’intramondain qui vient au paraître. Dans la préoccupation (Besorgen), l’étant de prime abord à-portée-de-la-main peut être rencontré comme inutilisable, comme impropre à son emploi déterminé. L’instrument de travail apparaît endommagé, le matériau inapproprié. L’outil (Zeug), en tout état de cause, demeure alors à-portée-de-la-main : mais ce qui découvre l’inemployabilité, ce n’est pas la constatation avisante de telles ou telles propriétés, mais la circon-spection propre à l’usage qui utilise. En une telle découverte de l’inemployabilité, l’outil (Zeug) s’impose. L’imposition (NT: Imposition, insistance, saturation. BW traduisaient les trois termes allemands employés dans cette page : Auffälligkeit, Aufdringlichkeit, Aufsässigkeit (non néologiques) par « attention », « importunité » et « persévération », ce qui est sans doute plus conforme aux indications du dictionnaire, mais non pas à l’esprit de la présente analyse, dans la mesure où ces trois déterminations concernent moins l’« expérience » de l’outil (Zeug) par le « sujet » que l’outil (Zeug) lui-même selon que, tout en s’effaçant, il apparaît pour la dernière – ou plutôt pour la première – fois. Il faut ici respecter, en d’autres termes, le fait que l’être-sous-la-main, s’il transparaît, ne devient pas pour autant considérativement thématique. Le marteau mal emmanché, le marteau sans clous, le marteau et les clous rencontrant l’obstacle d’un noeud dans le bois, bien loin de retenir mon attention, de m’être importuns, de m’imposer leur persévération – ce qui est évidemment exact, mais secondaire ici – demeurent si bien à-portée-de-la-main que c’est alors justement que leur être-à-portée-de-la-main s’annonce.) donne l’outil (Zeug) à-portée-de-la-main sous la figure d’un certain ne-pas-être-à-portée-de-la-main. Or cela implique ceci : l’inutilisable gît simplement là – il se montre comme chose-outil (Zeug) qui a tel ou tel aspect et qui, en son être-à-portée-de-la-main, manifeste par cet aspect qu’elle était aussi et constamment sous-la-main. Le pur être-sous-la-main s’annonce dans l’outil (Zeug), pour ensuite cependant se retirer à nouveau dans l’être-à-portée-de-la-main d’un étant dont on se préoccupe, en se sens qu’on le remet en état. Cet être-sous-la-main de l’inutilisable n’est pas encore purement et simplement privé de tout être-à-portée-de-la-main, l’outil (Zeug) ainsi sous-la-main n’est pas encore une chose qui surviendrait seulement quelque part. La dégradation de l’outil (Zeug) n’est pas encore un simple changement chosique, une simple mutation de propriétés survenant dans un étant sous-la-main. EtreTemps16

Dans l’imposition, l’insistance et la saturation, l’étant à-portée-de-la-main perd d’une certaine manière son être-à-portée-de-la-main. D’autre part, celui-ci est lui-même compris – quoique non thématiquement – dans l’usage de l’à-portée-de-la-main. Il ne disparaît pas purement et simplement, mais, dans l’imposition de l’inemployable, il prend pour ainsi dire congé. L’être-à-portée-de-la-main se montre encore une fois, et c’est justement alors que se montre aussi la mondialité (Weltmässigkeit) de l’à-portée-de-la-main. EtreTemps16

Que signifie le montrer d’un signe ? La réponse ne peut être obtenue que si nous déterminons le mode d’usage adéquat de l’outil (Zeug) monstratif, ce qui implique de saisir également son être-à-portée-de-la-main de manière authentique. Quel est donc le mode adéquat d’avoir-affaire-avec le signe ? Orientons-nous sur l’exemple cité de la flèche, et nous devons dire ceci : le comportement (être) correspondant au signe tel qu’il fait encontre est l’« écart » ou l’« arrêt » par rapport au véhicule équipé de la flèche. L’écart, en tant qu’il emprunte une certaine direction, appartient essentiellement à l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) du Dasein. Celui-ci est toujours orienté et en chemin d’une certaine manière : s’arrêter et demeurer en place ne sont que des cas-limites de cet « en-chemin » orienté. Le signe s’adresse à un être-au-monde (In-der-Welt-sein) spécifiquement « spatial ». Le signe n’est justement pas proprement « saisi » si nous le fixons du regard, le constatons comme une chose monstrative survenante. Même si nous suivons du regard la direction montrée par la flèche et avisons quelque chose de sous-la-main dans la contrée vers laquelle cette flèche fait signe, le signe ne nous fait pas encontre à proprement parler. Le signe s’adresse à la circon-spection de l’usage préoccupé de manière telle que cette circon-spection, tandis qu’elle suit la consigne de ce signe et l’accompagne, acquière une « vue d’ensemble » expresse sur ce qui constitue à chaque fois l’ambiance du monde ambiant. Cette vue d’ensemble circon-specte ne saisit pas pour autant l’à-portée-de-la-main ; elle obtient bien plutôt une orientation à l’intérieur du monde ambiant. Une autre possibilité d’expérience du signe consiste en ce que la flèche fasse encontre en tant qu’outil (Zeug) appartenant au véhicule ; le caractère spécifique d’outil (Zeug) de la flèche n’a pas alors besoin d’être découvert ; l’indétermination peut demeurer complète quant à ce qu’elle doit montrer, et comment, et pourtant ce qui fait encontre n’est point pure chose. Par opposition à la trouvaille immédiate d’une multiplicité d’outils à bien des égards indéterminée, l’expérience de la chose requiert sa déterminité (Bestimmtheit) propre. EtreTemps17

Cependant, l’institution des signes n’a pas forcément besoin, pour s’accomplir, de produire un outil (Zeug) qui ne serait pas encore à-portée-de-la-main. Des signes peuvent prendre naissance tandis que l’on prend pour signe un étant déjà à-portée-de-la-main. Or dans cette modalité, l’institution des signes dévoile un sens encore plus originel. Car ce n’est pas seulement le montrer qui procure la disponibilité orientée de façon circon-specte d’un ensemble à-portée-de-la-main d’outils et du monde ambiant en général : il se peut même que l’institution des signes les découvre la première. Ce qui est pris comme signe devient tout d’abord accessible par son être-à-portée-de-la-main. Lorsque par exemple dans le travail des champs le vent du sud « vaut » comme signe de la pluie, cette « valeur » particulière, ou en général toute « valeur attachée » à cet étant n’est pas un supplément rajouté à un étant déjà en soi sous-la-main, à savoir le courant atmosphérique et une certaine direction géographique. Le vent du sud n’est jamais de prime abord sous-la-main à titre d’étant survenant sans plus et météorologiquement accessible en tant que tel, qui, après-coup, revêtirait à l’occasion la fonction d’un signe précurseur. C’est bien plutôt la circon-spection propre au travail des (81) champs qui, tenant compte de lui, découvre justement pour la première fois le vent du sud en son être. EtreTemps17

Ce rôle prééminent que les signes, au sein de la préoccupation (Besorgen) quotidienne (alltäglich), jouent dans la compréhension du monde, on pourrait être tenté de l’illustrer à partir de l’emploi abondant que le Dasein primitif fait de « signes », par exemple de fétiches et de sorts. Assurément l’institution de signes qui est à la base d’un tel emploi ne s’accomplit point dans une intention théorique, ni par le moyen d’une spéculation théorique. L’emploi des signes demeure alors complètement intérieur à un être-au-monde (In-der-Welt-sein) « immédiat ». Toutefois, à y regarder de plus près, il apparaît qu’une interprétation du fétiche et des sorts qui prendrait pour fil conducteur l’idée de signe ne peut absolument pas suffire pour saisir le mode d’« être-à-portée-de-la-main » (82) propre à l’étant qui fait encontre dans le monde primitif. Du point de vue du phénomène du signe, c’est plutôt l’interprétation suivante qui s’imposerait : pour l’homme primitif, le signe coïncide avec le montré. Le signe peut lui-même représenter le montré, non pas seulement en le remplaçant, mais en ce sens que le signe est lui-même toujours le montré. Toutefois, cette coïncidence remarquable du signe avec le montré ne provient nullement de ce que la chose-signe aurait déjà subi une certaine « objectivation », de ce qu’elle serait expérimentée comme pure chose et transportée dans la même région d’être du sous-la-main que le montré. La « coïncidence » en question n’est point l’identification de choses auparavant isolées, elle suppose plutôt que le signe ne s’est pas encore libéré du désigné. Un tel emploi de signes s’identifie encore totalement à l’être du montré, à tel point qu’un signe comme tel ne peut encore absolument pas se dégager. La coïncidence ne se fonde point dans une objectivation première, mais dans son absence totale. Or cela signifie que le signe n’est absolument pas découvert comme outil (Zeug), et, en fin de compte, que l’« à-portée-de-la-main » intramondain n’a absolument pas le mode d’être de l’outil (Zeug). Peut-être même un tel fil conducteur – nous voulons dire l’être-à-portée-de-la-main, l’outil (Zeug) – est-il de nul profit pour une interprétation du monde primitif, et pas davantage du reste l’ontologie de la choséité (Dinglichkeit). Si cependant il demeure vrai qu’une compréhension de l’être est constitutive du Dasein et du monde primitifs, alors le besoin ne s’en fait que plus vivement sentir d’élaborer l’idée « formelle » de la mondanéité (Weltlichkeit), autrement dit d’un phénomène qui soit modifiable en un sens tel que tous les énoncés ontologiques qui prétendent que, dans tel contexte phénoménal prédonné, quelque chose n’est pas encore ou n’est plus ceci ou cela, puissent recevoir un sens phénoménal positif à partir de ce que cette chose n’est pas. EtreTemps17

L’interprétation du signe qu’on vient d’exposer était simplement destinée à offrir un point d’appui phénoménal à la caractérisation du renvoi. La relation entre signe et renvoi est triple : 1. Le montrer, en tant que concrétion possible du pour-quoi d’une utilité, est fondé dans la structure d’outil (Zeug) en général, dans le pour… comme tel (le renvoi). 2. Le montrer du signe appartient, en tant que caractère d’outil (Zeug) d’un étant à-portée-de-la-main, à une totalité d’outils, à un complexe de renvois. 3. Le signe n’est pas seulement à-portée-de-la-main avec tel autre outil (Zeug), mais, dans son être-à-portée-de-la-main propre, c’est le monde ambiant qui devient à chaque fois expressément accessible pour la circon-spection. Le signe est un étant ontiquement à-portée-de-la-main qui, en tant que cet outil (Zeug) déterminé, fonctionne en même temps comme quelque chose qui indique la structure ontologique de l’être-à-portée-de-la-main, de la totalité de renvois et de la mondanéité (Weltlichkeit). C’est là que s’enracine le privilège de cet (83) à-portée-de-la-main à l’intérieur du monde ambiant tel que le Dasein s’en préoccupe avec circon-spection. Mais du même coup, le renvoi, s’il doit devenir ontologiquement le fondement du signe, ne peut lui-même être conçu comme signe. Le renvoi n’est pas la déterminité (Bestimmtheit) ontique d’un à-portée-de-la-main, alors qu’il constitue pourtant l’être-à-portée-de-la-main en tant que tel. En quel sens le renvoi est-il alors la « présupposition » ontologique de l’à-portée-de-la-main, et dans quelle mesure, en tant que ce fondement ontologique, est-il en même temps un constituant de la mondanéité (Weltlichkeit) en général ? EtreTemps17

On a indiqué que la constitution d’outil (Zeug) de l’à-portée-de-la-main était le renvoi. Comment le monde peut-il libérer en son être l’étant qui a un tel mode d’être, pourquoi est-ce cet étant qui fait d’abord encontre ? Comme exemples de renvois déterminés, nous avons nommé l’utilité pour…, l’importunité, l’employabilité, etc. Le pour… ou le à… propres à une utilité ou à une employabilité prédessinent à chaque fois la concrétion possible du renvoi. Cependant, le « montrer » du signe, le « marteler » du marteau ne sont pas les propriétés de l’étant. Ils ne sont même pas des propriétés du tout, si ce terme doit désigner la structure ontologique d’une déterminité (Bestimmtheit) possible de choses. Sans doute l’à-portée-de-la-main a des appropriations et des inappropriations, et ses « propriétés » y sont pour ainsi dire encore liées au même titre que l’être-sous-la-main en tant que mode d’être possible de l’à-portée-de-la-main est lié à son être-à-portée-de-la-main. Cependant, l’utilité (le renvoi) en tant que constitution de l’outil (Zeug) n’est pas non plus une appropriation de l’étant, mais la condition ontologique de possibilité sur la base de laquelle il peut être déterminé par des appropriations. Mais que signifie alors le renvoi ? L’être de l’à-portée-de-la-main a la structure du renvoi, cela veut dire : il a en lui-même le caractère de la référence. L’étant est ainsi découvert que, (84) en tant que l’étant qu’il est, il est référé à quelque chose. Avec lui, il retourne de quelque chose. Le caractère d’être de l’à-portée-de-la-main est la tournure (Bewandtnis). La tournure (Bewandtnis) inclut ceci : laisser retourner de quelque chose avec quelque chose. Le rapport indiqué par cet « avec » et ce « de », voilà ce que le terme de renvoi est chargé d’indiquer. EtreTemps18

La tournure (Bewandtnis), tel est l’être de l’étant intramondain, l’être vers lequel il est à chaque fois déjà de prime abord libéré. Avec lui, en tant qu’étant, il retourne à chaque fois de ceci ou de cela. Cela, avoir une tournure (Bewandtnis), est la détermination ontologique de l’être de cet étant, et non pas un énoncé ontique à son sujet. Ce dont il retourne, voilà le pour-quoi de l’utilité et le à-quoi de l’employabilité. Avec le pour-quoi de l’utilité, il peut derechef retourner de… ; par exemple, avec cet étant à-portée-de-la-main que nous appelons, et pour cause, un marteau, ce dont il retourne, c’est de marteler ; avec ce martèlement, il retourne de consolider une maison ; avec cette consolidation, de se protéger des intempéries ; cette protection « est » en vue de l’abritement du Dasein, autrement dit en vue d’une possibilité de son être. De quoi retourne-t-il avec un étant à-portée-de-la-main, cela est à chaque fois prétracé à partir de la totalité de tournure (Bewandtnis). La totalité de tournure (Bewandtnis) qui, par exemple, constitue en son être-à-portée-de-la-main l’étant à portée de la main dans un atelier, est « antérieure » à l’outil (Zeug) singulier ; de même, autre exemple, celle d’une ferme, avec l’ensemble de son matériel et de ses bâtiments. Mais la totalité de tournure (Bewandtnis) renvoie elle-même en dernière instance à un pour-quoi avec lequel il ne retourne plus de rien – autrement dit qui n’est plus un étant sur le mode d’être de l’à-portée-de-la-main à l’intérieur d’un monde, mais un étant dont l’être est déterminé comme être-au-monde (In-der-Welt-sein), à la constitution d’être duquel la mondanéité (Weltlichkeit) elle-même appartient. Ce pour-quoi primaire n’est plus un pour-cela comme « de » possible d’une tournure (Bewandtnis). Le « pour-quoi » primaire est un en-vue-de-quoi. Mais le en-vue-de concerne toujours l’être du DASEIN, pour lequel en son être il y va toujours essentiellement de cet être. Nous n’avons pas encore à poursuivre plus avant la connexion indiquée, conduisant de la structure de la tournure (Bewandtnis) à l’être du Dasein en tant que en-vue-de-quoi authentique et unique. Préalablement, le « laisser-retourner » exige d’être suffisamment clarifié pour que nous portions le phénomène de la mondanéité (Weltlichkeit) à la déterminité (Bestimmtheit) requise pour pouvoir en général soulever les problèmes qui la concernent. EtreTemps18

L’avoir-toujours-déjà-laissé-retourner qui libère ainsi l’étant à sa tournure (Bewandtnis) est un parfait apriorique qui caractérise le mode d’être du Dasein lui-même. Le laisser-retourner compris ontologiquement est libération préalable de l’étant à son être-à-portée-de-la-main intérieur au monde ambiant. C’est à partir du « de » du laisser-retourner qu’est libéré le « avec » de la tournure (Bewandtnis). À la préoccupation (Besorgen), il fait encontre comme cet à-portée-de-la-main. Pour autant que se montre à elle en général un étant, autrement dit pour autant que celui-ci est découvert en son être, il est à chaque fois déjà de l’à-portée-de-la-main dans le monde ambiant et non pas justement « de prime abord » seulement une « matière universelle » sous-la-main. EtreTemps18

Le comprendre – phénomène que nous aurons à analyser de plus près dans la suite (cf. §31 (EtreTemps31)) – tient les rapports indiqués dans une ouverture préalable. Dans le séjour familier au sein du monde ambiant, il se pro-pose ces rapports comme ce dans quoi son renvoyer se meut. Le comprendre se laisse lui-même renvoyer dans et par ces rapports. Le caractère de rapport de ces rapports du renvoyer, nous le saisissons comme signifier. Dans la familiarité avec ses rapports, le Dasein se « signifie » à lui-même, il se donne originairement son être et son pouvoir-être à comprendre du point de vue de son être-au-monde (In-der-Welt-sein). Le en-vue-de signifie (NT: Le verbe signifier étant ici à prendre au sens actif) un pour…, celui-ci un pour-quoi, celui-ci encore un « de » du laisser-retourner, celui-ci enfin un « avec » de la tournure (Bewandtnis). Ces rapports sont soudés entre eux en une totalité originaire – ils ne sont ce qu’ils sont que comme ce signifier où le Dasein se donne préalablement à lui-même son être-au-monde (In-der-Welt-sein) à comprendre. La totalité de rapports de ce signifier, nous la nommons la significativité (Bedeutsamkeit). Elle est ce qui constitue la structure du monde – de ce où le Dasein comme tel est à chaque fois déjà. Le Dasein est, en sa familiarité avec la significativité (Bedeutsamkeit), la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant qui fait encontre dans un monde sur le mode d’être de la tournure (Bewandtnis) (être-à-portée-de-la-main) et peur ainsi s’annoncer en son être-en-soi. Le Dasein est, en tant que tel, toujours celui-ci ou celui-là ; avec son être est toujours déjà essentiellement découvert un contexte d’étant à-portée-de-la-main – le Dasein, pour autant qu’il est, s’est à chaque fois déjà assigné à un « monde » qui lui fasse encontre, à son être appartient essentiellement cette assignation. EtreTemps18

À l’intérieur du champ de recherches qui est actuellement le nôtre, l’essentiel est de maintenir de manière fondamentale les différences – que nous n’avons cessé de marquer – entre les diverses structures et dimensions de la problématique ontologique : 1. l’être de l’étant intramondain tel qu’il fait de prime abord encontre (être-à-portée-de-la-main) ; 2. l’être de l’’étant (être-sous-la-main) qui devient trouvable et déterminable dans une traversée spécifiquement découvrante de l’étant de prime abord rencontré ; 3. l’être de la condition ontique de possibilité de la découvrabilité de l’étant intramondain en général – la mondanéité (Weltlichkeit) du monde. L’être nommé en dernier lieu est une détermination existentiale de l’être-au-monde (In-der-Welt-sein), c’est-à-dire du Dasein. Quant aux deux premiers concepts de l’être, ce sont des catégories, qui ne concernent que l’étant dont l’être n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). – On peut certes saisir formellement le complexe de renvois qui constitue en tant que significativité (Bedeutsamkeit) la mondanéité (Weltlichkeit) au sens d’un système de relations. Mais il importe seulement d’observer que de telles formalisations nivellent les phénomènes jusqu’à en ruiner la teneur phénoménale authentique, surtout lorsqu’elles s’appliquent à des rapports aussi « simples » que ceux qu’abrite la significativité (Bedeutsamkeit). En leur teneur phénoménale, ces « relations » et ces « relatifs » du pour…, du en-vue-de…, de l’avec… d’une tournure (Bewandtnis) répugnent à toute fonctionnalisation mathématique ; pas davantage ne sont-ils des notions, des fruits de la seule « pensée » : ils sont les rapports où la circon-spection préoccupée en tant que telle séjourne à chaque fois déjà. Ce « système de relation » comme constituant de la mondanéité (Weltlichkeit) volatilise si peu l’être de l’à-portée-de-la-main intramondain que c’est seulement sur la base de la mondanéité (Weltlichkeit) du monde que cet étant est découvrable en son « en soi substantiel ». Et de même c’est seulement si de l’étant intramondain peut en général faire encontre (begegnen) que s’ouvre la possibilité de rendre accessible dans le champ de cet étant le sans-plus-sous-la-main. Ce dernier type d’étant, sur la base de son être-sans-plus-sous-la-main, peut être déterminé mathématiquement en « concepts fonctionnels » du point de vue de ces « propriétés ». Mais des concepts fonctionnels de cette sorte ne sont en général ontologiquement possibles que par rapport à de l’étant dont l’être a le caractère de la pure substantialité : des concepts fonctionnels ne sont jamais possibles que comme concepts substantiels formalisés (NT: Allusion critique au livre d’E. Cassirer, Substanzbegriff und Funktionsbegriff, 1925, traduit en français en 1977 par P. Caussat sous le titre Substance et fonction.). EtreTemps18

Et pourtant, même abstraction faite du problème spécifique du monde, peut-on espérer accéder ontologiquement par cette voie à l’être de l’étant qui fait de prime abord encontre dans le monde ambiant ? En se référant à la choséité (Dinglichkeit) matérielle, n’a-t-on pas déjà posé tacitement un sens de l’être – l’être-sous-la-main chosique constant – auquel l’équipement après coup de l’étant à l’aide de prédicats axiologiques apportera ensuite si peu un complément ontologique que ces caractères de valeur, au contraire, ne demeurent eux-mêmes que des déterminité (Bestimmtheit)s ontiques d’un étant qui a le mode d’être de la chose ? L’ajout de prédicats axiologiques n’est pas le moins du monde capable de nous apporter de nouvelle révélation sur l’être des « biens », s’il est vrai qu’il ne fait que présupposer à nouveau pour eux le mode d’être du pur être-sous-la-main. Des valeurs sont des déterminité (Bestimmtheit)s sous-la-main d’une chose. Elles ne tiennent finalement leur origine ontologique que de la position préalable de la réalité chosique comme couche fondamentale. Or l’expérience préphénoménologique nous montre déjà dans l’étant prétendument chosique quelque chose que la choséité (Dinglichkeit) ne parvient pas à rendre pleinement compréhensible. L’être chosique, par conséquent, a besoin d’un complément. Que signifie donc ontologiquement l’être des valeurs, ou leur « validité » que Lotze interprétait comme un mode d’« affirmation » ? Que signifie ontologiquement cette « adhérence » des valeurs aux choses ? Tant que ces déterminations demeurent dans l’obscurité, la reconstruction de la chose d’usage à partir de la chose naturelle ne peut apparaître que comme une opération ontologiquement discutable, indépendamment même de l’inversion fondamentale de la problématique qu’elle représente. Car cette reconstruction de la chose d’usage que l’on a d’abord « dépouillée » n’a-t-elle pas toujours déjà besoin du regard préalable, positif sur le phénomène dont la totalité doit être reproduite dans la reconstruction ? Car si la constitution d’être la plus propre de celui-ci n’est pas d’abord adéquatement explicitée, alors la reconstruction ne reconstruit-elle point sans le moindre plan ? Dans la mesure où cette reconstruction et ce « complément » de l’ontologie traditionnelle du « monde » atteint pour résultat ce même étant dont était partie notre analyse (100) antérieure de l’être-à-portée-de-la-main de l’outil (Zeug) et de la totalité de tournure (Bewandtnis), elle crée l’illusion que l’être de cet étant serait en effet éclairci, ou tout au moins pris comme problème. Mais aussi peu Descartes, grâce à l’extensio comme proprietas, touche à l’être de la substance, tout aussi peu le recours à des propriétés « axiologiques » est capable de porter seulement sous le regard l’être comme être-à-portée-de-la-main, et encore moins de faire de lui un thème proprement ontologique. EtreTemps21

Dans quelle mesure, en caractérisant l’à-portée-de-la-main, avons-nous d’ores et déjà rencontré sa spatialité ? Il a été question de l’étant de prime abord à-portée-de-la-main. Or cette expression ne désigne pas seulement l’étant qui à chaque fois fait encontre d’abord, avant d’autres étants, mais aussi et en même temps l’étant qui est « à proximité ». L’à-portée-de-la-main de l’usage quotidien (alltäglich) a le caractère de la proximité. Cette proximité de l’outil (Zeug), a y regarder de plus près, est déjà suggérée dans le terme même qui exprime son être : « être-à-portée-de-la-main ». L’étant « à main » a à chaque fois une proximité différente, qui n’est point fixée par la mesure de distances. Cette proximité se règle bien plutôt à partir d’une utilisation et d’un emploi qui ne la « prennent en compte » que de manière circon-specte. En même temps, la circon-spection de la préoccupation (Besorgen) fixe l’étant ainsi proche au point de vue de la direction où l’outil (Zeug) est à chaque fois accessible. La proximité orientée de l’outil (Zeug) signifie qu’il n’a pas seulement, quelque part sous-la-main, son emplacement dans l’espace, mais que, en tant qu’outil (Zeug), il est essentiellement « amené », « remisé », « mis en place », « disposé ». Ou bien l’étant a sa place, ou bien il « traîne » – ce dernier cas devant être fondamentalement distingué de la pure survenance en un quelconque point de l’espace. La place se détermine à chaque fois comme place de cet outil (Zeug) pour… – à partir de la totalité des places, orientées les unes vers les autres, du complexe d’outils à-portée-de-la-main sur le mode du monde ambiant. La place et la diversité des places ne sauraient être interprétées comme le « où » d’un quelconque être-sous-la-main des choses. La place est toujours le « là-bas » et le « là » déterminés de la destination (NT: Le mot allemand (Hingehören) ne connotant pas ici une « finalité », mais le fait d’« avoir sa place », d’« être à sa place ».) d’un outil (Zeug), laquelle destination correspond à chaque fois au (103) caractère d’outil (Zeug) de l’à-portée-de-la-main, c’est-à-dire à l’appartenance à une totalité d’outils qui lui est assignée par sa tournure (Bewandtnis). Toutefois, la destination emplaçable d’une totalité d’outils a pour condition de possibilité le « vers où » en général en lequel est assignée à un complexe d’outils la totalité de la place. Ce « vers où » de la destination outil (Zeug)itaire possible tenu d’avance sous le regard circon-spect de l’usage préoccupé, nous le nommons la contrée. EtreTemps22

Des contrées ne sont point d’abord formées par des choses ensemble sous-la-main, elles sont au contraire à chaque fois déjà à-portée-de-la-main aux places singulières. Les places sont elles-mêmes assignées à l’à-portée-de-la-main dans la circon-spection de la préoccupation (Besorgen), ou bien elles sont trouvées. De l’étant constamment à-portée-de-la-main, que l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) circon-spect prend d’emblée en compte, a dès lors sa place. Le « où » de son être-à-portée-de-la-main est mis en compte pour la préoccupation (Besorgen) et orienté sur le reste de l’à-portée-de-la-main. C’est ainsi que le soleil, dont la lumière et la chaleur sont quotidienne (alltäglich)ment en usage, a ses places privilégiées, découvertes de manière circon-specte, à partir de l’employabilité changeante de ce qu’il dispense : lever, midi, coucher, minuit. Les places de cet étant à-portée-de-la-main de façon tour à tour changeante et constante deviennent des « indications » spéciales des contrées qui se trouvent en elles. Ces contrées célestes, qui n’ont encore nul besoin de posséder un sens géographique, pré-donnent son « vers où » préalable à toute configuration particulière de contrées occupables par des places. La maison a son côté exposé au soleil et son côté ombragé; c’est « vers » eux que la répartition des « lieux » est (104) orientée, et, au sein de celle-ci, également l’« aménagement » à chaque fois conforme à leur caractère d’outils. Des églises et des tombeaux, par exemple, sont orientés d’après le lever et le coucher du soleil, ces contrées de la vie et de la mort à partir desquelles le Dasein lui-même est déterminé quant à ses possibilités les plus propres d’être dans le monde. La préoccupation (Besorgen) du Dasein, pour qui il y va en son être de cet être même, découvre d’emblée les contrées dont il retourne à chaque fois décisivement. La découverte préalable des contrées est co-déterminée par la tournure (Bewandtnis) à laquelle est libéré l’à-portée-de-la-main en tant qu’il fait en-contre. EtreTemps22

1. Énoncé signifie primairement mise en évidence. Nous maintenons ainsi le sens originaire du logos comme apophansis : faire voir l’étant à partir de lui-même. Dans l’énoncé : « le marteau est trop lourd », ce qui est découvert pour la vue n’est pas un « sens », mais un étant dans la guise de son être-à-portée-de-la-main. Même lorsque l’étant ne se trouve pas dans une proximité saisissable et « visible », la mise en évidence vise l’étant lui-même et non pas par exemple une simple représentation de lui, qu’elle soit prise au sens d’un « simple représenté » ou au sens d’un état psychique de celui qui énonce, de son acte de représentation de cet étant. EtreTemps33

L’analytique du Dasein, en poussant jusqu’au phénomène du souci, est destinée à préparer la problématique fondamental-ontologique, la question du sens de l’être en général. Il convient donc, à partir des résultats acquis, d’infléchir expressément le regard dans cette direction, autrement dit de dépasser la tâche particulière d’une anthropologie apriorique existentiale. Or pour cela, les phénomènes qui se tiennent dans la connexion la plus étroite avec la question directrice de l’être doivent être pris en vue rétrospectivement et saisis de manière encore plus pénétrante. Ces phénomènes, ce sont d’une part les guises de l’être qui ont été expliquées : l’être-à-portée-de-la-main, l’être-sous-la-main, qui déterminent l’étant intramondain qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). Or comme la problématique ontologique, depuis toujours, a compris primairement l’être au sens de l’être-sous-la-main (« réalité », effectivité du monde) tout en laissant l’être du Dasein ontologiquement indéterminé, il est besoin d’une élucidation de la connexion ontologique entre souci, mondanéité (Weltlichkeit), être-à-portée-de-la-main et être-sous-la-main (réalité). Ce qui nous conduira à une détermination plus aiguë du concept de réalité dans le cadre d’une discussion des problématiques gnoséologiques orientées sur cette idée, à savoir celle du réalisme et de l’idéalisme. EtreTemps39

La réponse à la question du sens de l’être fait encore défaut. En quelle mesure l’analyse fondamentale du Dasein jusqu’ici accomplie a-t-elle contribué à préparer l’élaboration de cette question ? La libération du phénomène du souci a permis de clarifier la constitution d’être de l’étant à l’être duquel appartient quelque chose comme la compréhension de l’être. Ainsi, l’être du Dasein a été en même temps délimité par rapport à des modes d’être (être-à-portée-de-la-main, être-sous-la-main, réalité) qui caractérisent l’étant qui n’est pas à la mesure du Dasein (Daseinsmässig). Enfin le comprendre lui-même a été précisé, ce qui a permis en même temps de garantir la transparence méthodique du procédé compréhensif-explicitatif de l’interprétation de l’être. EtreTemps44

Si en outre la thématisation modifie et articule la compréhension d’être, alors l’étant thématisant, le Dasein doit déjà, pour autant qu’il existe, comprendre quelque chose comme de l’être. Le comprendre de l’être peut rester neutre, être-à-portée-de-la-main et être-sous-la-main sont alors encore indistincts, et ils sont encore moins conçus ontologiquement. Mais pour que le Dasein puisse avoir l’usage d’un complexe d’outils, il doit comprendre, bien que non thématiquement, quelque chose comme la tournure (Bewandtnis) : il faut qu’un monde lui soit ouvert. Le monde est ouvert avec l’existence factice du Dasein, si tant est que cet étant existe essentiellement comme être-au-monde (In-der-Welt-sein). Et si enfin l’être du Dasein se fonde dans la temporalité, alors il faut que ce soit celle-ci qui possibilise l’être-au-monde (In-der-Welt-sein) et ainsi la transcendance du Dasein, laquelle, de son côté, supporte l’être préoccupé – théorique ou pratique – auprès de l’étant intramondain. EtreTemps69

Préoccupé de manière circon-specte, et s’attendant ainsi à la possibilité de voir, le Dasein, se comprenant à partir de son ouvrage du jour, se donne son temps par le « lorsqu’il fait jour ». Le « lors » de la préoccupation (Besorgen) est daté à partir de ce qui se tient avec l’avènement de la clarté dans la connexion de tournure (Bewandtnis) la plus proche qui soit au sein du monde ambiant : le lever du soleil. Lorsqu’il se lève, il est temps de… Le Dasein date donc le temps qu’il doit (se) prendre à partir de ce qui, dans l’horizon de l’abandon au monde, fait encontre à l’intérieur de celui-ci comme quelque chose avec lequel il retourne de manière privilégiée pour le pouvoir-être-au-monde (In-der-Welt-sein) circon-spect. La préoccupation (Besorgen) fait usage de l’« être-à-portée-de-la-main » du soleil dispensant lumière et chaleur. Le soleil date le temps explicité dans la (413) préoccupation (Besorgen). De cette datation naît la mesure la plus « naturelle » du temps, le jour. Et comme la temporalité du Dasein qui doit (se) prendre son temps est finie, ses jours sont également déjà comptés. Le « tant qu’il fait jour » donne au s’attendre préoccupé la possibilité de déterminer avec pré-voyance le « alors » de ce dont il se préoccupe, autrement dit de diviser le jour. Et la division s’accomplit derechef par rapport à ce qui date le temps : le mouvement du soleil. Tout comme le lever, le coucher et le midi sont des « places » privilégiées que l’astre occupe. De son passage régulièrement récurrent, le Dasein qui est jeté dans le monde et qui, temporalisant, se donne du temps tient compte. Le provenir du Dasein est, sur la base de l’explicitation datante du temps prédessinée à partir de son être-jeté dans le Là, un provenir journalier. EtreTemps80