(52) Si facile qu’il soit de délimiter formellement la problématique ontologique par rapport à la recherche ontique, l’exécution, et avant tout le point de départ d’une analytique existentiale du Dasein ne vont pas sans difficultés. En effet, sa tâche inclut une exigence qui tourmente depuis longtemps la philosophie, sans qu’elle soit pourtant jamais parvenue à la satisfaire : l’élaboration de l’idée d’un « concept naturel du monde ». La richesse aujourd’hui disponible des connaissances concernant les cultures et les formes du Dasein les plus diverses et les plus éloignées paraît favorable à la réussite d’une telle entreprise. Pourtant, ce n’est là qu’une apparence, et cette abondance de connaissances risque en réalité de nous induire à méconnaître le véritable problème. De lui-même, un comparatisme ou un typologisme syncrétique ne peut prétendre apporter une authentique connaissance d’essence ; pas davantage qu’il ne suffit de maîtriser le divers en le classifiant pour acquérir une compréhension effective du matériel ainsi mis en ordre. Le vrai principe de l’ordre a sa teneur philosophique propre que la pratique ordonnatrice, bien loin de l’avoir découvert, a toujours déjà présupposée. Ainsi, pour mettre en ordre des conceptions du monde, est-il besoin de l’idée explicite du monde en général. Et s’il est vrai que le « monde » est lui-même un constituant du Dasein, alors l’élaboration conceptuelle du phénomène du monde exige un aperçu dans les structures fondamentales du Dasein. EtreTemps11
D’un autre côté, l’analyse ne peut s’en tenir à une idée de la mort fortuitement et arbitrairement forgée. Un tel arbitraire, du reste, ne peut être réfréné que par la caractérisation ontologique préalable du mode d’être où la « fin » s’engage dans la quotidienneté (Alltäglichkeit) médiocre du Dasein. Pour cela, il est besoin d’une évocation complète des structures, plus haut dégagées, de la quotidienneté (Alltäglichkeit). Que dans une analyse existentiale de la mort des possibilités existentielles de l’être pour la mort soient du même coup suggérées, cela est inhérent à l’essence de toute recherche ontologique. La nécessité n’en devient que plus forte que la détermination conceptuelle existentiale s’accompagne d’une absence d’obligation existentielle, et cela est spécialement vrai dans le cas de la mort, où le caractère de possibilité (249) du Dasein se laisse dévoiler avec la plus grande acuité. Tout ce à quoi vise la problématique existentiale, c’est à dégager la structure ontologique de l’être pour la fin du Dasein (NA: L’anthropologie élaborée dans la théologie chrétienne a toujours déjà – depuis PAUL jusqu’à la meditatio futurae vitae de CALVIN – coaperçu la mort dans l’interprétation de la « vie ». – W. DILTHEY, dont les tendances philosophiques propres étaient dirigées vers une ontologie de la « vie », ne pouvait manquer de discerner sa liaison avec la mort. « Le rapport qui détermine le plus profondément et universellement le sentiment de notre Dasein est celui de la vie à la mort ; car la limitation de notre existence par la mort est toujours décisive pour notre compréhension et notre appréciation de la vie. » Das Erlebnis und die Dichtung (Vécu et poésie), 5ème éd., p. 230. Récemment, G. SIMMEL, a lui aussi fait expressément entrer le phénomène de la mort dans la détermination de la « vie », mais bien entendu sans clairement dissocier problématique biologico-ontique et problématique ontologico-existentiale. Cf. Lebensanschauung, Vier metaphysische Kapitel (L’intuition de la vie, Quatre chapitres métaphysiques), 1918, p. 99-153. – Pour la présente enquête, il convient avant tout de comparer K. Jaspers, Psychologie der Weltanschauungen (Psychologie des conceptions du monde), 3ème éd., 1925, p. 229 sq., notamment p. 259-270. Jaspers saisit la mort au fil conducteur du phénomène – par lui dégagé – de la « situation-limite », dont la signification fondamentale dépasse toute typologie des « dispositions » et des « conceptions du monde ». EtreTemps49